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RATIONALISME. LA PREPARATION DU XVIIJe SIECLE


on l’appellera le déisme anglais, le christianisme rationnel. "Voir ce mot, t. ii, col. 2415-2417. Des Anglais religieux, mais venus d’une secte protestante, gémissent de voir les sectes de cet ordre s’excommunier l’une l’autre et vont chercher à constituer « la religion », c’est-à-dire, à retrouver au fond de toutes les formes religieuses chrétiennes des croyances communes que tous puissent accepter et qui seraient entre les hommes un lien et non une cause de division. Sur eux a passé l’influence du socinianisme, entaché de pensée libre et qui réclame l’interprétation purement rationnelle de l'Écriture.

a) Cherbury. — Tandis que, en Hollande, Grotius préparait son traité De veritale religionis christianæ (1627), tendant à ramener la foi chrétienne à une manière de rationalisme universel, assez pénétré cependant de christianisme pour que l’on ait pu y voir comme une apologie d’un christianisme libéral, l’Anglais Herbert de Cherbury (1582-1648), voir Cherbury, publiait à Paris un livre qui indiquait bien sa pensée : De veritale proul distinguitur a revelatione, 1624, et que Grotius approuvait. En 1645, il publiera à Londres un autre traité déiste, De religione gentilium, où il s’efforce de retrouver dans les religions antiques l’essence de la religion. La religion se résume pour lui en ces cinq choses : 1. Existence de Dieu ; 2. nécessité de lui rendre un culte ; 3. ce culte ne consiste pas en pratiques extérieures ; la vertu et la piété, voilà le vrai culte ; 4. faire le mal est contraire à la conscience, autrement dit à la raison ; il faut donc se repentir du mal que l’on a fait ; 5. il y a une vie future et des sanctions. Cf. C. Rémusat, Lord Herbert de Cherbury, sa vie, ses œuvres, Paris, 1874, in-12.

b) Hobbes (1588-1679), voir son article, dépasse cette position. L’auteur du Levialhan, 1631, et du De cive, 1642, qui met à l’origine de la société non pas Dieu ou la nature, son œuvre, mais la volonté libre de l’homme, un pacte social, et qui donne au souverain un pouvoir absolu s’appuyant sur la force, en vertu de cette conception et dans le désir d’assurer la paix religieuse, reconnaît à ce même souverain le droit d’interdire dans ses États toutes les religions qui lui paraîtraient contraires à la paix publique, à sa propre autorité, et d’imposer à tous ses sujets la religion qu’il jugerait utile. D’ailleurs, la religion ne s’impose pas à l’homme au nom de la raison ; les Livres saints, dont se réclament toutes les sectes chrétiennes, soumis à la critique rationnelle, apparaissent bien ne pas mériter la croyance qu’on leur apporte, et donner comme prodiges des choses dont tout simplement les contemporains ignoraient les causes. Cf. G. Sortais, op. cit., t. ii, Paris, 1922 ; Ad. Levi, La filosofia di Tommaso Hobbes, Milan, 1929 ; Landry, Hobbes, Paris, 1930.

c) Charles Blount, qui se suicida en 1693, s’inspirant d’Herbert de Cherbury et de Hobbes, compléta leur œuvre. Son grand ouvrage est la Vie d’Apollonius de Tyane qu’il traduisit de Philostrate, en y ajoutant notes et commentaires, 1680. L’analogie y est latente entre Apollonius et Jésus-Christ. Et, si l’on rapproche de cet ouvrage les lettres de Blount publiées après sa mort sous ce titre Oracles de la raison, 1705, et les œuvres moins importantes, qu’il publia lui-même, Anima mundi, 1679, La grande Diane d'Éphèse, on le voit faisant une critique moqueuse ou acerbe des croyances surnaturelles, juives et chrétiennes, attaquant leurs preuves intrinsèques et historiques et sans ménagement les miracles de l’Ancien Testament, avec quelque modération ceux du Nouveau.

4° Période de transition (1680-1715). — L’incrédulité du xviiie siècle ne sortit pas toute faite cependant de ces influences. Elles en constituent comme la préparation lointaine. De 1680 à 1715, dans une période

de transition, se formeront les idées, les arguments qu'émettront les rationalistes du xviir 3 siècle.

