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RATIONALISME. LA FIN DU XIX* SIÈCLE


Les disciples de Darwin et de Spencer modifient parfois leurs positions. Huxley (1825-1895) dans Man’s place in nature, 1863, Collected essays, 1894, veut la rupture de la science avec toute hypothèse métaphysique ou religieuse : « Mon axiome fondamental de philosophie, dit-il, est que matérialisme et spiritualisme sont deux pôles opposés de la même absurdité, l’absurdité de penser que nous connaissons n’importe quoi de l’esprit ou de la matière ». — John Fiske, dans Darvinisme, 1879, The desliny of man, 1884, voit dans l'évolution une finalité immanente, puisqu’elle tend au développement de la conscience et de l’intelligence : l’expérience nous fait donc connaître un Dieu immanent, âme du monde. — L’Allemand Hœckel (18341919), Naturliche Schôpfungsgeschichte, 1868, Anthropogenie, 1874, Énigmes du monde, 1899, professe un monisme mécanique qui rend nettement inutiles Dieu, la liberté et l’immortalité : l’homme n’est qu’un agrégat de matière et d'énergie. Par une évolution de ce monisme, dans les Lebensivundern, 1904, il verra la vie dans la matière brute elle-même et Dieu identique au monde. Mécaniste, matérialiste et athée, tel se présenta tout d’abord l'évolutionnisme. Cf. Le Dantec, Lamarckiens et Darwiniens, 1899 ; A. V. Benn, History of English rationalism in the xix ia centurꝟ. 1906 ; Carrau, La philosophie religieuse en Angleterre depuis Locke jusqu'à nos jours, 1888 ; Nédoncelle, La philosophie religieuse en Grande-Bretagne de 1850 à nos jours, 1934.

3. En France, influence du positivisme. L’histoire contre les croyances. — Tandis qu’en Angleterre le rationalisme faisait siens le transformisme et l'évolutionisme, en France le positivisme d’Auguste Comte dominait certains esprits qui s’en faisaient les apôtres. Littré (1801-1881), disciple de Comte — sauf en ce qui concerne la religion de l’humanité, que Pierre Lafiîte au contraire acceptait pleinement — ne raisonne dans ses ouvrages, Conservation, révolution, positivisme, 1852 ; La science au point de vue philosophique, 1873 ; Fragments de philosophie positive et de sociologie contemporaine, 1876 ; Auguste Comte et le positivisme, 1873, et dans ses articles du National, où il collaborait avec Armand Carrel, 1844, 1849-1851, que d’après les principes de son maître : « L’immutabilité des lois naturelles à rencontre de la théologie, qui introduisait des interventions surnaturelles ; le monde spéculatif limité, à rencontre de la métaphysique qui poursuit l’infini et l’absolu ».

Mais c’est dans l’histoire surtout que se manifeste l’influence du positivisme. Certes, Michelet (1798-1874) à partir de 1843 et son ami Quinet qui l’avait aidé à composer le livre Des jésuites, 1843, n’avaient pas ménagé l'Église. Mettant en scène le peuple de France, Michelet voulait trouver la force mystérieuse incoercible qui en explique la vie. Or, « dans la banalité des fdées…, avec la violence d’un encyclopédiste », Brunetière, Manuel de l’histoire de la littérature française, 2e édit., 1899, p. 455, Michelet dénonçait comme ennemie du progrès l'Église, bannissait toute intervention divine de la vie de la France et donnait comme force historique, suffisant à expliquer tout l’esprit, l'âme du peuple de France. Cf. Le prêtre, la femme et ta famille, 1845 ; Le peuple, 1846 ; Histoire de la Révolution française, 1847-1853, 7 in-8° ; La Bible de l’humanité, 1864. — Autre est Taine (1828-1893), philosophe, critique et historien dont les œuvres principales sont Essai sur les fables de La Fontaine, 1853 ; Les philosophes français du xviiie siècle, 1856 ; Histoire de la littérature anglaise, 1863, 5 vol. in-12 ; De l’intelligence, 1870 ; Les origines de la France contemporaine, 1876-1890, 6 vol. in-8°. Taine est déterministe absolument, sans restrictions ni réserves. « Dans la pensée du philosophe, a-t-on dit en reprenant un de ses mots, l’univers se ramenait à une hiérarchie de lois inexorables, enfonçant au

