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I ! TI()N A LISME. L’ENCYCLOPEDIE

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eell< s de Fréron, dans l’Année littéraire de 1754 à 1776, cf. F. Cornou, Êlie Fréron, Paris, 1921 ; la comédie des Philosophes, 1760, de Palissot, cf. Delafarge, La vie et l'œuvre de Palissot, Paris, 1913 ; le Mémoire pour servir à l’histoire des Cacouas, 1757, de l’avocat Morcau ; le Déisme réfuté par lui-même, 1765, la Certitude des preuves du christianisme, 1767, l’Apologie de la religion chrétienne, 1769, de l’abbé Bergier. Surtout ces défenseurs de l'Église exploitèrent contre leurs adversaires quelques audaces exagérées : la thèse de l’abbé de Prades en 1751, plus encore la publication de l’Esprit en 1758. Les philosophes connaissent aussi des divisions mais ces divisions ne sont pas telles que leurs adversaires puissent en profiter.

Avant les philosophes et les œuvres où s’incarne cette période : Diderot et l’Encyclopédie, Voltaire et le Dictionnaire philosophique, Helvétius et l’Esprit…, il faut citer deux penseurs qui, sans partager toutes les idées des philosophes, facilitèrent leur tâche et à tout le moins montrent l’esprit du jour : Vauvenargues (1715-1747), qui meurt quand s’ouvre cette période, et Condillac (1715-1780), qui la traverse tout entière. Dans son Introduction à la connaissance de l’esprit humain, 1746, suivie de Réflexions et maximes, Il Al, dans le Traité du libre arbitre, les Dialogues, la Correspondance avec Mirabeau, publiés après sa mort, voir Œuvres, éd. Varillon, Paris, 1929, 3 vol. in-8°, Vauvenargues se montre, dit Lanson, Littérature française, 5e édit., p. 720, « irréligieux sans tapage, déiste avec gravité » ; « il demeure, dit Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. iii, p. 109, dans des sentiments religieux philosophiques et libres ». En réalité, il fut un croyant mais qui, ambitieux de gloire littéraire, à défaut, de gloire militaire, sacrifie aux idées du jour, sans en être néanmoins l’aveugle tenant. Ainsi, il fait confiance à l’homme, à sa nature, mais il ne croit pas au progrès par la diffusion des lumières. Ce qui fait la valeur d’un homme, c’est sa puissance d’action. Or, ce sont les passions qui font agir et rien n’est plus faux que le stoïcisme qui suppose au-dessus des passions une volonté libre. La puissance d’action d’un homme, sa valeur par conséquent dépend donc de cette force instinctive qu’est le cœur. Vauvenargues prépare ainsi JeanJacques Rousseau et de loin Nietzsche. Il rejoint d’autre part les philosophes en ne voyant à l’homme d’autres obligations que les sociales. Cf. Paléologue, Vauvenargues, 1890 ; G. Zieler, Vauvenargues, ein Vorgànger Nietzsches, dans Hamburger Korrcspondenz, 1907, n. 9 ; Borel, Essai sur Vauvenargues, Neuchâtel, 1910 ; R. Lenoir, Les historiens de l’esprit humain, 1926.

Condillac, dans l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, 1746, dans le Traité des sensations, 1754 ; cf. Œuvres complètes, 23 vol. in-12, 1798, bornant, après Locke qu’il simplifie et avec tout son siècle, la métaphysique « à l'élude de l’esprit humain, non pour en découvrir la nature niais pour en connaître les opérations », Essai, Introd., s’en tient à un sensualisme radical. Il dénie toute activité à l’esprit dans la connaissance, faisant dériver des sensations non seulement les idées niais même les facultés. Cela ne l’empêchait pas de croire à l’immortalité mais plusieurs conclurent de son sensualisme au matérialisme. Cf. Baguenault de Puchesse, Condillac, su vie, sa philosophie, son influence, 1910 ;.1. Didier, Condillac, 1911 ; I', . Lenoir, Condillac, 192 1.

1. L’Encyclopédie, il vol. in-fol., sans parler de 1 1 volumes de planches terminés en 1772, est le centre autour duquel se déroule l’histoire du rationalisme en France de 1750 à 1765, « On ne saurait exagérer son importance. Avant son apparition, les philosophes sont quelques hommes de lettres isolés et peu écoutés.