1. Les relations de voyage : la relativité des religions contre la transcendance du clirislianisme. — Le xvie siècle avait commencé la découverte du monde ; le xviie avait continué : pour Dieu, pour le roi, pour le commerce, pour l’aventure, Hollandais, Anglais, Français ont parcouru le monde, surtout l’Orient et l’ExtrêmeOrient. De là de multiples récits de voyages. Cf. Boucher de la Richarderie, Bibliothèque universelle des voyages, Paris, 1808. P. Martino, L’Orient dans la littérature française, Paris, 1906, compte, de 1660 à 1735, cent relations de voyage ; L. Bourgeois et L. André, Les sources de l’histoire de France, i, Géographie, en comptent cent soixante-neuf de 1670 à 1715. Mais alors c’est toute une revision des jugements et des principes. C'était un lieu commun de l’apologétique que la transcendance du christianisme. Cf. De Chaumont, ancien évêque d’Acqs, Ré flexions sur le christianisme ensei gné dans V Église catholique, Paris, 1692, 2 vol. in-12. Or les voyageurs vantent en général les peuples qu’ils ont vus. On a le « bon sauvage » : Baron de Lahontan, D/'alogues curieux entre l’auteur et un sauvage de bon sens (Iroquois) qui a voyagé et Mémoires de l’Amérique septentrionale, La Haye, 1703, 2 vol. in-12 ; le sage Égyptien : Marana, Les entreliens d’un philosophe avec un solitaire sur plusieurs matières de morale et d'érudition, 1696 ; le bon musulman : A. Reland (Hollandais), De religione mahommedica libri duo ; quorum prior exhibel compendium theologiæ mahonunedicie ; poslcrior examinai nonnulla quæ falso Mohammedanis Iribuuntur, Utrecht, 1715, traduit eu français, en 1721, par le pasteur David Durand, sous ce titre : La religion des mahoméluns exposée par leurs propres docteurs avec des éclaircissements sur les opinions qu’on leur a faussement attribuées ; le bon Chinois à qui va la vogue. Cf. l’art. Cérémonies chinoises, t. ii, col. 2364-2391. De là, deux conclusions : 1. La relativité des religions. Déjà Chardin, Voyage en Perse, Londres, 1696, écrit : « Le climat de chaque peuple est toujours, à ce que je crois, la cause principale des inclinations et de la coutume des hommes. » 2. La sagesse des autres religions égale celle du christianisme. C’est la conclusion même que tire Boulainvilliers de sa Vie de Mahomet avec des réflexions sur la religion mahomélanc et les coutumes des musulmans, Londres et Amsterdam, 1730 : chaque nation possède une sagesse qui lui est particulière. Mahomet figure la sagesse des Arabes comme le Christ figure la sagesse des Juifs. 3. D’aucuns exalteront même, au-dessus du christianisme, la religion naturelle qu’ils affecteront de trouver chez ces peuples : « Vive le Huron ! », s'écrie Lahontan ; le sauvage s'élève par la religion naturelle, la morale naturelle, la société simple ; c’est le civilisé qui est le barbare. Le philosophe et le solitaire de Marana étalent une sagesse qui n’a rien de chrétien et, des débats sur les cérémonies chinoises, un Boulainvilliers, loc. cit., p. 180-181, tirera ces deux leçons : les Chinois ont une civilisation admirable et ils l’ont sans le christianisme, puisqu’ils sont athées. Cf. V. Pinot, La Chine et la formation de l’esprit philosophique en France, 1640-1740, Paris, 1932.

Il y eut aussi des romans de voyages du même esprit. L’auteur se transporte dans un pays imaginaire dont il étudie l'état religieux — en fait, la religion naturelle — politique, social, et il montre qu’en face de cet état le christianisme et plus particulièrement le catholicisme, les institutions politiques et sociales sont absurdes et barbares. « Ce qui frappe en ces romans c’est une volonté continue de détruire. Pas une tradition qui ne soit contestée. De sages vieillards vantent la religion sans prêtres, sans églises, dogmatisent contre les dogmes, prônent la sagesse… des hommes qui ont perdu la notion du péché. » P. Hazard, op. cit., 1. 1, p. 33.