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REALISME. LES NEO-RE ALIS MES


grand problème du réalisme reste le grand problème commun de la philosophie et de la théologie. La philosophie médiévale de Scot et de Thomas d’Aquin trouve d’ailleurs, on le verra, à s’appuyer actuellement sur la philosophie des sciences de Bergson et de Meyerson. En vain divers ouvrages, comme celui qui vient d'être analysé et réfuté ci-dessus, essayent-ils de rééditer contre le réalisme et la théologie, en termes idéalistes, ce qu’Auguste Comte énonçait déjà en termes positivistes : le prétendu fait de la dépossession, par la nouvelle ère scientifique, de l'ère métaphysique et théologique. En vérité, tandis que la philosophie médiévale, développée pour les besoins de la théologie catholique, se trouve contenir en germe toutes les données détaillées depuis par les techniques scientifiques, l’idéalisme trop simplement kantien ne paraît plus répondre pleinement aux exigences de la science contemporaine, à son pluralisme expérimental, ni à ses préoccupations historiques, ni à son besoin d’introduire dans la loi l’indétermination du concret (qu’il ne faudra d’ailleurs pas confondre avec le libre arbitre). Cependant on a vu des idéalistes éminents prétendre admettre la théologie catholique. Dans certains cas, comme dans celui de Lachelier, il y a certainement une tendance implicite à un fîdéisme dont l’orthodoxie ne s’accommode pas. Dans d’autres cas, comme celui plus récent de M. Lachièze-Rey, il se trouve que le kantisme se retourne, par une certaine progression, en un réalisme chrétien. Ce cas d’espèce qui échappe à un tidéisme (lui-même croyance à un certain réalisme) mériterait d'être examiné. Voir Lachièze-Rey, Le moi, le monde et Dieu dans la Revue des cours et conférences, 15 janvier 1935.

VIL Les néo-kéalismes et le réalisme chretien. — Ce serait une erreur de croire que l'époque moderne ne connaît en philosophie que la descendance intellectuelle de Kant. Elle revient en partie à des formes de réalisme de plus en plus conciliables avec le réalisme chrétien.

Les premiers tenants de ces idées se trouvent jusque dans l’Allemagne de la période postkantienne. Fechner (1801-1887) n’est pas seulement le premier maître de la psycho-physiologie, l’auteur d’une loi qui décrète que la sensation croît avec le logarithme de l’excitation. Son nouvel animisme accorde à chaque phénomène de la nature l'éminente dignité réaliste d’une sorte de conscience individuelle.

Son compatriote Lotze (1817-1881) renchérit dans le sens du réalisme tout en abandonnant les idées quasi pythagoriciennes que Fechner avait voulu introduire dans son spiritualisme. Lotze rend le service d’insister sur le danger des généralisations présomptueuses et des dialectiques en porte-à-faux. « Aucune parcelle de vérité, écrit-il, ne doit être sacrifiée à des déductions. » Il reconnaît le caractère individuellement actif de chaque conscience humaine connaissante et agissante. Il critique àprement le formalisme décoloré de la spéculation kantienne. Le monde lui apparaît comme riche d’une vaste multiplicité d’essences singulières susceptibles de conscience, de liberté, parfois de morale.

De la même manière Preyer, Sigwart, Teichmuller préparent dans leur pays ce qui deviendra aux ÉtatsUnis la vue du monde des néo-réalistes, la vue d’un monde composé de choses distinctes qui donnent raison à l’expérience sensible, monde riche surtout d’individus irréductibles, susceptibles chacun de progrès spirituels et religieux.

Dans ses articles du Popular Science monlhly, entre 1870 et 1890, Ch. S. Peirce s'élève contre le déterminisme abstrait des savants. Ces derniers confondent trop aisément les faits concrets, différents et négligent par trop dans le monde les faits de spontanéité et les

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

sentiments. En 1898, les philosophes anglais qui publient le volume de mélanges intitulé : L’idéalisme personnel : Sturst, Stout, Gibson, Undechill, Marret, Russell, Rashdall, Schuller surtout, sont sur le chemin du réalisme autant que du pragmatisme. Le réalisme nouveau se fait jour en Amérique avec Dewey et Howison. Dewey met en évidence la primauté du concret réel sur l’abstrait trop souvent illusoire. Howison tient le monisme en suspicion : il démêle que le monisme idéaliste et le monisme matérialiste sont le revers et l’avers d’une prétendue métaphysique scientifique, la même dans les deux cas et qui est toujours une parodie de la science légitime.

Josiah Royce, plus près encore des anciennes conceptions médiévales, s’applique à discerner dans ce multitudinisme évident un absolu qui lui donne valeur sans l'éclipser. Voir Gabriel Marcel, La métaphysique de Josiah Royce, dans Revue de métaphysique et de morale, 1917. La subsistance des idées générales dans un monde fait d’individualités est bien mise en lumière par H.-E. Moore. Quant à R. Russell, plus encore peut-être que logicien, il est, en fait, métaphysicien habile à mettre en relief les discontinuités qui se remarquent partout, le caractère concret de ce tout qui ne se laissera pas habiller facilement par le vêtement de confection des mathématiques scient ist es.

William James vit de toutes ces idées et il y ajoute son apport personnel. Même lorsque dans son antiintellectualisme il semble s’associer à Bergson contre Russell et les admirateurs de l’intelligence concrète, il ne se sépare pas de ces derniers. Car l’expérience de James, l’intuition de Bergson, c’est encore ce que Russell appelle, à bon droit : de l’intelligence. Il ne faut d’ailleurs pas placer sur le même plan un II. Bergson et un 15. Russell. Russell reste très soucieux de concepts. Tous ces philosophes pluralistes d’Allemagne, d’Angleterre, d’Amérique ne s’identifient que par des allures générales de leur pensée, l’eu importe : la ressemblance demeure et elle est essentielle qui fait d’eux comme autant de précurseurs d’H. Bergson, même lorsque II. Bergson les a ignorés.

En France même on pourrait citer de nombreux efforts parallèles. Le pluralisme de Renouvier et de Lequier ne doit pas être laissé de côté par les partisans du réalisme spiritualiste. Renouvier a trouvé le moyen de partir des libertés, des autonomies spirituelles comme de faits. C’est peut-être la seule façon de prouver ensuite l’accord des libertés divine et humaine : la liberté divine rendra compte de la liberté humaine au lieu de la contrecarrer. Renouvier n’a pas seulement exercé une influence sur des spiritualistes français comme son ami Jules Lequier. Il se trouve comme englobé dans le pragmatisme religieux de William James. Par Ravaisson aussi, par toute une pléiade de psychologues amis du concret expérimental, ennemis des entités abstraites, à l'école des faits objectifs, c’est encore Bergson qui se prépare.

Cependant en Allemagne, où les premiers réalistes postkantiens avaient paru d’abord (et peut-être dans la ligne de Condillac), l’idéalisme, par Hegel, avait abouti à une dialectique. Cette dialectique universelle, reprise en dehors de l’idéalisme par Karl Marx, allait constituer aux yeux de nombreux sociologues, en divers pays, comme une base métaphysique. Mais cette dialectique même, allait, elle aussi, favoriser indirectement le progrès contemporain du réalisme médiéval et chrétien. Elle est plus près du réalisme médiéval dans la sociologie d’E. Lasbax que dans les écrits de Karl Marx.

Quant aux rapports de la phénoménologie de R. Husserl, si répandue en Allemagne vers 1930, avec le réalisme thomiste, ils sont si patents qu’ils ont été étudiés, et de près, par Edith Stain, Husserls l’henome T. — XIII — (il).