Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/166

Cette page n’a pas encore été corrigée
1
1746
RATIONALISME. LE PHILOSOPHISME FRANÇAIS


ques et même si l’on en croit Compayré, La philosophie de D. Hume, Toulouse, 1873, Du prétendu scepticisme de Hume, dans Revue philosophique, 1879, t. ii, p. 449, sa volonté d’en sauver quelque chose pour les autres. Il s’en prend d’abord aux dogmes de la religion naturelle, que Clarke considérait comme une introduction à la religion révélée : l’existence de Dieu. Il n’accepte pas la preuve ontologique qui serait la négation de son idéalisme phénoméniste ; il n’accepte pas davantage l’argument cosmologique de Clarke : Comment concevoir un être nécessairement existant ? L’imagination est toujours libre de nier cette existence. Pourquoi d’ailleurs cet être ne serait-il pas la matière ? Si nous connaissions toutes ses propriétés, « sa non-existence nous paraîtrait, peut-être, aussi contradictoire que la proposition : deux fois deux font cinq » ; il rejette l’argument des causes finales que Voltaire répétait. C’est un raisonnement par analogie entre un mécanisme de fabrication humaine et l’univers. Or cette analogie conduit à tout ce que l’on veut, sauf à cette conclusion certaine : Dieu existe. La providence ? Contre elle il y a l’objection du mal. Or, dit Hume, rien n’empêche de concevoir un univers d’où le mal disparaîtrait par une action régulière ou volontaire de Dieu. Nous restons donc libres de conclure que la cause suprême des choses est indifférente à l’homme. L’immatérialité de l'âme ? Toutes les solutions se heurtent à d’insolubles objections. La preuve historique ne supporte pas davantage l’examen. Les déistes pouvaient révoquer en doute les récits de la Bible, tous acceptaient comme un fait primitif le monothéisme. Dans son Essai sur l’histoire naturelle de la religion, Hume avance cette théorie qu’ont soutenue depuis Tylor, Lubbock, Spencer…, que le polythéisme a partout précédé le monothéisme, « la multitude ignorante ne pouvant s'élever tout d’un coup à la notion de l'Être tout parfait, qui a mis de l’ordre et de la régularité dans toutes les parties de la nature, d’un être pur, tout sage, tout puissant, immense, avant de se le représenter comme un pouvoir borné, avec des passions, des appétits, des organes même semblables aux nôtres ». Le polythéisme primitif était donc anthropomorphique. Fontenelle, qui soutenait la même thèse, prétendait que l’homme était arrivé au polythéisme par la recherche spontanée des causes. C’est le sentiment, l’espoir et surtout la crainte qui ont conduit l’homme au polythéisme et de là au monothéisme, dans le désir de se concilier un Dieu plus puissant que les autres, tout-puissant. Quant aux religions révélées, peut-on s’y réfugier, comme l’ont fait quelques sceptiques ? Non. Évidemment on invoque des arguments en leur faveur, mais le raisonnement qui aboutit à l’existence des spectres vaut-il le raisonnement qui aboutit à l’existence des corps ? Quant aux miracles rapportés dans l'Écriture, le témoignage sur lequel ils reposent ne saurait contrebalancer la certitude que tout événement se produit selon des lois naturelles ; ceux affirmés par les contemporains — ceux du diacre Paris, par exemple — se heurtent à la même difficulté. De même les prophéties. Et ainsi « quiconque est poussé par la foi à lui donner son assentiment, a conscience qu’il s’opère en lui-même un vrai miracle perpétuel, qui renverse tous les principes de son intelligence et le détermine à croire ce qui est le plus contraire à la coutume et à l’expérience ». Cf. H. Meinardus, D. Hume als Religionsphilosoph, Erlangen, 1897 ; J. Didier, Hume, Paris, 1912 ; A.-E. Taylor, D.Hume and themiraculous, Cambridge, 1927 ; R. Metz, D. Hume, Leben und Philosophie, Stuttgart, 1929 ; A. Leroy, La critique et la religion chez David Hume, Paris, 1930.

