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    1. RATIONALISME##


RATIONALISME. LA P H É P A RATION DU XVIII* SIÈCLE 1728

sion d’une révélation divine spéciale, mais bien du sentiment religieux d’Israël aux divers moments de son existence. Elle est donc une révélation nationale qui s’explique par ses conditions historiques. Les dogmes qui y sont enseignés, providence, rétribution, accommodent à la faiblesse des humbles des réalités que leur entendement ne saurait comprendre. Il en est de même des histoires qu’elle raconte. Les prophètes sont tout simplement des hommes doués d’une imagination plus vive. Quant aux miracles, ils sont une illusion des simples. Le cours des choses, natura naturala, comme disait G. Bruno, est immuable. Tous les miracles de l'Écriture sont susceptibles d’une interprétation naturelle. A quoi serviraient-ils d’ailleurs ? Une doctrine n’a d’autre justification, au regard du sage, que sa conformité avec la lumière intérieure. L’indépendance du philosophe à l'égard de l'Écriture est donc absolue et la Bible doit être interprétée comme tout autre ouvrage humain, non pas d’après des indications prises du dehors, mais en elle-même. Pour cela, il faut donc bien connaître l’histoire de la langue et ses lois ; celle de l'Écriture et ses caractères généraux ; l’histoire du canon, et aussi de chaque auteur, de chaque livre pour en établir le degré exact de créance. En appliquant ces règles, Spinoza arrivait à conclure que « les cinq premiers livres de la Bible n’ont point été écrits par Moïse, ni ceux de Josué, des Juges, de Ruth, de Samuel, des Rois par ceux dont ils portent le nom, que les auteurs du Nouveau Testament l’ont écrit non en tant qu’apôtres, mais comme hommes privés : cela se voit à leurs divergences. La religion est donc indépendante des croyances théologiques, des rites, où les Églises l’enferment et par lesquels elles s’opposent, et l'État n’a pas à prendre parti.

Mais qu’est donc vraiment ce Dieu au nom duquel prétendent parler les religions ? Cf. G. Huan, Le Dieu de Spinoza, Arras, 1913. Il n’est pas le Dieu personnel, transcendant, qui a créé et gouverne librement, intervenant dans le cours des choses pour aboutir à des fins voulues par lui. Si l’on entend par substance ce dont le concept peut être conçu sans avoir besoin du concept d’une autre chose, et par attribut ce que la raison conçoit dans la substance même comme constituant son essence, Dieu est a l'Être absolument infini, la substance unique douée d’une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ». Des attributs infinis de Dieu, nous ne connaissons que la pensée et l'étendue. Tout ce qui existe est un mode de la pensée ou de l'étendue divines. Immanent au monde, Dieu est la cause universelle, natiira naturans, non par un acte libre de sa volonté, mais en vertu de la nécessité qui définit son être et suivant un ordre qui ne peut être autre.

Mode de l'étendue et de la pensée divines, l’homme n’a pas à devenir le saint : la religion se réduit à la morale et la morale à la justice et à la charité, mais le sage se connaît sub specie seternilatis, en son essence éternelle, et il aboutit par là à la béatitude. Cf. V. Brochard, L'élernilé des âmes dans la philosophie de Spinoza, Études de philosophie ancienne et moderne, p. 371 sq.

L’influence de Spinoza ne fut pas grande sur les penseurs de son temps ou sur les philosophes du xviiie siècle. On le trouvait obscur. Mais ses négations agirent sur les jeunes et fortifièrent L’incrédulité. En 1731, dans sa prétendue Réfutation des erreurs de Benoît de Spinoza. Avec ta vie de Spinoza par Jean Coterus, Bruxelles, in-12, Boulainvilliers tentera même de vulgariser les idées de V Éthique.. Sur Spinoza, cf. L. Brunschvicg, Spinoza et ses contemporains, 3' éd., Paris, 1923, in-8° ; Delbos, Le spinozisme, 1926 ; Van der Linden, Mbliografie van Spinoza, La Haye, 1871 ; J.-R. Carré, .Spinoza, dans Revue des cours et conférences, 1936, en particulier, 30 juillet : La religion de Spinoza.

