Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/237

Cette page n’a pas encore été corrigée
1887
1888
REALISME. LE BLONDELISME


thomiste intitulé : Fidélité conservée par la croissance même de la tradition, juin 1935. Il y reconnaissait, p. G17, l’existence de plusieurs enlia absoluta, tandis que, dans son livre (t. ii, p. 502 ; t. i, p. 267, etc.), il ne reconnaissait qu’un ens absolutum : Dieu. Mais, en fait, cette mise au point ne représentait peut-être pas une profession de foi à un réalisme radical. Le nouveau livre, L'être et tes êtres, paru depuis, réédite en effet les particularités du réalisme nuancé et presque réticent de M. Blondel. Ce livre n’est peut-être pas entièrement nouveau. Ses thèses se rencontrent parfois avec celles du P. Laberthonnière, ou même avec celles d’idéalistes contemporains. L’ouvrage en entier serait-il comme en germe dans une page du P. Laberthonnière : Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, p. 85 : « Nous subsistons de la présence en nous des autres êtres. Chacun des êtres, peut-on dire, est par tous et tous sont par chacun. Ils se donnent mutuellement de la solidité par leur solidarité. Mais, d’autre part, cette solidité qui vient pour ainsi dire de tous à chacun et de chacun à tous comme d’en bas, tous ensemble la reçoivent d’en haut. Puisque les êtres du monde, dans leur réalité ultime, sont un acte de Dieu, le fiai créateur qui les pose dans leur solidarité est une reproduction au dehors de la vie divine qui se communique et qui se partage sans se fractionner. Et ceci signifie que le Fils éternel du Père, le Verbe comme l’appelle saint Jean, sans cesser d'être éternel et Dieu comme son Père, pour faire exister d’autres êtres, les rend présents à lui-même et se rend présent à eux comme ils sont présents les uns aux autres ; de telle sorte qu’ils sont créés et établis dans l'être par une insertion de sa propre réalité dans la création. En s’incarnant, il se fait solidaire d’eux pour les faire solidaires de lui et les faire exister par lui. Omnia per ipsum facla sunt et sine ipso factum est nihil. Et il court les risques de leur vie dans le temps. Il accepte d'être responsable d’eux, il subit les conséquences de leur faute pour étendre à tous le mérite éternel de ses actions et de son sacrifice. C’est avec tout cela et pour tout cela que nous sommes ; c’est de tout cela que nous vivons : Et tout cela nous est donné ; nous le recevons, nous le subissons même ; c’est une nécessité pour nous, puisque, si nous pouvons en abuser, nous ne pouvons pas ne pas en user. » Dans L'être et les êtres, M. Blondel semble se ranger à cette conception d’ensemble. Les êtres ne lui apparaissent que comme solidaires les uns des autres. C’est ce qu’il appelle, p. 486 : « la solidarité fonctionnelle des êtres jusque dans l’aspect sous lequel on peut considérer le mal. » Il se pose cette question, p. 75 : « La matière est-elle un être ? » Il répond, p. 80 : « Elle n’est pas un « en soi. » Il s’interroge encore, p. 95 : « Les personnes sont-elles des êtres ? » Il répond non, et va jusqu'à écrire, p. 106, que ces personnes ne constituent que « le chemin de l'être », un « devoir être ». Même l’ensemble de l’univers ne lui paraît que de « l'être ébauché », de la « mendicité universelle ». Les beautés, les richesses de la création, prises à part les unes des autres, lui paraissent quasi-rien. Selon le concile du Vatican, elles sont si absolument riches de transcendantaux qu’elles aident à prouver Dieu. Mais M. Blondel va encore plus loin dans les déficiences de son réalisme. La « solidité », « la consistance des êtres », conformément au P. Laberthonnière, ne lui paraissent pas résider même dans leur totalilé où « ils se soutiennent cependant les uns les autres ». P. 231. Leur force de soutien mutuel leur vient par en haut, p. 232 : « comme le prêt d’une transcendance véritable, non pas seulement au sens abstrait ou idéal du mot, mais en son acception la plus concrète : In eo sumiis. » Nous sommes en Dieu. D’ailleurs au même moment, soucieux d'éviter le panthéisme, M. Blondel ajoute qu’il a dessein de ne pas « ruiner la valeur propre des êtres

