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RATIONALISME. LES LIBERTINS DU XYII* SIÈCLE


théologie, 1624, 2 vol. in-8° ; Lessius, De providentia Numinis et animi immortalilate, libri duo adversus alheos et polilicos, Anvers, 1613, in-8°, ont dénoncé ou réfuté — Garasse, on sait avec quelle violence — les erreurs. Voir aussi : Mersenne, Vérité des sciences, 1625 ; Correspondance, publiée par Mme P. Tannery, t. i, 1617-1627, Paris, 1934 : J. de Selhan, Les deux vérités, 1626. Non seulement ces libertins n’ont plus cette érudition ou ce sens métaphysique qui caractérisaient les hommes du xvie siècle, mais ils professent l’incrédulité sous sa forme la plus vulgaire.

Blasphémateurs — sur le scandale du blasphème à cette époque, cf. Busson, De Charron à Pascal, c. i, § ii — vulgaires débauchés, se moquant des miracles, des mystères, niant la divinité de Jésus-Christ, s’ils acceptent Dieu, ils n’acceptent ni sa providence, ni sa justice, ni l’immortalité de l'àme et la notion de péché est loin d’eux. Ils ont peu écrit. Cf. les publications bien connues de F. Lachèvrc ; leur doctrine fondamentale semble contenue dans la pièce appelée Les quatrains du déiste ou V Anti-Bigot, publiée pour la première fois par F. Lachèvre dans son Voltaire mourant, et au t. ii du livre dont il va être parlé : Le libertinage devant le Parlement de Paris. Le procès de Théophile de Viau, Il juillet 1623-1° septembre 1625, Paris, 1909, 2 in-4°. Ces 1 06 quatrains s'élèvent d’abord contre l’idée que le « bigot » se fait de Dieu : le superstitieux (le croyant) n’est-il pas insensé d’imaginer Dieu constant et variable, gouvernant le monde et cédant aux passions, tout comme un homme ? (3-4) effronté, d’exalter son amour et de le voir plus cruel qu’un barbare ? (5-6) Il n’y a pas d’enfer. Si Dieu est infiniment bon, quelle vraisemblance qu’il punisse d’un châtiment éternel ? S’il est juste, peut-il punir plus que l’offense ne le mérite ? (7-14). N’a-t-il pas d’ailleurs, puisqu’il est prescient, accepté d'être offensé? (41-43). Il serait peu glorieux pour lui d’user à ce point de sa puissance contre un inférieur (58-62, 68-71). L’enfer n’est qu’une invention des religions (72). Si l’invention est utile en ce que la crainte oblige ceux qui ne réfléchissent pas à dompter leurs passions (52), ceux qui pensent savent à quoi s’en tenir (78-83). Que le déiste écoute la nature et ne se mortifie pas. Si Dieu lui réserve un bonheur infini, pourquoi lui interdirait-il les bonheurs d’ici-bas ? (84-86). Sans crainte et sans espoir de récompense, comme le demande la vraie vertu qui n’est « ni servile, ni mercenaire », tandis que le bigot n’agit que dans la crainte ou dans l’espoir du gain (92-101), en paix avec tout le monde tandis que le bigot ne cesse de condamner (102-103), le déiste, au-dessus de l’athée, car il adore Dieu, est également au-dessus du bigot, car il adore Dieu en vérité (106). Cette pièce qui circula manuscrite eut assez de succès pour que Mersenne crût devoir y répondre par les deux volumes de son Impiété des déistes. Y eut-il alors des athées ? En 1623,.Mersenne dans ses Quæsliones celeberrimse en compte 50 000 à Paris ; mais il ne faut pas oublier que l’on désigne alors du nom d’athées tous ceux qui ne partagent pas toutes les croyances chrétiennes.

