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RAVIGNAN.


cien, que pour enrichir le trésor des vérités certaines sur Dieu et sur l’homme ; et l’Église enseignante n’a succédé au Christ enseignant, que pour illustrer d’une plus vive lumière les leçons transmises par l’Évangile et la tradition apostolique.

C’est le spectacle de cette « lutte », et des deux cités toujours coexistantes, que le P. de Ravignan oiïre sans se lasser aux regards de ceux qu’il rassemble autour de sa chaire. C’est à la comparaison constante entre les doctrines antérieures ou opposées au christianisme et celles de l’Église, qu’il les invite, pour les déterminer à embrasser la foi catholique tout entière. Ainsi procédaient avec les païens les premiers Pères apologistes ; et saint Augustin, avec les manichéens de son temps.

Dans l’ordonnance de ses démonstrations, le P. de Ravignan aime à en appeler aux faits et à l’histoire. Il n’abonde pas en métaphysique. Sur la philosophie ancienne ou moderne, et sur les hérésies qui ont divisé l’Église au cours des siècles, il va per summa capita, dédaignant la broutille des détails et des textes, il cite peu, quoiqu’il ait lu beaucoup, sans doute aucun. La production en matière religieuse était considérable. Les philosophes s’en mêlaient avec Jouffroy, Cousin et Comte, les historiens avec Mignet et Miehelet, les naturalistes avec Geoffroy Saint-Hilaire, les géologues avec Constant Prévôt, les physiologistes avec Magendie, les professeurs de Sorbonne avec Quinet et Villemain, les prophètes de l’humanité nouvelle avec Lamennais, Saint-Simon, Leroux.

Hors de l’Église, et au besoin contre elle, des architectes audacieux entreprenaient de construire l’édifice de la philosophie, de la science, de l’histoire, de la politique, indépendamment de toute croyance. Des revues, des livres, des cours en Sorbonne mettaient en circulation ces propos et les ébauches de leur réalisation. Mgr de Quélen l’avait dit dans son mandement de 1834, c’est surtout en vue de la jeunesse des écoles que les conférences de Notre-Dame avaient été instituées. Il fallait donc que le conférencier, sans prétendre à être un maître universel, prît une teinture de toute cette littérature de la pensée rationaliste.

Heureusement, dans l’arsenal des anciens controversistes, bien des armes étaient bonnes encore. Parmi les hommes célèbres du xixe siècle, Ronald, Joseph de Maistre, Lamennais étaient au premier rang : et dans la Législation primitive, dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, dans l’Essai sur l’indifférence étaient ramassés des matériaux précieux. Depuis 1830, Ronnetty publiait, avec des amis catholiques, les Annales de philosophie chrétienne ; et leur dessein était précisément de combattre les erreurs courantes, et de drainer au profit de la religion catholique, les dernières nouvelles apportées par les chercheurs obstinés des secrets de la nature et de l’histoire, par les savants appliqués à l’étude des monuments de l’art et des institutions humaines.

Homme de conscience et travailleur acharné, le P. de Ravignan n’a point négligé ces ressources. Nous avons les mémoires qu’il rédigea, au début de sa carrière juridique, et de son professorat en théologie. Par là, nous connaissons ses habitudes intellectuelles : la sûreté du fond lui importait avant tout. Par ailleurs, ses lettres nous apprennent par quel labeur il préparait ses conférences, le martyre des recherches avant celui de la composition. Mais il sait que, dans la masse énorme des auditeurs qui se pressent autour de sa chaire, peu sont habitués à la gymnastique des idées, et aptes à suivre des discussions compliquées ou subtiles. Même les étudiants des écoles seront vite embarrassés en des problèmes nouveaux pour eux. Le conférencier de Notre-Dame n’est point le professeur d’une élite et le directeur d’un séminaire de cher cheurs ; il est l’évangéliste des ignorants dans une matière vaste comme l’histoire de l’infini. Le P. de Ravignan va donc tout droit aux formules brèves, claires, significatives, qui dégagent l’essentiel des systèmes et des faits. Tout en étudiant les idées anciennes il ne manque point, par une allusion rapide, de marquer le point de contact des formules de jadis avec celles du jour. Et pour animer cet exposé, parfois difficile, toujours austère, il a le don de la clarté, une grande force de logique, la vivacité de sa foi, un désir ardent de convaincre, la compassion pour ceux qui vivent dans la nuit, l’assurance, la fierté, la paix de son âme croyante.