cœur de toutes choses, sans excepter le cœur de l’homme, les tenailles d’acier de la nécessité. » « Au suprême sommet des choses, a-t-il dit lui-même, se prononce l’axiome éternel, et le retentissement prolongé de cette formule créatrice composé par ses ondulations inépuisables, l’immensité de l’univers. Toute forme, tout changement, tout mouvement est un de ses actes. L’indifférente, l’immobile, l'étemelle, la toutepuissante, la créatrice, aucun nom ne l'épuisé. » Les philosophes français, p. 371. C’est donc en naturaliste qu’il étudie l’homme, ses œuvres, les sociétés. Toute intention, toute préoccupation morale doit donc être bannie. Au reste, le savoir crée la moralité, « la lumière de l’esprit » procure partout « la sérénité du cœur ». Pour comprendre un homme, une époque, l’historien, le critique doit se souvenir des lois qu’a fixées la nature elle-même : loi de la corrélation des formes ou de connexion nécessaire : toutes les aptitudes et inclinations d’un homme, d’une époque sont interdépendantes ; aucune ne peut varier sans que les autres varient d’autant ; loi du caractère dominateur : chaque homme est le produit de sa race, de son moment, de son milieu, mais il y a en lui une faculté maîtresse que le critique doit rechercher. La psychologie devient l’histoire naturelle des esprits ; la morale, celle des mœurs. Cf. V. Giraud, Essai sur Taine, 1904 ; Hippolyte Taine, 1928 ; A. Chevrillon, Taine, formation de sa pensée, 1932.

Renan (1823-1892) intéresse cette étude à deux titres ; parce qu’il croit à la science ou plutôt au scientisme et qu’il s’est fait l’historien des origines chrétiennes. On connaît ce livre, L’avenir de la science, qu’il composa en 1848, aux premiers temps de son amitié avec Berthelot, lui aussi pénétré de la religion de la science. Il y formulait ces principes : Il n’y a pas de surnaturel. « Ce n’est pas d’un raisonnement mais de tout l’ensemble des sciences modernes que sort cet immense résultat. » Pas de révélation : « La science ne comprend son but et sa fin qu’en dehors de toute croyance surnaturelle. » Pas de miracle : la croyance au miracle est la conséquence des conceptions anthropomorphiques de l’humanité primitive. La loi des trois états est incontestable. Non moins incontestable, la loi du progrès indéfini. Et, à ce point de vue, ce qu’il importe d'étudier, ce n’est pas l’homme, c’est l’humanité, comme l’a vu Comte. Elle est, non un total d’individus, mais un être organisé qui tend vers sa force. Dans ce développement organique, la Révolution de 1789 marque une date capitale. C’est le passage de l’humanité de l'état spontané à l 'état réfléchi. Mais l’humanité n’est pas encore organisée scientifiquement. C’est au savant que revient cette tâche et d’abord au philologue (il appelle philologie toutes les sciences qui aident à reconstituer le passé et donc à construire l’avenir). La science a aussi pour tâche d’organiser Dieu scientifiquement, c’est-à-dire de « faire Dieu parfait », autrement dit de réaliser la grande résultante définitive qui clora le cercle des choses par l’unité ». Le mot Dieu résume nos besoins suprasensibles, la catégorie de l’idéal et en même temps la limite où l’esprit s’arrête dans l'échelle de l’infini. Savoir est la première condition pour s’initier à Dieu et à mesure que son savoir s'élève, l’humanité crée Dieu.

Renan reviendra sur la question du miracle dans son Histoire des origines chrétiennes, en particulier dans l’introduction aux Apôtres. Il y affirme qu’il n’exclut pas le miracle au nom d’une métaphysique, mais de l’expérience. Puisque le miracle est un fait, il doit être constaté selon les méthodes des sciences d’observation, et soumis comme eux à des expérimentations, mais à des expérimentations officielles, préparées, répétées, vu son importance. Quel miracle a été ainsi constaté? Ceux que l’on a affirmés, étudiés de près, se sont résolus en impostures ou en illusions.