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RATIONALISME. L’APPARITION DE L’ALLEMAGNE


l’Institut, comme ceux-là régnaient à l’Académie ; un journal, la Décade philosophique répandra leurs idées. La première génération des idéologues, ceux qui sont morts avant la fin du siècle comprend : Condorcet, Volney, Dupuis.

Condorcet (1743-1794) est l’auteur d’une Vie de Voltaire, 1787, où il loue Voltaire d’avoir combattu toute sa vie contre les préjugés, d’une édition des Pensées de Pascal, précédée d’un Éloge de Pascal, où il fait de Pascal un sceptique et un malade, où il met en valeur dans un groupe, sans les correctifs et les éclaircissements donnés par Pascal, tout ce que celuici a dit des obscurités de la foi, des controverses sur les miracles, et où beaucoup de notes sont simplement les Remarques de Voltaire ; il est l’auteur aussi deY Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’Esprit humain, 1795. « A un moment donné le soleil n'éclairera plus que des hommes libres, ne reconnaissant de maître que leur raison… La perfectibilité de l’homme est indéfinie, en ne lui supposant que les facultés et l’organisation dont il est aujourd’hui pourvu. Mais les facultés et l’organisation elles-mêmes peuvent s’améliorer. » Progrès indéfini donc dans les sciences physiques, où l’esprit n’aura jamais épuisé tous les faits de nature, dans leurs applications techniques et aussi dans les sciences morales, où l’on peut toujours chercher une plus exacte combinaison de l’intérêt de chacun avec l’intérêt de tous, et par conséquent un progrès dans le bonheur. Condition : une éducation bien orientée qui protège l’homme des préjugés religieux car ils l’enferment dans d'étroites limites. — Volney (1757-1820) est l’auteur des Ruines ou méditations sur les révolutions des empires, 1791, où, cherchant l’origine des religions, afin de déterminer leur rôle, il voit en elles avant tout, suivant la tradition de Fontenelle et avant Auguste Comte, une fausse physique. En quête d’une solution à l'énigme du monde, l’homme a divinisé les forces physiques, de là le culte astiologique d’où tous les autres sont dérivés. Le progrès de la science expliquant les choses dissipera l’erreur et assurera le bonheur de l’homme. Comme Condorcet, il voit dans les sciences physiques et morales l’indispensable moyen pour rendre l’homme heureux ; il est l’auteur encore du Catéchisme du citoyen français, 1793, qui deviendra plus tard la Loi naturelle ou les principes physiques de la morale. La loi naturelle où l’ordre régulier et constant des faits avertit l’homme que Dieu existe ; l’homme rend à Dieu ses devoirs en se conformant à l’ordre qu’il a fixé. La douleur et le plaisir, seuls guides de l’homme, qui vit d’ailleurs en société, lui enseignent ce principe fécond : le devoir de l’homme est de se conserver et de développer ses facultés ; de là dérivent en effet les idées de bien et de mal, de vice et de vertu, de juste et d’injuste, qui fondent la morale de l’homme individuel et social. — Dupuis (1742-1809) est connu pour son livre De l’origine de tous les cultes (3 vol. in-4° et atlas, 1794, 12 in-8°). Il en donnera en 1798 un Abrégé. Il pose ce principe : « On écrivit autrefois l’histoire de la nature et de ses phénomènes comme on écrivit depuis celle des hommes et le soleil fut le principal héros de ces romans merveilleux ». Les mystères païens de Mithra, d’Isis et Osiris sont des mythes solaires. Or le Christ est identique à ces dieux païens, avec cette différence, que ceux-ci ont été chantés avec plus de génie que lui ne l’est dans les évangiles. Le Christ est donc le Soleil. « De toutes les formes du culte rendu au Soleil, c’est avec celle des Perses que la secte du Christ semble avoir plus de ressemblance. » Le christianisme traditionnel est donc à rejeter d’autant plus qu’il prêche une morale révoltante ; il faut le détruire. — Sylvain Maréchal (17501803), donna en 1797 son Almanach des honnêtes gens, où, avant Auguste Comte, il remplace les saints par des hommes illustres, et en 1800 un Dictionnaire des athées

où figurent Jésus-Christ et saint Justin, Bossuet et Bellarmin… !