dont justement » il vient « établir la ferme existence ». C’est avec l’espoir d’y parvenir qu’il imagine, tout comme l’idéaliste qu’est M. Piaget, un rôle des normes divines dans la constitution des armatures ontologiques des êtres. P. 237-324. Par là, on revient aux conjectures des idées séparées de Platon. On explique le concret par l’abstrait, ce qui n’est facile qu'à ceux qui ne sont pas frappés par l’existence du concret. M. Blondel désire, de toute évidence, retrouver les thèses de l’ontologie traditionnelle. Comment se fait-il donc que cette belle intention, du moins dans ce dernier livre, L'être et les êtres, où il serait temps d’aboutir, ne retrouve pas le réalisme pleinement thomiste ? Son malheur est sans doute d’avoir voulu recourir à une méthode exclusivement adaptée aux besoins de l’esprit moderne. Il s’en est tenu à une méthode personnelle trop étroite, méthode basée sur deux principes premiers : le principe de l’implication et celui du rôle purement instrumental de la connaissance notionnelle. Pour donner son rang à Dieu, il entend démontrer qu’aucun être n’est vraiment, si ce n’est cet Absolu ; seul il est dans toute la force du terme, puisqu’il est en soi, par soi et pour soi. Et les autres êtres ? Les autres existent aussi à demi, à moitié en eux-mêmes, mais dans un tel état d' incomplétude que celui d’entre eux qui jouit de la raison, l’homme, est acculé à se poser le problème de son achèvement définitif. Or, en scrutant ses tendances incoercibles, il découvre en lui le désir de voir Dieu face à face. Le surnaturel devient donc pour lui une hypothèse légitime.

Quels sont, dans ces conditions, les rapports de cette philosophie avec l’orthodoxie ? A ne regarder que les conclusions, qui dévoilent d’ailleurs les intentions profondes de M. Blondel, il n’y a pas dans l'état terminal de sa philosophie de postulation du surnaturel. Si l’on considère la méthode (implication) et les arguments utilisés, il faut avouer que cette postulation reste un danger. En effet, la méthode d’implication souligne inlassablement la continuité foncière de tout le réel et préconise un dynamisme impérieux qui pousse tous les êtres à désirer la satisfaction de leur inachèvement foncier. De plus, elle dédaigne les distinctions des théologiens sur les divers états de nature pour ne tenir compte que de l'état concret de nature réparée. Il suit de tout cela qu’elle habitue l’esprit à considérer la vision béatifique dans la ligne possible, mais logique de la nature et que, maniée par des intelligences peu averties, elle pourrait avoir de funestes résultats.

Voici d’ailleurs les conclusions de M. Blondel sur les rapports de la grâce et de la nature. 1. La création offre rationnellement une place à la notion de surnaturel dans la philosophie la plus autonome ; 2. la puissance obédientielle est active ; 3. le désir naturel de voir Dieu, bien qu’inefficace, prouve la possibilité positive de la révélation ; 4. le philosophe, qui rencontre ainsi le surnaturel en faisant la philosophie concrète de l’homme concret, peut étudier, en dehors de toute considération apologétique ou théologique, les conditions de la possibilité du surnaturel. On le voit, ces propositions sont dangereuses sans pourtant atteindre la substance du Credo. Il arrive d’ailleurs qu’elles soient plus ou moins intégralement professées par des théologiens, lesquels, ayant une formation théologique qui paraît manquer à M. Blondel, sont en état de se garder de divers excès. M. Blondel est au moins imprudent en parlant des balbutiements trinitaircs dans l’ordre de la raison et en refusant, de ce même point de vue, à la personnalité à Dieu, sous le prétexte que la personnalité est essentiellement soumise au progrès de la conscience. Quant à la thèse de M. Blondel contestée ci-dessus et concernant les relations de Dieu et des créatures, elle est moins dangereuse par un faux semblant de panthéisme qui n’empêche pas un véritable