III. Influence.

Au début, il faut le dire, le nouveau prédicateur de Notre-Dame avait contre lui l’incomparable éclat de la parole de Lacordaire ; le fait d’un moindre don oratoire, la défaveur attachée au nom même des jésuites, le mettaient en situation difficile. Il le sentait mieux que personne, ses lettres de 1837 en témoignent. Mais, fort de l’obéissance, il monta dans la chaire illustre. Son auditoire fut pris, dès le premier contact. Bonnetty, triomphant, disait aux journalistes incrédules (Annales de phil. ciirél., 30 avril 1837, p. 292) : « Venez donc voir, vous qui disiez l’année dernière… c’est la curiosité, c’est la mode… le même concours a eu lieu, le même empressement, la jeunesse a tout d’abord sympathisé avec l’orateur. » L’année suivante, saluant à la fois Ravignan et Lacordaire, le même Ronnetty leur criait (ibid., 30 juin 1838, p. 418) : « Continuez votre carrière, c’est à vous qu’était réservée la gloire toute chrétienne de réconcilier le siècle avec la religion. Quant aux critiques isolées, forts de l’approbation de vos évêques, laissez-les passer inaperçues et impuissantes. La fréquence de vos auditeurs et les conversions qui suivent répondent assez pour vous. » L’enseignement scientifique de la religion, observait encore Bonnetty, « est exilé des églises et des universités », il se cache dans les séminaires « où il n’est pas toujours à la hauteur des connaissances actuelles », les évêques essaient de le faire revivre dans les facultés de théologie de l’État ; mais la véritable chaire de cet enseignement, elle est dressée dans » la vieille cathédrale de Paris » (ibid., avril 1841, p. 246).

Donc un auditoire grandissant était assuré au P. de Ravignan et il faisait à Notre-Dame œuvre de lumière. C’est en l’année 1841, qu’il institua, pour couronner la station, la retraite pascale. Des fruits merveilleux s’ensuivirent. L’orateur lui-même adressait à ses auditeurs ces mots qui disent tout, sur les lèvres d’un homme si modeste : « Les cœurs se pressent comme les rangs autour de la chaire sacrée. Il y a vie encore dans les âmes. La langue apostolique est acceptée, comprise, les consciences heureusement troublées, et déjeunes et nombreux courages, recouvrant toutes les impressions de la foi, ne craignent pas, en son nom, de triompher hautement du monde et des passions. Messieurs, j’ai besoin de vous le témoigner dans ces derniers instants qui nous rassemblent, vous avez rempli mon âme de joie et d’espérance. Ces sentiments avaient fui de mon cœur, je l’avoue, mais vous avez montré dans ces heures bénies de la retraite tout ce que la religion conserve encore de force et de puissance… Non, je ne veux plus désespérer de l’avenir. »

Comment en aurait-il désespéré ? Quatre années d’expérience lui avaient révélé qu’il avait son auditoire bien en main. Commencée dans la petite église de I’Abbaye-aux-Rois, en face de centaines d’hommes entassés, la retraite avait continué dès le lendemain à Saint-Eustache. Écoutons le P. de Ravignan : « Fer-’rures des portes, crénelures des piliers, grilles, tout était couvert d’hommes suspendus ; nef et bas-côtés inondés et pressés plus que de raison ; et le plus pro-