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RATIONALISME. L’APPARITION DE L’ALLEMAGNE


une solution qui fût acceptée de tous. Wolf donc, qui enseignait à l’Université de Halle y publia une sorte de théodicée de tendance rationaliste, Pensées philosophiques sur Dieu, 1719. Lui aussi avait cru trouver le moyen de réconcilierles confessions religieuses hostiles, en établissant rationnellement des vérités religieuses acceptables pour tous, édifiant ainsi une religion « naturelle », c’est-à-dire rationnelle. Il y cherchait aussi à édifier une morale qui garderait sa valeur, même si Dieu n’existait pas. Il fut ainsi amené à nier le surnaturel : c’est notre raison, dit-il, qui juge de la vérité d’une doctrine révélée. Quant au miracle, il serait contraire à la gloire de Dieu et ne prouverait rien : l’ordre du monde étant infiniment supérieur. Enfin, en 1726, après avoir formulé une morale dont la règle essentielle était : « Fais ce qui te rend plus parfait toi et ton prochain et abstiens-toi de l’opposé », c’est-à-dire une morale individualiste et naturaliste, il proclama la morale de Gonfucius supérieure à celle du Christ. Dans les universités et dans le monde lettré d’Allemagne, ce fut alors l’A u//r/ârun<7, l’époque des lumières, que Kant définissait « l’émancipation de l’homme sortant de la minorité intellectuelle où il a vécu jusqu’alors du fait de sa propre volonté. Ose faire usage de ton jugement ! Voilà la formule de VAufklârung ». Cité par J.-L. Spenlé, La pensée allemande, 1934, p. 31.

Mais en Allemagne le christianisme s’identifiait avec l’Écriture. Comme en Angleterre l’on va y chercher à l’interpréter rationnellement. Hermann von derHardt (1660-1746), dès 1723, dans ses JEnigmata prisci orbis, s’efforcera d’éliminer le surnaturel de la Sainte Écriture.

b) L’entourage de Frédéric II. — En 1740, l’avènement de Frédéric II (1712-1786), le roi philosophe, le protecteur de Maupertuis, de La Mettrie, de l’abbé de Prades, l’ami de Voltaire, ne pouvait que donner une impulsion au rationalisme allemand. Humilié de voir ses États en retard sur les autres nations, « il se disait que c’était à lui d’inaugurer cette nouvelle ère de Renaissance dans le Nord ». Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. iii, p. 146. Et, dans la lettre où il sollicitera Voltaire, alors à Cirey, d’entrer en relation avec lui, à la louange de Voltaire il unira celle de Wolf. Dès lors, l’Allemagne intellectuelle marche à grands pas dans la voie ouverte. Baumgarten (1706-1757), professeur de théologie à Halle, sera un disciple de Wolf, ainsi que son élève Semler (1721-1791), qui publia 171 écrits théologiques dont le principal est un Traité du libre usage du canon, 1771-1775, 4 in-8°. Il y soutenait que la Bible n’est pas la règle de la foi, mais le catalogue des livres officiellement désignés pour être lus dans l’Église. L’autorité de la Bible est conventionnelle. Est inspiré tout ce qui édifie le lecteur. La Bible contient la vérité religieuse sans la constituer elle-même. Quelques années auparavant, un professeur de théologie et de littérature comparée à Leipzig, Erncsti (1707-1781), dans son Institulio interpretis Novi Testamenti, 1761, avait récusé, pour l’interprétation de la Bible, l’autorité de l’Église, le sentiment propre, la méthode allégorique, les systèmes philosophiques et repris la règle de Richard Simon : Una eademquc ratio interpretandi communis est omnibus libris, qu’il avait lui-même reçue de Wettstein de Bàle (1693-1754).

