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RATIONALISME. LE X I Xe SIÈCLE, ALLEMAGNE


l’ambition de dominer et il s’est fait l’instrument des puissants. Le luthéranisme est plus coupable encore. Le personnel religieux doit être remplace par un personnel nouveau : les « philanthropes », savants et industriels, remplaceront les prêtres. L'âge de la connaissance théologique ou métaphysique fera place ainsi à un état positif, c’est-à-dire, reposant sur la science expérimentale. Cf. le Système industriel, 1821 ; le Nouveau christianisme, 1825.

Son disciple. Auguste Comte ( 1 708-1857) a une bien autre importance, puisque son influence dominera la seconde moitié du xixe siècle. Cf. Cours de. philosophie positive, 1830-1812 ; Discours sur l’esprit positiꝟ. 1844 ; Discours sur l’ensemble du positivisme, 1848 ; Système de politique positive, 1851-1854 ; Catéchisme positiviste, 1852 ; Synthèse subjective ou système universel des conceptions propres à l'étal normal de l’humanité, 1856. Son but est la réorganisation de la société pour le bonheur de l’humanité. Le xviii siècle avait attendu ce bonheur, soit, avec l’Encyclopédie, d’un développement général de la raison, affranchie des croyances religieuses, éclairée parles sciences, selon la loi du progrès ; soit, avec les économistes, des sciences se rapportant directement aux faits sociaux. Comte unit les deux courants. Il y a dans le positivisme des négations et une partie constructive. Suivant une loi nécessaire d'évolution intellectuelle, l’humanité a passé par deux phases : la phase théologique, où, pressé par son besoin d’explication, l’homme a eu recours aux causes surnaturelles ou anthropomorphiques ; la phase métaphysique, où à ces causes il a substitué des causes abstraites, occultes, causes premières et causes finales, créations de son esprit. Il est arrivé avec les progrès de la science à un troisième stade, l'âge positif, où, répudiant toutes les hypothèses métaphysiques, n’acceptant pas plus l’athéisme et le panthéisme que la providence, excluant toute recherche des causes premières ou des causes finales, cessant de chercher l’explication de l’univers en dehors de lui, la science se contentera « de découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, les lois effectives des phénomènes, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude ». Cours de philosophie positive, l rc leçon. C’est la négation de la théologie et de la métaphysique. Dieu devient l’inconnaissable ; l'âme humaine également. Kant avait précédé le positivisme dans cette voie. D’autre part, la religion étant le pouvoir de régler les volontés individuelles et de les rallier, Comte sera amené par ses déductions à la religion de l’Humanité. Cette religion mettra fin à « la régence de Dieu », indispensable pendant la minorité de l’humanité, et dès lors au conflit entre l’intelligence critique et la théologie.

2. En Allemagne.

a) Les philosophes. — Il n’y a pas à s’arrêter longuement à Goethe (1749-1833) et à Schiller (1759-1805). Il faut parler d’eux cependant car ils orientèrent la pensée allemande dans le sens d’une culture purement humaine. Pris d’abord dans le mouvement romantique du Slurm und Drang, réaction contre Y Aujldàrung et le classicisme, ils revinrent, à peu près en même temps, à l’idée (l’humaniser l'âme allemande — nullement de la christianiser — et pour cela de la mettre à L'école de la Grèce antique. C’est la qu’il fallait chercher « le Canon éternel de l’humanité », « l’Universel humain » ; c’est a celle école qu’ils réalisèrent « la sagesse de Goethe ».

