Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

174 7

    1. RATIONALISME##


RATIONALISME. LE P H I LOSO P H IS M E FRANÇAIS

1748

dont : Agathon ou de la volupté par liémond le Grec ; le Recueil de pièces curieuses sur les matières les plus intéressantes, dirigées surtout contre les prêtres, de De Badicati qui donne encore en 1741, ['Examen sur la religion en général dont on cherche de bonne foi l'éclaircissement, rééd. en 1745 et 1761 ; en 1748, Nouvelles libertés de penser, recueil d’opuscules : une Lettre sur l’argument de Pascal et de M. Locke (le pari), les Sentiments des philosophes sur la nature de l'âme (la matière peut penser). Cf. Monod, op. cit., p. 293, n. 3. Mais déjà quelques grands noms émergent, ceux de Montesquieu (1689-1755) et de Voltaire (1694-1778).

b) Montesquieu, voir son article. — En 1721, paraissaient les Lettres persanes, Montesquieu y adopte toutes les thèses du déisme. Seules sont vraies les choses que la raison démontre clairement. Dès lors comment croire aux religions.au catholicisme surtout, car le protestantisme lui est supérieur ? Que valent en effet ses doctrines : « histoire de l'Éternité », révélation « d’une petite partie de la bibliothèque divine » ? Ses descriptions du Paradis « capables d’y faire renoncer les gens de bon sens » ? Son surnaturel : on montre le miracle, là où il serait simple de « voir la véritable cause » ? Son clergé, le pape, « magicien qui fait croire que trois ne font qu’un », les évêques, qui passent leur temps à dispenser des lois qu’ils ont faites ? Sa discipline ridicule, avec le célibat des prêtres et les vœux monastiques ? Les discussions religieuses de ses théologiens, avec les tendances mystiques et quiétistes d’un certain nombre ? Ses prétentions à la transcendance, alors que les voyageurs établissent les ressemblances entre l'Évangile et le Coran ? Sa morale ascétique qui ne sert à rien, alors que la loi de l’homme est la loi du bonheur et du devoir social ? Avant cinq cents ans le catholicisme aura vécu. En attendant, le mieux que puisse faire l'État, c’est de laisser les religions se multiplier autour de la religion dominante. Obligée de se défendre, elle sera plus facile à dominer. La tolérance sera une garantie d’ordre.

L’Esprit des lois, écrit sous les influences opposées de Warburton et de Bolingbroke, en 1748, infiniment plus respectueux des choses religieuses, du catholicisme en particulier, que les Lettres persanes, n’est pas plus religieux. Voltaire dira : ce livre « semble fondé sur la loi naturelle et sur l’indifférence des religions. C’est depuis l’Esprit des lois qu’on vit les progrès du déisme qui jetait depuis longtemps de profondes racines ». En réalité, ce n’est pas sur le droit naturel, mais sur la nature des choses, que Montesquieu fait reposer les lois. Elles ont entre elles une interdépendance, comme il y en a entre les rouages d’une machine. Elles s’appellent l’une l’autre, non pas fatalement : c’est aux gouvernements à saisir cet appel. Elles n’ont pas à réaliser un idéal moral identique, dont les conditions essentielles sont : le dévouement de tous à l’intérêt général et l’esprit de liberté, mais le bonheur des sociétés. Elles seront donc commandées par le climat, le terrain, l’esprit général, les mœurs, les traditions, parfois pour réagir contre. Tout sera donc relatif, les religions comme le reste. Rencontrant les religions, Montesquieu rejette le paradoxe de Bayle qu’un peuple d’athées serait supérieur à un peuple de mauvais chrétiens. « Même fausse, la religion est le meilleur garant que les hommes puissent avoir de la probité des hommes. » Parmi les religions, la chrétienne paraît la plus apte à « faire notre bonheur dans cette vie ». Il soutient même que « les principes du christianisme, bien gravés dans le cœur, seraient infiniment plus forts » que tous les ressorts laïques, que « ce faux honneur des monarchies, ces vertus humaines des républiques », à plus forte raison que « cette crainte servile des États despotiques ». Le christianisme, en effet, au dessus de la justice humaine a montré une justice supé rieure, fondé les droits de l’homme et le droit des gens, condamné l’esclavage, etc. Il n’est pas question de la transcendance du christianisme. Et son efficacité sociale, Montesquieu ne l’attribue pas à la puissance divine de la vérité. Il ne parte pas davantage de ses droits de société divine : il est un rouage dans l'État, l'État doit donc le tenir dans la soumission. D’autre part, que de choses encore à critiquer dans le christianisme ! son esprit de propagande et d’intolérance, certaines de ses prescriptions, son ascétisme, etc. Quant à la loi morale qu’il prône, Montesquieu la voit également relative, dans « l’harmonie qui s'établit entre la vie individuelle et le principe du gouvernement » et il condamne, au point de vue de l’intérêt social, certaines institutions d'Église comme le monachisme et l’opposition de l'Église au divorce. Le livre sera mis à l’Index, le 3 mars 1752. Il enlevait à l'Église — autant qu'à la monarchie traditionnelle — son prestige divin et la livrait comme une institution purement humaine, sujette à des erreurs, aux discussions humaines.