L'écrivain qui donne le mieux l’idée de ces libertins, fanfarons de vice et d’impiété est ce Théophile de Viau (1590-1626), dont F. Lachèvre a publié la plupart des œuvres. Cf. op. cit. Ce huguenot de bonne famille, poète non dépourvu de talent, libertin de très bonne heure, scandalisant par ses débauches et ses propos impies, ayant néanmoins ses entrées à la cour de Marie de Médicis et la protection du grand amiral Montmorency, finit par être compromis comme l’un des auteurs des recueils licencieux qui se multipliaient alors. Cf. Lachèvre, Les recueils de poésies libres et satiriques publiées de 1600 à la mort de Théophile, 1626, Paris, 1914. Exilé de Paris en 1619, obligé de passer en Angleteire en 1620, il en revient converti au catholi cisme en 1622. A propos de la publication du Parnasse salyrique en avril 1623, il ne put échapper à Garasse qui dénonçait ce livre comme « une boutique de toute impiété et saleté », et à Mathieu Molé ; |il était condamné le 19 août 1623 par le Parlement de Paris à être brûlé vif pour les « impiétés, blasphèmes et abominations » de ses poèmes. Il se sauvait du bûcher, mais appréhendé le 13 septembre de la même année, il était condamné le 1 er septembre 1625 au bannissement à perpétuité. Il mourut en septembre 1626. Cf. Lachèvre, op. cit. ; C. Vergniol, L’affaire Théophile de Viau, dans Revue de France, 1 er novembre 1925, p. 77104 ; Perrens, Les libertins en France au xvii a siècle, Paris, s. d. (1896), in-8°.

2. Gassendi ? — Faut-il compter Gassendi (15921655), parmi les libertins ? Si ce professeur de philosophie aristotélicienne combattit l’aristotélisme enlui opposant toutes les objections possibles dans ses Exercilaliones parudoxæ adversus Arislolelem, Aix, 1624, s’il contredit Descartes, repoussant avant tout l’innéisme et soutenant l’empirisme, Disquisitio melaphijsica seu dubitaliones et inslantiæ adversus Renati Carlesii melaphysicam et Responsa, Amsterdam, 1644, s’il restaura î'épicurisme : De vita et moribus Epicuri, libri oclo, Lyon, 1647 ; Animadversioncs in librum decimum Diogenii Laërtii qui est de vita, moribus placitisque Epicuri. Continent autem quas ille 1res slatuil partes : 1. Canonicam ; II. Physicam ; III. Elhicam, Lyon, 1649, il ne restaura pas l’irréligion et le matérialisme d'Épicure, comme le prouve son Syntagma philosophise Epicuri cum refutationibus dogmatum, qute contra fidem christianam ab eo asserla sunt, opposilis per Pelrum Gassendum, Lyon, 1649. S’il avait en effet restauré le système atomiste d'Épicure, c'était pour substituer au péripatétisme le système philosophique qui répondait le plus complètement aux tendances empiriques des temps modernes, cf. Lange, op. cit., 1. 1, p. 230, et non pour nuire au christianisme. Il rend même I'épicurisme chrétien. A l’origine des atomes, il met Dieu, un Dieu personnel, infiniment parfait, créateur et providence ; écartant l’hypothèse arbitraire du clinamen qui remet tout au hasard, il montre les atomes doués du pouvoir de se diriger suivant une loi intime et de réaliser ainsi le plan divin. D’autre part, il reconnaît à l’homme avec une âme sensitive matérielle, une âme raisonnable, incorporelle et immortelle. Même tentative de conciliation en morale mais avec moins de bonheur : le plaisir, dit-il, est le souverain bien. La vertu elle-même ne vaut que par le plaisir qu’elle procure. Tous les plaisirs ne sont pas à rechercher de même façon : seule la vertu nous donne un bonheur durable, exempt d’inquiétude et d’angoisse — indolence et ataraxie d'Épicure — et de qualité supérieure.

3. L’influence de Gassendi.

Gassendi ne fut pas un chef d'école, mais il exerça une grande influence. En 1674, un de ses disciples, François Bernier, donnera un Abrégé æ la philosophie de AI. Gassendi ; il devra le rééditer plusieurs fois. Bernier avait résumé la vraie doctrine de Gassendi : I'épicurisme corrigé par l'Évangile. Beaucoup se contenteront de I'épicurisme pur et simple, surtout de sa morale, tels Chapelle, Molière, le prieur de Vendôme, Chaulieu. Les gassendistes se fondront ainsi avec les libertins. Car, si la condamnation de Théophile de Viau a imposé à ceux-ci quelque contrainte, ils n’ont pas cessé de se multiplier. D’aucuns même sont demeurés grossiers et cyniques : ainsi des Barreaux, neveu de ce Geoffroy Vallée, d’Orléans, un libertin spirituel, brûlé en 1674 pour les audacieuses négations de sa Béatitude des chrétiens ou Le fléo de la ' foi. Cf. Lachèvre, Le prince des libertins : Jean Vallée des Barreaux, 1599-1673, Paris, 1907. En général cependant une évolution se produira chez eux ; avec