De ce moment datent également trois penseurs continuateurs de Kant, Fichte(1762 181 I), Schelling (1775-1854), Hegel (1770-1831). Fichte, professeur a l’université d’Iéna, finit par devenir professeur à l’I Ini versité de Berlin où il prononça ses fameux Discours (i la nation allemande, Dans son livre Sur la croyance d’un gouvernement divin du monde, 1798, reproduisant

la critique de Kant contre les preuves de l’existence de Dieu, il ramenait le divin à l’ordre moral ou à la Raison suprême qui rend le monde intelligible. Faire ce qu’on doit sans songer aux conséquences, se conformer par conséquent à l’ordre moral, voilà le divin pour nous ; n’agir qu’en vue des conséquences heureuses ou malheureuses, voilà l’athéisme. Celui qui croit au devoir croit à Dieu. Plus tard, il fait de Dieu l’Absolu dont nous tirons lumière et béatitude. « Le philosophe voit comme du dehors et par ré flexion l'éternelle production du Verbe par l’Absolu ; il la voit dans la mesure où ce Verbe se réfracte en des consciences individuelles, dont l’une est lui-même, et où l’aspiration libre de sa conscience vers la vie spirituelle se pose comme devoir moral. Mais, ni mystique, ni naturaliste, la pensée de Fichte trouve son expression dernière dans le dogme fondamental du christianisme : ce dogme c’est l’incarnation du Verbe ; et cette incarnation, c’est le développement progressif de la moralité et de la raison dans le monde. i L’homme devient l’instrument de Dieu. É. Hréhier, loc. cit., p. 710.

Schelling, comme Fichte, professe un panthéisme idéaliste pour qui Dieu, l’Absolu, est tout. Nature et Esprit ne diffèrent de l’Absolu qu’en ceci : dans le sujet-objet Nature, il y a un excès d’objectivité ; dans l’Esprit, il y a un excès de subjectivité. Plus tard, sans renoncer à l’unité de substance, mais pour se séparer du panthéisme logique de Hegel, Schelling revient à une certaine notion de la personnalité divine. Et il affirme que, de la religion telle qu’elle est donnée parle christianisme, la philosophie doit tirer la religion pleinement spirituelle. Von Hartmann appelle ce système le panthéisme de la personnalité. Cf. Weber, Examen critique de la philosophie religieuse de Schelling, Strasbourg, 1860.

Plus abstrait encore est le panthéisme de Hegel. Dieu, pour Hegel, n’est pas seulement l'Être en soi, la Substance : il est surtout l’Esprit absolu. Il n’y a de réel que l’Idée. L’Esprit c’est l’Idée prenant conscience d’elle-même. Où l’Idée prend-elle conscience d’ellemême ? Cène peut être qu’en l’homme ; l’esprit humain, c’est donc l’esprit universel lui-même. L’Art, la Religion, la Philosophie expriment l’Idée d’une manière de plus en plus parfaite. Parmi les religions, la religion absolue, vraie, où 1'Ksprit se dévoile, c’est le christianisme, mais le sommet c’est la philosophie, qui traduit le christianisme en langage spéculatif et Dieu ne se connaît que dans et par cette culture. Cf. Renan qui fera de Dieu la « catégorie de l’idéal ». Voir P. Roques, Hegel, sa vie, ses œuvres, 1912 ; B. Hermann, System und Méthode in Hegels Philosophie, Leipzig, 1927 ; P. Wahl, Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, 1931.

Ces théories provoquèrent des réactions de la part des orthodoxes assurément, mais aussi de la part de non orthodoxes. Tel Schleicrmacher (1768-1834). Il est loin d'être un rationaliste à proprement parler, mais son christianisme se ramène au fond à une religion naturelle. Le christianisme c’est moins le dogme — la dogmatique chrétien ne doit comprendre uniquement les croyances indispensables — que le sentiment qui nous unit au Christ historique, tel du moins qu’il se présente dans l'évangile de saint Jean. Manière de voir qui reconnaît la valeur de la critique historique. Peu importe maintenant que l'Être suprême dont nous nous sentons dépendants soit un être personnel ou non. La religion c’esl le sentiment de notre dépendance et nous nommons Dieu, l'être multiple ou un, personnel ou non, selon les religions, dont nous dépendons. Schleicrmacher pense d’ailleurs que Dieu et le monde ne sont que deux valeurs pour une même chose, sans accepter cependant d'être panthéiste.

D’autres ramenèrent le matérialisme. Feucrbach