( fuand son dernier volume a paru, ils forment un parti puissant et universellement respecté. » J.-P. Belin,

Le mouvement philosophique de 1748 à 1789, Paris, 1913, p. 53. « Sa publication fut sinon la cause essentielle, du moins la marque la plus éclatante du triomphe des philosophes. » D. Mornet, op. cit., p. 75.

Commença-t-elle comme une simple entreprise de librairie, ainsi qu il paraît ? Comme une œuvre de propagande voulue ? La franc-maçonnerie eut-elle quelque part à l’entreprise ? Cf. Lanson, Revue d’histoire littéraire, 1912, Questions diverses. Peu importe. (En 1746, l’abbé J.-B. Gaultier (1685-1755), un janséniste au service de Colbert, évêque de Montpellier, dans son livre, Le poème de Pope intitulé Essay sur l’homme convaincu d’impiété « lance un des premiers l’idée qui fera son chemin d’un immense complot tramé contre la religion, et le premier à notre connaissance, dit A. Monod, op. cit., p. 302, il soupçonne les francs-maçons d’en être les auteurs » ).

Deux hommes ont fait l’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert. Quand Diderot (1713-1784), Langrois, élève des jésuites à Louis-le-Grand, esprit curieux de tout, prit la charge de l' Encyclopédie, il avait déjà publié un Essai sur le mérite et la vertu, traduit de l’anglais (imité de Shaftesbury), 1745, des Pensées philosophiques, 1746, beaucoup plus hardies que les Lettres philosophiques, tirant vers le matérialisme et épuisant le principe de la raison souveraine. Nourri de Bayle, il y parle du Dieu cruel, de l’athéisme préférable à la superstition, des passions bienfaisantes, il y fait la critique de l'Écriture où vraiment le Saint-Esprit parlerait trop mal, de la croyance au miracle : même accompli sous nos yeux, le miracle est inadmissible parce que la raison est supérieure aux sens. Diderot esquisse aussi tout un programme de morale indépendante. Deux ans plus tard, dans sa Lettre sur les aveugles, il déclarait Dieu insaisissable. Émettant cette idée que la matière douée par elle-même d’une puissance de vie avait créé, après une série d’essais, les êtres et les espèces, il rendait Dieu inutile. Dans ses Pensées sur l’interprétation de la nature, 1754, sous l’influence de la loi de continuité qu’a formulée Leibnitz et en vertu de laquelle d’une forme à l’autre il y a passage insensible, et aussi de la Thèse sur la formation des corps organisés, 1751, écrite en latin mais traduite en français par l’abbé Trublet, où Maupertuis, sous le pseudonyme du docteur Baumann, de l’Université d’Erlangen, note que la nature procède par une série de créations successives qui s’enchaînent, Diderot, « sous l’adroit prétexte de réfuter Baumann, pousse les conséquences de ces prémisses aussi loin qu’elles peuvent aller ». Belin, op. cit., p. 75 « Il trace déjà tout le programme en quelque sorte de la doctrine évolutionniste ». Faguet, Le xvii ! e siècle, 1890, p. 286. Ainsi, il est matérialiste et, dans la conception des choses, athée, sans peut-être nier Dieu spéculativement, sans l’affirmer non plus. Il est évidemment affranchi de toute morale surnaturelle et même de toute morale convenue. Cela, c’est de l’artificiel : « La morale est une invention d’anciens tyrans subtils. Si cependant vous voulez une règle… fiez-vous à vous-même, scrupuleusement interrogé ; quelque chose de bon parlera en vous qui vous dirigera bien, même contre le gré de la loi civile. » Faguet, toc. cit., p. 295. Ce quelque chose vous fera chercher le bonheur pour vous et vous rendra bienveillant pour autrui. Il était enfermé à la Bastille, 1719, lorsque vint le moment pour lui de diriger l’Encyclopédie. On lui rendit la liberté et en 1750, il lançait le Prospectus.

D’Alembert (1717-1783), membre de l’Académie des sciences depuis 1712. de l’Académie de Berlin depuis 17 16, partageait ces idées, mais avec moins d’imaginal ion, moins d’intelligence aussi et plus de prudence. Ce fut lui qui rédigea le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, qui parut au début du t. i. Voir ici, t. i, col. 706-707. Leurs collaborateurs partageaient leurs