Après Spinoza, de qui les contemporains le rapprocheront déjà, il faut citer Malebranche (1638-1715). Bien que, dans sa volonté, ses œuvres, en particulier, Recherche de la vérité, 1 674-1675, 3 in-12, Entretiens sur ta métaphysique et sur la religion, Rotterdam, 1688, in-12, et Conversations chrétiennes dans lesquelles on justifie la vérité de la religion et de la morale de JésusChrist, Paris, 1670, in-12, fussent une apologie des dogmes chrétiens, Arnauld, Bossuet, Fénelon lui reprocheront d’avoir fait la part trop grande à la raison. Et, comme, dans la pensée de rendre inattaquables les dogmes fondamentaux du christianisme, incarnation, rédemption, il les fait nécessaires, ainsi il aggrave les difficultés traditionnelles touchant la déchéance de l’homme et l’incarnation et il fournit des armes aux incrédules. Bayle en usera. Cf. Gouhier, La philosophie de Malebranche et son expérience religieuse, Paris, 1926, in-8° ; E. Allard, Die Angriffe gegen Descartes und Malebranche im Journal de Trévoux, 1701-1715, dans Abhandl. zur Philosophie und ihrer Geschichte, fasc. 43, 1924.

3. Le progrès scientifique.

Il a commencé au xvre siècle. Sous l’influence de Copernic, Telesio, Giordano Bruno, après d’autres, la physique péripatéticienne et scolastiquc a perdu de son autorité et l'étude de la nature a été libérée de principes qui la faussaient ou la stérilisaient. D’autre part, son domaine a été élargi. Mais le xvie siècle ne voit dans le mouvement des choses qu’une forme de la vie : les choses sont vivantes ; une âme les anime ; elles ont des antipathies ou des sympathies, des influences mystérieuses que la science se charge de découvrir.

Au XVIIe siècle, le progrès continue. Il se fait en ce sens qu'à l’interprétation vitale des phénomènes et du monde se substitue l’interprétation mécanique. Toute cause de changement physique apparaît une force mécanique mesurable ; toute loi, un rapport constant mesurable et, par conséquent, ramené à une formule mathématique entre deux phénomènes ou un groupe de phénomènes ; le monde, un ensemble de rapports nécessaires et constants se traduisant en lois de plus en plus générales. C’est Kepler (1571-1630), ce disciple de Tycho-Brahé (1546-1601), qui oriente de ce côté la science : « Je croyais d’abord, dira-t-il, que la cause motrice des plantes est une âme. Mais lorsque j’en suis venu à considérer que cette cause motrice s’affaiblit avec la distance, j’ai conclu que cette force ne pouvait être que quelque chose de corporel. » Mais c’est Galilée (1564-1612) qui conduira au mécanisme universel. Gassendi, astronome et physicien, et Descartes parleront dans le même sens, chacun avec ses nuances propres. En même temps, François Bacon (1561-1626), partant de cette idée que la subtilité de l’esprit ne saurait égaler celle de la nature et que, par rapport aux choses, l’esprit est comme un miroir déformateur, dans le Novum organum, 1620, le De dignilate et augmentas scientiarum libri IX, 1624, et toutes les œuvres qui forment V Instauratio magna, donne comme buta la science la connaissance des causes (efficientes, il exclut la cause finale), comme moyens de connaissance l’expérience ou l'étude directe des phénomènes et leur réduction à des phénomènes constants et mesurés. Cf. (i. Sortais, op. cit., t. i, Paris, 1912. Le rationalisme allait s’emparer de cette conception du monde pour en exclure non seulement le miracle, mais encore, puisque le principe du mouvement est dans les choses, la création et la providence générale. Cf. A. -A. Cournot, op. cit., t. III, xviie siècle.

I. L’influence anglaise. - - A ce moment même l’Angleterre entre en scène. C’est pour affirmer le rationalisme ; mais un rationalisme qui croit en Dieu, le déisme, la religion naturelle, et qui même ne rompt pas tout lien avec l'Écriture. Ce déisme est spécial ;