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RATIONALISME. LA PENETRATION EN FRANCE

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appellent « le génie d’Aristote, le prince des philosophes » et Balzac « le grand Cremonini ». Il a beaucoup écrit. Voir dans Charbonnel, loc. cit., p. 230 sq., le catalogue de ses œuvres imprimées et manuscrites. Cremonini qui a pris pour règle pratique : Foris ut moris est, intus ut libet, s'écarte cependant des croyances chrétiennes. Il précise en les modifiant parfois, mais non dans l’essentiel, les doctrines de Pomponazzi. Ainsi pour l'âme et sa vie, il précise : l'âme est la forme du composé vivant ; « elle est le faisceau de toutes les énergies d’un degré suréminent que peuvent apporter les puissances matérielles diversement actuées qui entrent dans l’organisme physique. » Elle finit donc à la dissolution de l’organisme. En un sens cependant on peut la dire spirituelle et immortelle : spirituelle, en ce qu’attirée par le modèle suprême, Dieu, elle projette ses énergies coordonnées vers l’idéal. Immortelle, en ce que « l’intellection est l’actuation de la puissance dernière de l'âme sous l’influence d’une forme suprême qui est l’Universel ». et que cette actuation sous cette influence la fait rentrer dans le concert des êtres éternels. Cf. Charbonnel, loc. cit., p. 230-274 ; Mabilleau. Cesare Cremonini, Paris, 1881.

Faut-il ranger Machiavel (1409-1527), comme le veut Nourrisson, loc. cit., préface, p. u et iii, parmi les disciples des Padouans ? Il ne semble pas, quoique l’on puisse rapprocher du rationalisme padouan ce que R. Charbonnel appelle « le positivisme » de Machiavel, à condition, bien entendu, que l’on n’oublie pas la distance qui sépare de Comte le XVIe siècle, loc. cit., p. 389. Ce n’est pas sans raison qu’en 1559 les jésuites, entrés à l’université d’Ingolstadt, brûlaient Machiavel en effigie, que Paul IV et le concile de Trente mettaient ses œuvres à l’Index : ses principaux ouvrages, Discours, Du Prince, Istorie, publiés à Rome en 1531 et 1532, après sa mort par conséquent, mais qui avaient circulé manuscrits et où il s’inspire, en les dépassant, des anciens, de Polybe en particulier, sont en complète opposition avec les principes chrétiens. Autant que l’homme privé, dit le christianisme, l’homme d'État doit se conformer à la loi de justice ; d’autre part l'État doit faire parvenir l’homme à son but le plus élevé, le salut éternel. Machiavel estime-t-il qu’il y a une loi de justice ? que cette loi commande l’homme d'État ? Il ne tranche pas la question théorique. Pratiquement, l’homme politique lui paraît inférieur à son rôle quand il poursuit un autre but que son intérêt : la raison d'État est la règle suprême. De là, un renversement des valeurs. La qualité idéale du politique est la virtù, la force. Le prince ne doit reculer pour assurer son succès devant aucune considération : la terreur, le crime, les massacres, la trahison, le parjure sont justifiés par le fait qu’ils sont utiles. De là encore un renversement des buts : l'État est à lui-même sa propre fin. Il n’a pas à se préoccuper de l’au-delà. Un renversement aussi dans la valeur des religions. Le christianisme, tel du moins que l’interprète la lâcheté humaine, a émasculé les âmes en exaltant l’humilité, l’abnégation, la souffrance, en plaçant dans l’au-delà le but de la vie. Supérieures à lui étaient les religions antiques qui exaltaient la force des corps, l'énergie des âmes, toutes les qualités qui rendent l’homme redoutable, glorifiaient les héros et par leurs sacrifices sanglants apprenaient à ne pas craindre de verser le sang. Le prince comptera toutefois avec la religion. Non que la Providence préside au destin des peuples, puisque ce destin dépend de la fortune et du hasard, des volontés de qui l’astrologue nous avertit parfois ; mais l’homme peut aider ces puissances ou ruser avec elles, lutter contre elles ; et un excellent moyen d’action, c’est la religion, le christianisme, à la condition de le retremper à ses sources, l'Église l’ayant amené à la décadence. Machiavel a donc séparé la politique de la religion et

même de la morale, proclamé le droit absolu de la raison d'État à l’heure où se constituaient les États modernes qui allaient user largement de la doctrine. Sur Machiavel, les ouvrages les plus importants sont ceux de Pasquale Villari, Kicolo Macchiavellie i suoi lempi, Florence, 3e édit., Milan, 1914, 1877-1878, 3 vol. ; Ch. Benoist, Le machiavélisme, Paris, 1934, t. ii, Machiavel ; sur le Prince, Federico Chabod, Del Principe di Macchiavelli, Milan, 1926 ; Charbonnel, loc. cit., p. 389-438.

