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RÉALISME. LA PHILOSOPHIE DE L’INTUITION


l’expérience qui se moque de nos concepts simplistes, p. 55 : « Quand elle écart a ces concepts pour regarder les choses, la science parut, elle aussi, s’insurger contre l’intelligence ; « l’intellectualisme » d’alors recomposait l’objet matériel, a priori, avec des idées élémentaires. En réalité cette science devint plus intellectualiste que la mauvaise physique qu’elle remplaçait. Elle devait le devenir du moment qu’elle était vraie… La forme mathématique que la physique a prise est ainsi tout à la fois celle qui répond le mieux à la réalité et celle qui satisfait le plus notre entendement. Beaucoup moins commode sera la position de la métaphysique vraie. Elle aussi commencera par chasser les concepts tout faits ; elle aussi s’en remettra à l’expérience. Mais l’expérience intérieure ne trouvera nulle part, elle, un langage strictement approprié. Force lui sera bien de revenir au concept… qu’elle l’assouplisse et qu’elle annonce par la frange colorée dont elle l’entourera qu’il ne contient pas l’expérience tout entière. » Bref, partout, en science ou en métaphysique, c’est la systématique trop simplement conceptuelle qui était l’ennemie. P. 84-87. Pour le plus grand profit d’une métaphysique cogente, Bergson pense avoir réussi à serrer le concret de plus près. Mais il ne fallait pas espérer y parvenir par une dialectique simplement fertile en déductions. Seule une positivité expérimentale valait, cheminant de problème en problème et attentive au seul réel mis en question. P. 90-91. Il fallait même éviter d'être trop ambitieux en matière d’expérience, et ne pas chercher à voir l’esprit fabriquer le réel à la manière des platonisants et des kantistes, prékantistes et postkantistes, p. 95-96 : « Toutes ces théories, écrit Bergson, tombaient avec l’illusion qui leur avait donné naissance… au fond nous revenions simplement à l’idée du sens commun. « On étonnerait beaucoup, « écrivions-nous, un homme étranger aux spéculations « philosophiques en lui disant que l’objet qu’il a devant « lui, qu’il voit et qu’il touche n’existe que dans son « esprit et pour son esprit ou même plus généralement « n’existe que pour un esprit, comme le voulait Berke- « ley… Mais d’autre part, nous étonnerions autant cet « interlocuteur en lui disant que l’objet est tout différi ni « de ce qu’on y aperçoit… Donc pour le sens commun « l’objet existe en lui-même, et d’autre part l’objet est, « en lui-même, pittoresque comme nous l’apercevons, a C’est une image, mais une image qui existe en soi. » Comment une doctrine qui se plaçait ici au point de vue du sens commun a-t-elle pu paraître aussi étrange ? On se l’explique sans peine, quand on suit le développement de la philosophie moderne et quand on voit comment elle s’orienta dès le début vers l’idéalisme, cédant à une poussée qui était celle même de la science naissante. Le réalisme se posa de la même manière, il se formula par opposition à l’idéalisme, en utilisant les mêmes termes. » En somme, la philosophie du sens commun des réalistes était encore trop une idéaliste systématisation appauvrie. Il fallait que le sens commun sentît qu’il peut toujours accroître ses conquêtes. De nouveaux voyages formeront toujours son éternelle jeunesse ; il lui faut éviter la thèse doctrinaire. Il lui faut peindre l’univers riche, coloré, avec des moyens expérimentaux toujours grandissants.

