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1863
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REALISME. CAPREOLUS ET VINCENT FERRIER


pure observation ou expérimentation. Cette déficience, qui eut dans l’histoire des idées des conséquences importantes, s’explique par la faute de ceux qui, à une époque que l’on peut situer vers le milieu du xive siècle, ont exagéré le scotisme dans le sens d’un nominalisme oublieux des genres et des espèces. Le multitudinisme anarchique, préparé tout de suite après la mort de Scot par Durand de Saint-Pourçain et Pierre d’Auriol, ne devait pas tarder à atteindre, avec ses pernicieuses conséquences, son plein épanouissement.

Le théoricien en fut Guillaume d’Occam. Pour la deuxième fois — la première avait été avec Roscelin avant Abélard — le nominalisme occupait le premier plan de la scène philosophique. Il occupait le premier plan aussi des disputes théologiques, car ses corollaires concernant la simplicité divine, le caractère tout personnel et tout gratuit de chaque justification, sa méfiance contre les idées abstraites ou générales que le théologien manie à bon droit, sont de grande importance pour l’orthodoxie. oir l’art. Nominalisme, t. xi, col. 734-783.

V. Le néo-réalisme scolastique : Capréolus, saint Vincent Ferrier. — A l'époque où le nominalisme risquait ainsi de s’introduire, avec Durand de Saint-Pourçain, jusque dans l’ordre de saint Dominique, la pensée thomiste y gardait de nombreux adeptes. Même lorsque Scot eut rencontré beaucoup de faveur dans le monde des théologiens, les dominicains étaient demeurés fidèles à la doctrine de saint Thomas qu’on avait canonisé et élevé au rang de docteur de l'Église en 1323. Le réalisme thomiste trouva dès lors, dans l’organisation scolaire et universitaire des dominicains répandus dans toute la chrétienté, une institution entièrement dévouée à sa défense et à sa diffusion. La plupart des thomistes qui vécurent à cette époque s’orientèrent davantage vers la théologie proprement dite que vers les attaches philosophiques du système. L’un d’eux, Capréolus, mérite cependant d'être considéré comme philosophe réaliste en même temps que comme théologien.

Capréolus.

Capréolus († 1444) fut professeur

au couvent de Toulouse (cf. Percin, Monumenla conventus tolosani, p. 94). Contre Auriol, Occam, Grégoire de Rimini, il défend le réalisme thomiste tout au long d’un vaste commentaire sur les Sentences, plus encore, il poursuit le perfectionnement de la philosophie réaliste, en précisant la notion de subsistence et en faisant reposer l'être sinon sur la durée bergsonienne, du moins sur le temps. Par quoi il semble réussir, comme l’avait fait Plotin, à éliminer le caractère statique et abstrait qui trop souvent caractérise l’ancienne ontologie. A propos de la personne et des natures du Christ, Capréolus, In / »  » > Sent., dist. IV, q. ii, édit. PabanPègues, t. i, p. 239 a, met en évidence, un texte de saint Thomas qui fait équivaloir la notion d'être à celle d’une réalité subsistante. Il revient sur cette idée qui lui est chère, ibid., dist. XLIV, q. i, édit. Paban-l’tgiics, t. ii, ]). 555 b, toujours à propos des qualités divines, car il trouve une importance primordiale à celle qualité de subsistence, ibid., dist. VIII, q. i, t. i, p. 307 a, en cela expressément d’accord avec saint Thomas, [a, q. iv, a. 2. Ce n’est qu’en apparence que la subsistence d’un être paraît simplement relative à un temps qui ne serait qu’extérieur. Capréolus discerne dans cette subsistence une incommunicabilité, une indivision, ibid., dist. XXVI, q. i, t. ii, p. 234 a. ce que, de prime abord, on met trait plus directement sous la notion d'être que sous celle de subsistence. Ce qui est dit par Capréolus d<' l'être divin ne lui paraît pas moins vrai de l'être de la nature. In ///""> Sent., dist. Y, q. III, l. V, p. 110 a. A cette durée qu’est la subsistence se rattache l’action de l'être. Ibid., dist. XII, q. î, t. v, p. 162 b. Cette durée n’est pas le

