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RATIONALISME. L' E NC YC LO PÉ D I E


principes : souveraineté de la raison, autonomie de la science, certitude du progrès indéfini, basé sur la science, morale du bonheur et du devoir social, déisme mais pas de providence, matérialisme en somme et par-dessus tout anticatholicisme. Cf. M. Muller, Essai sur la philosophie de Jean d’Alembert, Paris, 1926.

Le Discours préliminaire, destiné à mettre l’unité entre les articles du Dictionnaire, n’exposera ces idées qu’avec la plus grande réserve. Faisant tout sortir de la sensation, d’Alembert arrive à la notion de Dieu. Il la salue en passant, mais il a soin de noter que, lorsque nous sortons del’expérience personnelle et des sciences, nous sommes dans l’obscur, dans l’inconnaissable même. Après cela il peut affirmer : « Rien ne nous est plus nécessaire qu’une religion révélée qui nous instruise. A la faveur des lumières qu’elle a communiquées au monde le peuple même est plus décidé sur un grand nombre de questions. » Dans le texte même des articles peu d’audaces ouvertes. Les articles théologiques ont été confiés à des théologiens : à un abbé Yvon (17141791), docteur en Sorbonne, qui fournira les articles Ame, Athée, à l’abbé Morellet. Quelques audaces : à l’article Propagation de l'Évangile et aux articles Tolérance, Persécuteur, mais ici les Encyclopédistes sentent l’opinion avec eux. Et toujours le principe de la souveraineté de la raison est rappelé. Mais, à part cela, la négation se fait sournoise. Aux articles Bible, Canon, une doctrine orthodoxe est formulée, mais toutes les difficultés soulevées sont longuement exposées, les preuves si faiblement données que la thèse est condamnée ; ailleurs « la superstition, le fanatisme », — les croyances — sont combattus à propos des fausses religions de telle manière que le christianisme se trouve assimilé. Même tactique en morale. L’article Bonheur fait l'éloge de la vertu et affirme qu’elle apporte le bonheur. Mais l’Encyclopédie répète que la vertu n’est pas nécessairement ascétique, et qu' « il ne faut pas confondre immoralité et irréligion. La morale peut être sans la religion et la religion peut être, même souvent, avec l’immoralité ». Elle enseigne la bienfaisance et l’humanité. Ses collaborateurs ont été réunis « par l’intérêt général du genre humain ». Quand le premier volume eut paru, pour calmer les inquiétudes naissantes, Malesherbes proposa trois censeurs ecclésiastiques, les abbés Tamponnet, Millet et Cotterel et « pas un seul article des sept premiers volumes ne parut sans avoir été paraphé par un des trois ! » Malesherbes, Liberté de la presse, p. 90, cité par J.-P. Bel iii, op. cit., p. 58. Malgré ces précautions l’Encyclopédie laissa percer dès l’origine son rationalisme. Et dès novembre

1751, elle était frappée quand éclata l’affaire de L’abbé de Prades — cet ami de Diderot qui lui avait fourni quelques articles, entre autres Certitude pourl' Encyclopédie et qu’il avait aidé à préparer ses thèses de licence. — Naturellement, les thèses avancèrent des propositions scandaleuses, entre autres, que, sans les prophéties, les guérisons miraculeuses opérées par JésusChrist ne différeraient pas des guérisons opérées par Esculape. De Prades fut reçu néanmoins. Protestations. Les thèses étaient condamnées, le 27 janvier

1752, par la Sorbonne. le 29 par un mandement de l’archevêque de Paris, le Il février par le Parlement, tandis quel’abbé s’enfuyait à Berlin. Comme ses thèses, suivant l’arrêt du Parlement, « soumettaient la foi à la raison et la raison aux sens, attribuaient une origine empiiique aux lois, à la société, à la conscience, affaiblissaient les preuves victorieuses de la religion », en un mot, « étaient pleines d'échos des philosophes à la mode », il fut facile de leur assimiler l’Encyclopédie dont le second volume venait de paraître. Le 12 février, un arrêt du Conseil supprimait les deux volumes parus de l’Encyclopédie. La publication reprit cependant en