c) Voltaire. — Avant 1733, Voltaire ne fut guère connu du public que comme poète dramatique, épique, cl poursesaventures. DansŒdipc, l718, quelques traits, indiquent déjà les tendances de l’ancien élève des jésuites, de l’habitué du salon de Ninon de Lenclos et du Temple : « Ne nous endormons point sur la foi de leurs prêtres — Qui nous asservissant sous un pouvoir sacré — Font parler les destins, les font taire à leur gré… Notre crédulité fait toute leur science. » En 1722, il écrit, mais pour ne la publier que dix ans plus tard, V Épitre à Uranie, Le pour et le contre, destinée à éclairer Mme de Ruppelmonde, incertaine de ce qu’elle devait croire. Il y expose, en deux tableaux opposés, les raisons qui militent en faveur du christianisme et contre lui, celles-ci avec plus de complaisance que celles-là. D’une part, il conclut — le contre — s’adressant à Dieu : « Je ne suis pas chrétien mais c’est pour t’aimer mieux » — de l’autre, parlant à Jésus-Christ : « C’est un bonheur encor d'être trompé par lui. » La seule certitude c’est « la religion naturelle » — Dieu « nous juge sur nos vertus. Et non pas sur nos sacrifices ». Mêmes tendances dans la Henriade, 1723 : Critique de « Rome, qui, sans soldat, porte en tous lieux la guerre » ; inutilité du catholicisme pour la vertu : du protestant Mornay il dit : « Au milieu des vertus l’erreur fut son partage » ; foi en Dieu cependant, dont la providence « change, élève et détruit les empires du monde ». C’est en Angleterre seulement, de 1726àl729, qu’il se fixe dans son incrédulité. Il a vécu dans l’intimité de Bolingbroke ; il a été le témoin des controverses que provoquaient les négations de Collins touchant les prophéties et de Woolston touchant les miracles. Ses idées sont arrêtées ; il combattra pour la raison contre la Bible et contre l'Église. Cinq ans après son retour, il publiait les Lettres philosophiques ou Lettres anglaises. Il y en a vingt-quatre, sans parler de celle consacrée aux Pensées de Pascal. Sept sont réservées aux questions religieuses : quatre aux quakers, une à la religion anglicane, une aux presbytériens, la septième aux sociniens ou ariens ou antitrinitaires. Le tout pour aboutir : 1. A conclure en faveur de la tolérance. Le nombre des sectes appelle la paix religieuse et rend l'État maître sans qu’il soit obligé de persécuter ; 2. A attaquer toutes les formes du christianisme — leurs Livres saints, leurs croyances, leurs rites — leur clergé, quand elles en ont un, même le clergé catholique dénoncé comme intrigant et vénal. Lettre v. Il n’y a d’inattaquable que la religion naturelle. La Lettre xxv, sur les Pensées de M. Pascal, n’a aucun rapport avec l’Angleterre, mais elle concorde très bien avec les idées que Voltaire rapportait d’Outre-.Manche et qui l’inspireront toujours. En Pas-