Une seconde génération d’idéologues, comprendra Laplace, Cabanis, Destutt de Tracy. — Laplace (17491827) faisait servir la science à son rationalisme. Dans son Exposition du système solaire, 179C, et son Traité de mécanique céleste, 1799, « avec Volney et Dupuis, il fait des connaissances astronomiques la base de toutes les théogonies. Il parle du fanatisme et de la superstition (autrement dit, du christianisme) comme Volney ou Naigeon ; des causes finales comme l’expression de l’ignorance où nous sommes des véritables causes ; de l’esprit philosophique comme Voltaire… » Picavet, Les idéologues, p. 170. — Le médecin Cabanis (1757-1808), dont le principal ouvrage est fait de ses mémoires sur les Rapports du physique et du moral de l’homme, 1802, et répond « à un espoir très vif à cette époque, celui de constituer des sciences morales qui, égalant en certitude les sciences physiques, puissent fournir une base suffisante à une morale indépendante du dogme et ramenée à la recherche du bonheur individuel que l’on considérait d’ailleurs comme indissolublement lié au bonheur de tous », est non seulement un moniste, mais il partage l’optimisme naturaliste du xviii c siècle : « la nature a en elle-même les conditions nécessaires et suffisantes de son progrès ». É.Bréhier, op. cit., t. ii, p. 607610. —Destutt de Tracy (1754-1836), qui s’occupa surtout de dresser des plans d'éducation, était convaincu que « la théologie est la philosophie de l’enfance du monde ; il est temps, disait-il, qu’elle fasse place à celle de son âge de raison ; elle est l’ouvrage de l’imagination, comme la mauvaise physique et la mauvaise métaphysique qui sont nées avec elle, dans des temps d’ignorance et qui lui servent de base, tandis que l’autre est fondée sur l’observation et l’expérience ». Cité par É.Bréhier, ibid., p. 600. Ainsi se préparait le positivisme. Cf. Damiron, La philosophie en France au.Le siècle, 1828 ; Joyau, La philosophie en France pendant la Révolution, 1893 ; Chabot, Destutt de Tracy, Moulins, 1895 ; Chinard, Jefferson et les idéologues, 1923. Cependant, Laromiguière (1756-1837), Maine de Biran (1766182 1), qui comptaient alors parmi les idéologues, associaient le sensualisme de Condillac au spiritualisme, surtout Maine de Biran qui devait aboutir à un spiritualisme chrétien et, dès 1803, portera un coup décisif au sensualisme par son mémoire intitulé : Ce qu’est l’influence de l’habitude sur la faculté de penser. Sur Laromiguière, voir Laini. Philosophie de Laromiguière, 1867 ; Alfaric, Laromiguière et son école, 1929. Sur Maine de Biran, A. de La Valette-Monbrun, Maine de Biran. Essai de biographie, 1914 ; Maine de Biran, critique et disciple de Pascal, 1914 ; E. Bostan, La religion de Maine de Biran, 1890.

2. En Allemagne. De ^Yolf à Kant. — Absorbée par la question confessionnelle, l’Allemagne fut jusqu’au xviiie siècle en dehors de la pensée moderne et de ses mouvements. Au xviii c siècle, cette pensée lui arrive sous la forme du rationalisme anglais, dont le piétisme de Spener (1635-1705), faisant bon marché du dogme, facilitait l’acceptation. Si quelques-uns s’employèrent à l, i réfuter — ainsi Kortholt, De tribus impostoribus (Herbert, Spinoza, Hobbes), Kiel, 1679 ; Musseus, Examen Cherburianismi, Wittemberg, 1708 ; Mosheim, De vita, fatis et scriptis Tolandi, en tête des Vindiciæ antiquæ christianorum disciplina', Hambourg, 1720 ; Fôker, Examen paralogismorum Woolstoni, Leipzig, 1730 — tandis que la France entrait également dans la voie du déisme, le rationalisme se faisait écouter également de l’Allemagne, Wolf lui servit d’introducteur.

a) Wolf (1679-1754) était le disciple de Leibnitz (1646-1716), cet éternel conciliateur, qui se proposai t de réconcilier la raison et la foi et de donner à tous les problèmes religieux qui divisaient l’humanité chrétienne