c) Lcssing. — D’une tout autre envergure fut Lessing (1729-1781), élèved’Ernesti. C’était un sceptique, à la manière de Bayle, avec l’accent de Voltaire. Il était connu de toule l’Allemagne pour ses travaux littéraires, lorsqu’il devint, en 1770, bibliothécaire de Wolfenbuttel. C’est là qu’il publie de 177 1 à 1777, Les fragments de Wolfenbiillel, écrit du déiste Heimarus (16941768), l’auteur du livre intitulé Les principales vérités de la religion naturelle, 1760, où il soutenait que la religion doit être cherchée dans le cœur humain et dans

la nature, autant que dans le catéchisme. Cet écrit n’était pas destiné à être publié. Il attaquait en effet tout ce que vénérait l’Allemagne chrétienne, protestante ou catholique, les Livres Saints et la personne même du Sauveur. Dans la controverse queLessingeut à cette occasion avec le premier pasteur de Hambourg, Goeze, il affirme l’égalité de toutes les religions, parce que toutes, le christianisme comme les autres, ont leur fondement véritable dans le cœur de l’homme. Le christianisme n’est pas vrai parce qu’il est dans la Bible ; il est dans la Bible parce qu’il est vrai. Au reste, appliquant à la religion la théorie du progrès indéfini, il soutient dans sa brochure, l’Éducation du genre humain, 1780, que le christianisme n’est qu’un stade dans révolution religieuse de l’humanité. Ce qui importe plus que d’atteindre la vérité absolue c’est de vivre la vérité que l’on détient. A Lessing s’opposera Jacobt (1743-1819), d’accord avec Herder (1744-1803) dans son aversion pour le rationalisme, avec la conscience profonde qu’il avait du mystère partout répandu et au nom du sentiment très vivant en lui des vérités morales.

d) Kant. — « Tiré de son sommeil dogmatique par Hume », plus encore peut-être par Rousseau, cf. Delbos, La philosophie pratique de Kant, Paris, 1905, p. 125, Kant (1724-1804), (voir son article), refuse à la raison théorique le droit d’établir les bases de la religion et repousse l’idée que la religion puisse dépendre de traditions historiques quil’imposent à l’homme passif. Mais il a été élevé dans le piétisme et il est disciple de Rousseau : il maintiendra donc la religion, mais uniquement sur le plan de la morale qui la crée ; disciple de Wolf, il ne l’admettra que « dans les limites de la raison ». « La religion consiste pour lui dans la volonté stable d’accomplir nos devoirs pour plaire à Dieu. » É. Bréhier, loc. cit., p. 554. Il ne refuse pas au christianisme le droit d’être « la religion » ainsi entendue, parce qu’il peut s’adapter. Pour exprimer ses théories, Kant usera du langage chrétien. « Au moment de rédiger la Religion dans les limites de la simple raison, 1793, il relira le catéchisme qui, quelque soixante ans auparavant, lui avait fait connaître les thèmes fondamentaux du christianisme. » Brunschv/ieg, L’idée critique et lesystème kantien, dans Revue de métaphysique et de morale, avril-juin 1 924, p. 197. Mais, si « la religion » n’est que le bon vouloir moral se rapportant à Dieu, le christianisme ne peut être la religion, qu’en laissant tomber tout ce qui ne va pas à cela : ses données et ses preuves historiques ; l’idée de révélation qui d’ailleurs n’est pas d’une expérience possible ; l’inspiration des Écritures, qui n’ont aucune valeur dans tout ce qui est autre chose qu’une leçon de morale ; le miracle, qu’on ne peut d’ailleurs constater dans le déterminisme phénoménal universel ; ses affirmations doctrinales ; ses exigences cultuelles, la prière même. Vaines sont donc les querelles entre théologiens ; vaine la prétention du christianisme d’être transcendant et vrai par rapport aux autres religions positives. Et même dans les dogmes qu’affirment ensemble le christianisme et la religion kantienne, quelles différences 1 Comme le Dieu de Kant est loin du Dieu de Luther I loin de la Providence de Bossuet. Cette Providence, Kant la condamne spécialement, puisqu’elle subordonnerait l’effort moral de l’homme autonome à des desseins définis de toute éternité. Le christianisme est donc bien la religion en tant qu’il satisfait à l’idée de moralité. Toutefois, « ce n’est pas seulement d’une façon négative, parce qu’il en respecte les exigences, c’est aussi dans ce sens positif qu’il ajoute à ce que, par lui-même, l’homme est capable de déterminer, même de concevoir. » Brunschvicg, op. cit., p. 192. Kant adapte à sa doctrine le dogme du péché originel et le transforme en « mal radical ». « Le mal radical, c’est la volonté mauvaise, en son fond, soumise aux passions