Le contemporain de Machiavel, l’historien florentin, François Guichardin (1482-1540) partage les mêmes conceptions morales et religieuses. Ses Opère inédite… illusirate da Giuseppe Canestrinie publicate per cura dei conti Pielroe Luigi Guicciardini, Florence, 1857-1807, 10 vol., surtout au t. i, les Ricordi politici c civili, le montrent ébloui non par la victoire morale, mais par le seul attrait du succès pratique, ne connaissant que la doctrine de l’intérêt et conseillant la dissimulation, le mensonge, la perfidie, les moyens les plus atroces quand ils paraissent nécessaires et, d’autre part, niant le surnaturel sous toutes ses formes, blâmant l'Église, tout en gardant comme beaucoup les habitudes religieuses de son siècle. Cf. E. Benoist, Guichardin historien et homme d'État italien, Paris, 1802 ; A. Getïroy. Revue des lieux-Mondes, du 15 août 1801, Un politique italien de la Renaissance, et du 1 er février 1874, Une autobiographie de Guichardin d’après ses œuvres inédites ; sur Machiavel et Guichardin, V Poirel, Essai sur les discutas de Machiavel avec les considérations de Guicciardini. Paris, 1809 ; P. Mesnard, L’essor de la philosophie politique au a i/ f siècle, Paris, 1930.

La pénétration en France.

D’Italie, les idées

padouanes pénètrent en France par l’intermédiaire des étudiants et des maîtres qui vont d’un pays à l’autre ; les œuvres d’Aristote commentées par les Padouans sont imprimées à Lyon ou à Paris : mais c’est surtout après 1542 que leur philosophie s’enseigne et se répand.

Cette année-là, l’un d’entre eux, Vicomercato (15001570) annoncera au Collège de France Aristote selon Pomponazzi, tandis qu'à la Sorbonne s’enseigne la scolastique. Vicomercato expose avec quelque ménagement, mais aussi une malice agressive, les points où l’aristotélisme s’oppose au dogme : Dieu, la création, la providence, l'âme. Sur la question de l’intellect agent, il se sépare de Pomponazzi ; la vérité — encore qu’il cite quelques textes d’Aristote d’où l’on peut conclure à l’immortalité personnelle — lui semble être avec Averrocs plutôt qu’avec Alexandre d’Aphrodisias. Son enseignement sera altaqué dès 1543 par Ramus (1515-1572), qui n’est pas encore son collègue au Collège de France, et en 1552 par Postel (1510-1581). Voir Vicomercato : In terlium librum Aristotelis de anima, Paris, 1543, in-8° ; In octo Aristotelis de naturali auscultalione commentarii…, Paris, 1550, in-fol. ; In eam partem duodecimi libri metuphysiav Aristotelis in qua de Deo et cœteris mentibus disseritur, Paris, 1551, in-4° ; In quatuor libros Aristotelis meteorologicorum commentarii, Paris, 1556, in-fol. ; De principiis rcrum naturalium libri 1res, Padoue, 1590, in-4°. Et sur Vicomercato, Busson, loc. cit., p. 203-207, 208-231.

Plus personnel est Jérôme Cardan (1501-1576). Il n’enseigna pas en France mais il y séjourna, aussi bien qu’en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Allemagne. Cf. Cardan, De propria vita, Paris, 1543, in-8°. Mathématicien, cf. Libri, Histoire des sciences mathématiques en Italie, Paris, 1838-1841, t. iii, p. 167, médecin, naturaliste, philosophe, il a beaucoup écrit, entre autres : De sapientia libri V, Genève, 1544, in-4° ; De immortalitate animarum, Lyon, 1545, in-8° ; De subtilitate, Nuremberg, 1550, in-fol. ; De rerum varietate, Bâle, ' 1557. Voir les écrits philosophiques, t. i, ii, iii, x, des Œuvres complètes, Lyon, 1663, 10 in-4°. Pour Cardan,