Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/149

Cette page n’a pas encore été corrigée
1711
1712
RATIONALISME. L’ITALIE DU XVIe SIÈCLE


conscience, cette autre forme de la raison individuelle. ! Dans ses Dialogi quatuor, que Fauste Socin édita en

157<S et dont Cooinkert donna en 1581 une traduction néerlandaise, il fournir i à Anninius (1560-1609), cf. ici t. i, col. 1968-1971, ses thèses sur la prédestination, l'élection, le libre arbitre et la foi, par où s’accentuait la poussée rationaliste dans la Réforme. Castellion n’cst-il pas allé jusqu'à l’antitrinitarisme ? On le voit en effet dans son De urlr du.bitan.di l’aire combattre le dogme de la Trinité que sont ient saint Alhanase par un adversaire vigoureux, qui lui est de toute évidence sympathique et qui est ou lui-même ou un antitrinitaire avec qui il était fort lié. En tous cas, il voyait l’homme comme le voyaient les humanistes, capable d’atteindre la perfection morale, et il ramenait b christianisme à n'être guère qu’un esprit ou mieux la volonté du bien, la seule vraie foi étant celle qui lait agir. Lecky a donc eu raison de voir en Castellion « un des plus éminents précurseurs du rationalisme ». Loc. cit., p. 46. Sur Castellion, voir F. Buisson, Sébastien Castellion, Paris, 1892, 2 vol. in-8°.

Vers la fin de 1542, Antoine Fumée, conseiller au Parlement, cf. Haag. La France protestante, envoyait de Paris à Calvin une lettre où déjà il signalait le nombre croissant des achristes, comme il les appelait, qui necroyaient plus au christianisme." Ils n’acceptent pas, dit-il, que l'Écriture soit inspirée : l’Ancien Testament a les pages immorales du Cantique des cantiques, le Nouveau est l'œuvre d’un sage, rien de plus. JésusChrist n’a rien d’un Uieu ; ses discours ne sont pas de la qualité littéraire voulue et ses miracles sont de faux miracles II a été divinisé par ses admirateurs. » Hermingard, Correspondance des réformateurs, t. viii, p. 228. « C’est, conclut H. Hauser, la religion tout entière avec ses dogmes fondamentaux, dans son principe, dans ses preuves historiques, dans ses preuves morales que ces nouveaux libertins s’attachent à renverser. » Éludes sur la Réforme française, Paris, 1909, p. 57.

b. Les noms de Servcl, d’Ochin et des deux Socins dominent l’histoire de ce mouvement.

L’Aragonais Michel Servct (1509-1553) avait eu de bonne heure l’idée d’une réforme religieuse. En 1531, après avoir pris contact avec Mélanehthon, Bucer, Œcolampade, qui blâment ses idées, il publie à Haguenau son premier ouvrage, De erroribus Trinitatis libri scplem, bientôt suivi, 1532, à Haguenau également, de Dialogorum de Trinilale libri duo. Ses livres font un tel scandale qu’il prend le nom de Michel de Villeneuve sous les initiales duquel il publiera en 1547 son grand ouvrage, Cliristiani reslitulio : 'l’olius Ecclesiæ aposlolicx ad sua limina vocatio in inlegruin restiluta cognitipne Dei, fidei christianee, juslificationis noslrse, regenerationis baplismi et cœnte Domini manducationis. Reslilulo denique nobis regno cœlesli Babylonis impie captivilale soluta et Antichristo cum suis penilus destruclo, Vienne. Ayant échappé à la justice catholique il n'échappa point à Calvin. Formées sous l’influence d’idées mystiques et rationalistes, dérivées du millénarisme et de l’humanisme (cf. Harnack, Dogmengeschiclde, 4e éd., t. III, p. 775), nourries de platonisme alexandrin et de fantaisies cabalistiques, les I héories de Scrvet sont parfois confuses. Ayant rompu totalement avec Rome, « il eût voulu amener Calvin, c’esl I expression de Harnack, loc. cit., p. 780, à franchir le pas décisif ». Sa Jtesiitulio était une réponse à r institution chrétienne. Le christianisme n’eût plus été qu’un déisme ou plutôt un panthéisme. Dieu est indivisible, niais il s’est manifesté aux hommes de trois manières principales : c’est à cela qu’il faut ramener l’idée chrétienne de Trinité. Jésus-Christ, c’est Dieu manifesté de la manière la plus parfaite. La création, éternelle, est le développement éternel de Dieu. Dieu s’est incarné en