1753, En 1757, nouvelle alerte à propos de l’article

Genève écrit par d’Alembert, voir ici, t. i, col. 707, où l’auteur du Discours préliminaire, sous l’inspiration de Voltaire, traçait, en louant les pasteurs de Genève, le portrait idéal des ministres de la religion, selon le cœur des Encyclopédistes. Non seulement, il y eut la retentissante protestation de la Lettre sur les spectacles, mais < le parti dévot » dénonça encore une fois les audaces rationalistes du Dictionnaire. Cela n’aboutit cependant qu'à l’inefficace Déclaration royale du 23 avril 1757 contre les écrits irréligieux et au départ de d’Alembert, qui sortit de l’affaire inquiet pour sa tranquillité. En 1758, nouvelle crise, provoquée par l’apparition de l’Esprit. L’Encyclopédie était englobée dans la condamnation qui frappait ce livre et sept autres le 7 février 1759 ; le 8 mars suivant, un arrêt du Conseil révoquait purement et simplement le privilège de l’entreprise. Cf. ici, t. vi, col. 2134-2135. Dans la polémique, le nom de l’Esprit sera souvent inséparable de celui de V Encyclopédie. Ainsi, les Préjugés légitimes et réfutation de l’Encyclopédie, avec un examen critique du livre de l’Esprit, 1758, 81n-12, d’Abraham Chaumeix. dont quatre attaquent l’Esprit, quatre l’Encyclopédie, ou plutôt Locke en qui l’auteur voit le vrai père de l’Encyclopédie. Les Encyclopédistes, Diderot en tête, firent front. La publication du Lutionnaire s’acheva et l’on sait quelle réponse cruelle constitue aux Préjugés légitimes le Mémoire pour Abraham Chaumeix contre les philosophes Diderot et d’Alembert, 1759, qui est, croit-on, de Morellet.

Diderot ne borne pas son activité à l’Encyclopédie. Il aide tout le monde autour de lui. Il fournit à de Prades la troisième partie de son Apologie, 1752 ; il inspire Rousseau et d’Holbach, écrit un quart de l’Histoire philosophique de Raynal ; il rédige une série d’ouvrages dont les plus importants ne seront publiés qu’après sa mort, mais qui montrent du moins quelles idées il semait autour de lui : le Supplément au voyage de Bougainville, 1796, le Rêve de d’Alembert, 1830, la Promenade du sceptique, 1830, sans parler de ses contes, romans et des Salons. Le Rêve de d’Alembert est le plus important de ces ouvrages. Diderot y complète la théorie évolutionniste ébauchée dans l’Interprétation de la nature. « La matière vivante, éternelle et éternellement douée de force, et sans plan préconçu, sans but, sans « cause finale », sans intelligence ordonnatrice, évoluant indéfiniment, créant des êtres, puis d’autres êtres, des espèces, puis d’autres espèces ; versant l'élément nutritif dans l’animal et en faisant de la sensation et des passions, dans l’homme et en faisant de la sensation, de la passion, de la pensée ; rejetant l’animal et l’homme dans l 'éternel creuset, et de ces fibres qui pensèrent faisant des végétaux, qui deviendront plus tard, sous l’orme d’animal ou d’hommes, des choses sentantes et pensantes à leur tour : c’est le système qui séduit son esprit et la vision où son imagination se complaît. Il est matérialiste comme un Lucrèce. Faguet, toc. cit., p. 287. Cf. Assezat et Tourneux, Œuvres de Diderot, 1 875-1 877, 20 vol. in-8° ; au tome xiii, Notice sur l’Encyclopédie ; J. Reinach, Diderot, 1894 ; Ducros, Diderot, 1894 ; Les Encyclopédistes, 1900 ; Morley, Diderot and (lie Encyclopedisls, Londres, 1890, 2 vol. in-8° ; F. Mauveaux, Diderot, l’encyclopédiste et le penseur. Montbéliard, 1914 ; F. Le Gras, Diderot et l’Encyclopédie, Amiens, 1928.

2. Voltaire.

Durant cette période, Voltaire passe au premier rang parmi les protagonistes de la lutte contre l 'Infâme. Le mot est de lui et de cette période ; il apparaît pour la première fois dans une lettre à d’Alembert du 23 juin 1760, mais Voltaire dut le prononcer plus tôt, à Potsdam, où sans doute il l’apprit. De 1750 à 1753, il vit à la cour de Frédéric II. En 1758, il s’installe à Ferney. Dans l’intervalle, il s’est fait historien. Mais l’histoire lui sert à combattre. Le Siècle de