L’humaine erreur est de tout gauchir en systématisant tout. On croit être sérieux, et on dessine des caricatures, exagérant certains traits, négligeant tous les autres. « Essayez en etïet, demande M. Bergson, p. 17, de vous représenter aujourd’hui l’action que vous accomplirez demain, même si vous savez ce que vous allez faire. Votre imagination évoque peut-être le mouvement à exécuter, mais de ce que vous penserez et éprouverez en l’exécutant vous ne pouvez rien savoir aujourd’hui, parce que votre état d'âme comprendra demain toute la vie que vous aurez vécue

jusque là avec en outre ce qu’y ajoutera ce moment particulier. » Mais aux complexités de la vie, et même à celles du cosmos sensible et vrai, l’homme préfère instinctivement ce qui peut se réduire en équations simples, p. 19 : « L’univers matériel, poursuit Bergson, forme-t-il un système de ce genre ? Quand notre science le suppose, elle entend simplement par là qu’elle laissera de côté dans l’univers tout ce qui n’est pas calculable. Mais le philosophe qui ne veut rien laisser de côté est bien obligé de constater que les états de notre monde matériel sont contemporains de l’histoire de notre conscience. Comme celle-ci dure, il faut que ceux-là se relient de quelque façon à la durée réelle. En théorie, le film sur lequel sont dessines les états successifs d’un système entièrement calculable pourrait se dérouler avec n’importe quelle vitesse sans que rien fût changé. En fait, cette vitesse est déterminée, puisque le déroulement du film correspond à une certaine durée de notre vie intérieure… Quand on veut préparer un verre d’eau sucrée, avons-nous dit, force est bien d’attendre que le sucre fonde ; cette nécessité d’attendre est le fait significatif. Elle exprime que, si l’on peut découper dans l’univers des systèmes pour lesquels le temps n’est qu’une abstraction, un nombre, l’univers lui-même est autre chose. Si nous pouvions l’embrasser dans son ensemble, inorganique mais entretissé d'êtres organisés, nous le verrions prendre sans cesse des formes aussi neuves, aussi originales, aussi imprévisibles que nos états de conscience. » L’objet de la métaphysique est donc le réel extérieur tout comme l’objet de la science. Ce qui était donné en 1903, en divers passages de V Introduction à la métaphysique, se trouve donc repris et précisé en cette introduction de 1934. La pensée et le mouvant réédite, au reste, l’opuscule de 1903 comme une étape de cette longue méditation que M. Bergson ne renie pas tout en reconnaissant avoir précisé ses points de vue. Les idéalistes avaient donc raison de se plaindre de Bergson depuis longtemps. Bergson est si réaliste qu’il lui paraît ridicule de quitter la peinture du réel pour se demander vainement ce qui serait arrivé si… P. 21-22. Il ne faut même pas trop rechercher de ces causes qui relieraient comme par un fil trop rigide les événements les uns aux autres. Ce fil risquerait d'être un présupposé de l’esprit. Il existe, parmi les divers événements de l’histoire, plus de spontanéité que ne le supposent les mauvais historiens. Ces derniers sont de dignes imitateurs des mauvais métaphysiciens et des mauvais savants lorsqu’ils veulent réduire à une unité théorique les complexités du réel. P. 93-94. Bref, la philosophie, comme l’histoire, comme la science, doit se donner la tâche de serrer davantage un réel complexe pluraliste, morcelé. Mais quel va être le rôle de cette philosophie par rapport aux autres disciplines qui s’occupent aussi de ce réel concret ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité au bergsonisme, que, pour lui, la philosophie cesse d'être le refuge des généralités vagues, communes à toutes les catégories de l’expérience. A cette question H. Bergson ne se dérobe pas. H. Bergson a remarqué que les différentes disciplines qui, à l'époque moderne et contemporaine, se donnent le nom de sciences ont inégalement progressé. Les sciences physiques ont facilement trouvé leur méthode. Mais l’emploi de cette méthode, dite strictement scientifique, n’a pas fait progresser beaucoup la plus expérimentale des sciences de l’esprit, la descriptive psychologie. Ne serait-ce pas parce que les mensurations de l’expérience physique ne constituent pas le vrai moyen d’expérimenter les dons de l’esprit ? Ces méthodes-là y sont trop et trop peu. Si doncl’on pouvait trouver une discipline qui connaîtrait par un autre biais expérimental les esprits, causes d’action, réalités importantes dans l’univers, cette noélique mériterait