produisant la nature ; son incarnation dans le Christ est du même ordre mais infiniment supérieure. Jésus est le Fils de Dieu, en ce sens ; il est Dieu mais Dieu, participant des créatures, Dieu visible dans la chair, le centre de tout le reste de la création. Sur Servet cf. tous les ouvrages consacrés à Calvin ; F. Buisson, Castellion ; Saissct, Servet, dans Revue des DeuxMondes. 1848, I. I, p. 585-618, 817-848 ; Busson, loc. cit., p. 353-358.

La Réforme s'était répandue rapidement en Italie. Des moines s’y laissèrent même gagner et s’en firent les apôtres. Bernardino Ochino (I 187-1564), franciscain puis capucin, prédicateur qui tenait toute l’Italie sous le charme de sa parole, fut le type le plus achevé de ces moines. Cf. t. xi, col. 916-928. Il crut bon de se réfugier a (ieiiève en 1542. Il n’y demeurera pas. Ce qu’il demandait à la Réforme, c'était non pas une doctrine mais le droit de penser librement. A l’abri derrière le principe de la justification par la foi, il reconnaît a chaque fidèle le droit de se faire sa croyance et sa loi, blâmant la peine de mort pour crime < d’hérésie ». Dans son dernier grand ouvrage, Dialogi XXX in duos libros divisi, quorum primas est de Messia continetque Dialogos XVIII, secundus est lum de rébus variis tum de Trinilale, pour son compte personnel, il se montre incertain de la Trinité que n’enseigne pas l'Écriture, de la divinité de Jésus-Christ et accepte la polygamie. On lui attribua les Trois imposteurs. Ses idées sur la Trinité et sur le Christ furent reprises et propagées par ses deux compatriotes, les Socins.

Les Socins, nés à Sienne comme lui, l’oncle Lelio (1525-1562) et surtout le neveu, Fausto (1539-1604), tendent eux aussi à la religion naturelle. Partant de ce principe que l'Écriture doit être interprétée selon la raison ou, si c’est impossible, d’une manière allégorique, ils aboutissent à ces conclusions que le dogme de la Trinité doit être interprété dans le sens du modalisme, mais nient l’union hvpostatique.la préexistence ou l'éternité du Verbe. Le Christ, chargé d’une mission divine, pour laquelle Dieu l’a assisté, fut l’apôtre d’une doctrine de vérité et d’amour. Fausto soutint ces idées dans son De Christo servalore et dans le Catéchisme de Rakow, ou Catéchisme socinien. Cf. Ribliolheca fratrum Polonorum, t. i, p. 651-676 et t. ii, p. 115-246. La secte des sociniens à laquelle il donna sou nom lui survécut en Pologne. Si ces transfuges du christianisme n’avaient pas rompu toute attache avec lui, du moins ils attaquaient ses dogmes fondamentaux, en particulier la divinité de son chef et proclamaient la souveraineté de la raison.

d) Le courant scientifique. — C’est le progrès scientifique qui appellera plus encore le rationalisme moderne. -1. Mettant à la base du savoir l'étude directe des choses, l’expérience, il affranchira définitivement l’esprit humain de l’aveugle admiration vouée à l’antiquité, particulièrement à Aristote — à travers lequel on voyait la nature — en attendant qu’il l’affranchisse du panpsychisme des Padouans et des croyances astrologiques et magiques par où ils expliquaient les choses. 2. Il amènera a séparer les sciences expérimentales de la philosophie et de la théologie en attendant qu’il oppose la science et la foi. 3. Par le fait qu’il ruine des théories aveuglément soutenues jusque-là, il développera l’esprit critique qui dénonce les facteurs subjectifs intervenant spontanément mais faussant la véritable vue des choses. 4. Et dès sou apparition, il posera ce problème : est-il possible de concilier les résultat s de la science avec les données de la théologie et L’interprétation traditionnelle des Livres saints ? Et si cette conciliation apparaît impossible, quelle attitude prendre ? Sur de lui-même, dans de telles conditions, n’acceptant plus ni la tradition, ni l’autorité, l’esprit