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1799
1800
RAVIGNAN


fond, le plus religieux silence. Pas un désordre, point de force armée. Trois ou quatre mille voix d’hommes chantant le Miserere et le Slabat… J’avais donné mon adresse et déterminé six heures par jour, que je donnerais aux hommes qui voudraient me voir ; ils sont venus en foule. J’ai confessé toute la semaine, six à sept heures par jour, des hommes jeunes, âgés, distingués ou du commun, tous fort arriérés… J’ai reçu une certaine quantité de lettres, les plus touchantes, d’hommes revenus à Dieu et qui s’étaient adressés à d’autres. » En 1842, retraite et communion générale eurent lieu à la cathédrale. Foule immense, écrit le P. de Ravignan, et conversions nombreuses.

Et le mouvement continua ainsi grandissant, jusqu’en 1840. Au début, le Père parlait trois fois par jour : le matin à 7 heures pour le peuple, à une heure pour les dames, à 7 heures du soir pour les hommes. Mais il fallut, dès 1842, renoncera l’exercice du matin ; les forces de l’apôtre ne suflisaient pas à l’elîort. D’autant que, dans ces exercices, il se donnait tout entier. « Quel zèle, quel amour, quel feu ! Quelles bridantes étincelles nous sentions tomber dans nos âmes, quel ascendant dans ce grand chrétien », a écrit Poujoulat qui suivait ces retraites. Dans le t. iv des Conférences, le P. Aubert a publié quelques instructions des retraites de 1844, 1845 et 1846. Ce sont des sténographies prises à l’audition. Elles donnent une idée de la manière dont l’apôtre comprenait les exercices de la semaine sainte.

Dans la Vie due à la plume du P. de Ponlevoy on peut lire les noms de quelques hommes illustres convertis par le P. de Ravignan ; la foule anonyme des pêcheurs revenus à Dieu est bien plus touchante et glorieuse.

D’où venait à cet homme cet « ascendant » ? De rares qualités humaines l’expliquent en partie : il avait grand air, il était intelligent et instruit, sa parole avait une beauté mâle, ses convictions étaient fortes et la sincérité de son âme s’échappait dans sa voix bien timbrée et une action oratoire impressionnante. C’était un homme. A le voir, à l’entendre, on en était sûr. Personne, jamais, ne l’a pris pour un charlatan ou un dilettante heureux de jouer de son instrument pour étonner le public. Il faut aller plus outre : ce prêtre naturellement énergique, noble et éloquent, était un saint religieux. A l’école de saint Ignace, son âme s’était assouplie, trempée, transformée. Il priait, il faisait prier, il s’oubliait lui-même ; Dieu et les âmes absorbaient tout son cœur. Il disait en 1846 aux jeunes jésuites de Vais : « Dieu seul, cherché et obtenu par un travail courageux et patient, par une prière vive et souffrante, voila tout le secret de l’homme apostolique. Beaucoup parlent de la tête ; peu, très peu, du fond des entrailles ; les gens du monde ne s’y méprennent pas ». Sainte-Beuve ne s’y est pas mépris : Le P. de Ravignan, a-t-il écrit, « se lue à faire le bien ». Cette immolation de soi est. le propre des saints ; c’est aussi le secret du succès de leur apostolat. Le Père n’avait pas l’imagination et la richesse de couleur de Lacordaire ; il le reconnaissait, en ajoutant : « N’est pas peintre qui veut. » Dès la première année de sa prédication, on l’a appelé le Bourdaloue du XIXe siècle. Il en a la langue claire, la véhémence dialectique, le souci des conclusions qui importent à la conduite de la vie. Mais, aux dons humains qui lui manquaient, il suppléa abondamment par le rayonnement spontané de cette vie intérieure qu’il avait profonde, à la manière des grands apôtres, et par le crucifiement de soi en union avec Jésus crucifié, In cruce salus. Souvent il l’a rappelé aux autres. C’était sa pensée la plus constante et la plus intime dans le gouvernement de lui-même, la conclusion de ses oraisons et de ses retraites. Le journal spirituel de ce vail lant a été brûlé, lacérées les lettres écrites à ses supérieurs sur l’état de son âme. Seules ces pages nous auraient révélé le martyre qu’il souffrit, par la violence de son naturel, les assauts de l’enfer et la désolation de sa prière. Mais son historien en dit assez (Vie, t. ii, p. 347-368), pour que nous devinions ce que fut cette tribulation, presque aussi longue que la vie du P. de Ravignan. Et, au milieu de ce combat sans trêve, la volonté de ce vrai soldat du Christ demeurait « intacte et robuste ». Ce sera sans doute par cette fidélité courageuse qu’il aura mérité les grâces divines qui ont fécondé son apostolat.