2. En France. C’est avec la Régence, la réaction qui suit le règne de Louis XIV et le bouleversement de

fortunes provoqué par le système de Law, un abaissement des mœurs et par conséquent un affaiblissement des croyances. Le milieu est favorable au rationalisme, d’autant plus que l’influence anglaise commence à s’exercer.

a) Tout d’abord cependant, il n’y a pas d'écrivains rationalistes de marque. L’on vit sur le passé. « Les œuvres de Fontenelle sont rééditées dix ou douze fois de 1C86 à 1724. Les Pensées sur la comète de Bayle ont sept éditions jusqu’en 1749° ; son Dictionnaire figure dans 288 bibliothèques sur 500 ; Spinoza est lu. Une transformation s’est faite dans les esprits, sous l’action des maîtres que l’on a vus. Il y a aussi « des maîtres cachés », dont les œuvres sont imprimées clandestinement ou répandues sous la forme de manuscrits. Ainsi : Le militaire philosophe ou difficultés sur la religion proposées au R. P. Malebranche de l’Oratoire, par un ancien officier (Naigeon), imprimé à « Londres » en 1768 : dix-huit difficultés, soi-disant proposées à Malebranche et prouvées chacune par une « démonstration » syllogistique. Il faut examiner les questions religieuses avec la lumière que Dieu nous a donnée : la raison. Puisque le christianisme est souvent en opposition avec laraison.il est injurieux à Dieu, contraire, à tout le moins inutile à la morale. Ainsi encore Le testament du curé Meslier — mort en 1725 — que Voltaire publiera en 1762, non sans atténuation et qui s’inspire de Spinoza. Les choses sont possibles ou impossibles par elles-mêmes ; elles existent donc par elles-mêmes. La substance est une ; le mal est nécessaire comme tout est nécessaire. Les religions sont l'œuvre d’imposteurs. Le néant est la destinée de l’homme. Dans les notes qu’il a mises aux marges des Œuvres philosophiques de Fénelon, Meslier affirme : « Il n’est rien autre chose que la matière ou la nature elle-même qui est tout en tout. » Même esprit dans la Lettre de Trasibule à Leucippe de Fréret (1688-1749), composée vers 1725 ; l’Examen critique des apologistes de la religion chrétienne, attribué à Fréret par son auteur, Lévesque de Burigny (1692-1785), composé vers 1730, imprimé plus tard ' ; l’Examen de la religion de La Serre, publié en 1745 ; l’Analyse de la religion chrétienne de Dumarsais (1676-1756), publiée en 1743 ; les Lettres à Eugénie, vers 1720? où se trouvent attaqués la Bible comme grossière et absurde, les miracles comme invraisemblables, les prophéties comme dépourvues de sens, la morale chrétienne comme contre-nature, la théologie comme un galimatias et la religion comme l'œuvre des prêtres et des rois pour asservir les peuples ; Le ciel ouvert à tous les hommes de Pierre Cuppée, publié en 1732, plus modéré, qui se contente de protester contre l’ascétisme de la religion et contre l’enfer. « Ces ouvrages seront réédités après 1760, par les soins de Voltaire, Diderot, Naigeon, d’Holbach et parfois confondus avec leurs œuvres. Ils n’avaient pas tort de les associer a leur entreprise philosophique ; ces écrivains parlaient exactement comme eux ; il ne manquait a leur déisme ou leur athéisme que quelques arguments de physique ou de politique pour se confondre avec le leur. » D. Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française, Paris, 2e édit., 1934, p. 28. Furent écrits dans le même sens de 1730 à 1740 : Les princesses malabares ou le célibat philosophique, anonyme, Andrinople (Paris), 1734, condamnées par le Parlement, le 31 décembre de la même année ; réédition de la vie de Spinoza (Les trois imposteurs), 1735 ; les Dialogues critiques et philosophiques, de l’abbé de Charte-Livry, dialogues satiriques entre Neptune et saint Antoine de Padoue, prêchant aux poissons, entre Homère et le pape sur l’infaillibilité et la tradition, entre saint Paul et Moïse, sur les prédictions vagues dont il est facile de trouver l’accomplissement ; en 1736, le Recueil de divers écrits, de saint Hyacinthe,