changement, le temps qui s'écoule, In I^ iii, dist. IX. q. i, t. ii, p. 5 a. Cette durée de l'être, Capréolus va jusqu'à l’appeler uniias ipsius actualilalis, ibid., dist. IX, q. i, t. ii, p. 10 a et b. C’est ainsi qu’en Dieu un instant unique de durée représente l’acte pur, ce qui n’empêche aucunement la multiplicité des « tempschangements » créés. Capréolus va jusqu'à se demander comment ce présent substantiel d’un être peut se répandre en temps. Inl 7um, dist. II, q. ii, tin, p. 179 b. Les instants de ce nunc sont des accidents : accidunt successive. Ibid., p. 180 a. Voici donc le présent et le temps avec ses instants réintroduits dans l’ordre de l'être. Capréolus ne nie pas l'être du devenir. Le temps lui semble être : sicut quodlibet ens successivum quia suum esse consistil infieri, ibid., p. 186 b, et à ce propos il pense : « Rien n’empêche de dire que le temps est une créature de Dieu et cependant il ne jouit pas d’une existence complète en dehors de l’esprit. » En effet, si l’on veut trouver l'être « à plein », il ne faut pas le considérer du côté du temps, mais du côté du présent. Il existe un présent au sens large où des multitudes de temps sont inclues. Ibid., p. 188. Le passage du présent au temps ou plutôt le confluent du présent et du ; temps, c’est l’instant. Ibid., p. 189 a. Mieux, il existe des réalités d’ordre surtout spirituel où l’on voit les instants du temps se grouper dans la durée essentielle de l'être : ce sont les habitudes, les vertus. In IV am, dist. XIV, q. i, t. vi, p. 304 a et b. Philosophe, Capréolus est tout autant théologien et il s’efforce de maintenir la théologie au dessus du nominalisme qui en sape la certitude. En effet, le nominalisme ne trouve pas possible de faire des considérations psychologiques détaillées et analytiques à propos de la perfection simple de Dieu.

Vincent Ferrier.

Mais Capréolus, premier en

date des théologiens-philosophes thomistes, n’est pas le premier de ceux qui ont défendu, sans toucher à la théologie, le réalisme de saint Thomas contre les thèses de Guillaume d’Occam, le venerabilis inceplor. Pour la lutte contre le nominalisme, dès le xive siècle, le titre de princeps thomislarum qu’on donne souvent à Capréolus pourrait bien revenir surtout à ce magister Vincentius de Aragonia, dont des œuvres encore inédites paraissent se trouver à la Bibliothèque nationale de Paris et que la dévotion connaît sous le nom de saint Vincent Ferrier. Guillaume d’Occam avait établi son nominalisme théologique sur deux principes, l’un intéressant la thèse déjà théologique de la distinction des choses, l’autre relatif à la puissance de connaître dont bénéficie l’esprit humain tant en philosophie qu’en théologie. La première thèse est celle de l’unité de l’intellect. La seconde thèse est celle de la liaison ou de la séparation du discours humain rationaliste et du réel complexe mêlé de singularités irrationnelles. C’est, en langage nominaliste, la théorie des suppositions dialectiques. Ainsi, ce qui, selon le vocabulaire de l'époque, semble relever de la logique plutôt que de la religion met bien en question la théologie proprement dite. Vincent Ferrier démêlant les deux points de départ de l’idéologie occamiste et y répondant par deux ouvrages : Quæslio de unitale universalis et Traclatus de suppositionibus dialcctii is, tout en demeurant philosophe sur ce terrain de la logique et presque de la grammaire, défendait la base même de la théologie de saint Thomas. Ses deux écrits, trop peu connus, méritent d'être analysés.

1..Sur l’unité de l’universel. Il s’agit du mode d’existence de l’universel dans les choses. Le degré de réalité qu’il y possède se mesure à la plus ou moins grande distinction qui le sépare des individus où il se réalise. Voir art. Nominalisme, col. 735. Vincent Ferrier commence par bien poser, selon les préoccupations de son temps, la définition de l’universel : natura