IV. Autres écrits.

Nous l’avons déjà noté dans l’esquisse biographique, quand il descendit de la chaire de Notre-Dame pour n’y plus remonter, le P. de Ravignan consacra bien des jours de sa vie apostolique à des religieuses. Les filles de sainte Thérèse, de sainte Jeanne de Chantai et de sainte Sophie Barat l’entendirent souvent. Deux recueils sont sortis de ces entretiens, l’un dû aux soins des dames du Sacré-Cœur de la rue de Varenncs, l’autre aux soins des carmélites de la rue de Messine. Les deux ont eu plusieurs éditions. D’après le P. de Ponlevoy (Vie, t. ii, p. 305), le P. de Ravignan avait fait « un commentaire complet des méthodes de saint Ignace, dans lequel il appropriait à des femmes l’apostolat des Exercices ». Sommervogel n’en dit rien. En revanche, il mentionne, sur la vie chrétienne des femmes dans le monde, un opuscule demeuré incomplet, et qui fut édité par le P. Aubert. Des discours entendus ou des conférences publiées, divers auteurs ont tiré des choix de pensées, ou des réflexions sur l’abandon dans les souffrances. Mgr de Ségur a imprimé des souvenirs d’une retraite pascale du P. de Ravignan. Pendant les années 1844 et 1845 où la Compagnie en France et l’Église de France connurent quelques secousses, le P. de Ravignan s’employa à quelques travaux de défense religieuse. Il écrivit sur la liberté de l’Église un Essai dont le manuscrit subsiste encore ; il le publia en plusieurs articles dans L’Ami de la religion, en ces années de 1848 et 1849, où les catholiques étaient partagés entre la crainte et l’espoir en face d’une révolution nouvelle. Il avait aussi entrepris alors une apologie étendue de son ordre. Le pamphlet de Gioberti, // gesuita moderno, celui d’Eugène Sue et le livre du comte de SaintPriest sur la suppre*sion des jésuites, lui avaient paru exiger une réplique. Mais le loisir manqua pour achever ce plaidoyer estimé nécessaire. Il s’en tint à sa brochure De l’existence et de l’institut des jésuites. On sait qu’elle fut saluée par Lacordaire par un triple ban, dans une réunion du Cercle catholique que présidait l’archevêque de Paris. En quatre chapitres nerveux, l’auteur faisait connaître sous leur vrai jour, les Exercices spirituels et les Constitutions de saint Ignace, les doctrines, les missions de la Compagnie de Jésus. En terminant, il demandait hautement la revision morale d’un procès, où les griefs produits étaient imaginaires et où les accusés n’avaient été ni entendus ni jugés par sentence motivée. Assurément le livret du P. de Ravignan aurait sulli pour désarmer les calomniateurs, si la calomnie pouvait disparaître de la terre. Vatimesnil était un jurisconsulte de marque et un ami de Ravignan. Il prit occasion de la brochure, pour écrire un mémoire sur la situation légale des religieux en France ; ce mémoire figure en appendice dans quelques éditions De l’existence et de l’institut des jésuites. Il y est tout à fait à sa place. A la consultation Vatimesnil (devenue dans la suite celle de Demolombe et de Rousse) aucun juriste n’a répondu chose qui vaille.

Sur le désir du T. R. P. de Roothaan, général de la Compagnie de Jésus, le P. de Ravignan publia en 1854 un ouvrage intitulé Clément XIII et Clément XIV.