Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée
1439
1440
QUAKERS


horriblement divisée par la guerre civile. Cromwell avait abattu la monarchie d’abord, le Parlement puritain ensuite. En contraste frappant avec les méthodes de Cromwell, Fox, qui eut avec le dictateur deux entrevues significatives, était opposé à tout emploi de la violence. Il condamnait à la fois le serment et le service militaire. A la Restauration, le chiffre de ses adhérents atteignait soixante mille. Il vécut assez pour voir proclamer la tolérance, que lui-même avait tant prêchée, par l’acte de 1689. Il mourut en 1691.

Dans l’intervalle, la Société des Amis avait fait, en la personne de William Penn, une brillante conquête. Penn devait être le plus illustre des quakers. On sait que c’est lui qui donna son nom à la Pcnsylvanie ( Pennsylvania). Penn était le fils d’un illustre amiral, le conquérant de la Jamaïque. Il fut gagné à la doctrine de Fox par un prédicant nommé Thomas Lee.

Son père avait fait de vains efforts pour l’arracher à la secte alors très mal famée des trembleurs. Après un voyage en France et en Europe, William, qui était un jeune homme intelligent, droit et distingué, fait, semblait-il, pour tous les succès du monde et de la politique, se jeta entièrement dans la cause du quakérisme. Chassé par son père, secrètement encouragé et soutenu par sa mère, il lança dans le public des écrits en faveur de la secte : La vérité exaltée (Truth exalted), Le fondement de sable ébranlé (Sandij foundation shaken), qui lui valut la prison ; Point de croix, point de couronne, (No cross, no crown), composé en captivité. Son courage, sa persévérance, finirent par toucher son père. Le roi intervint en sa faveur. Il sortit de prison. Mais il reprit la lutte, réclamant avec enthousiasme la liberté universelle de la religion, la tolérance légale pour tous les cultes. Il considérait la conscience religieuse comme une sorte de propriété inviolable, selon les vieilles traditions anglaises : « Rien n’est plus déraisonnable, écrivait-il, que de sacrifier la liberté et la propriété d’aucun homme pour la religion, car ce sont pour lui des droits naturels et civils… La religion, sous quelque forme qu’elle se présente, ne fait pas partie du vieux gouvernement anglais. » England’s présent interest considered, 1672. Cette thèse lui valut de nouveau la prison en 1670. Vers cette date, son père vint à mourir. Penn hérita de lui une magnifique fortune. Il la mit entièrement à la disposition de sa cause, sans cesse poursuivi par les tribunaux de son pays. Il conçut alors l’idée d’un établissement en Amérique pour lui et les siens. L’État devait environ 1 million à son père. Cette dette lui permit d’obtenir une vaste concession au nouveau monde.

Ce fut le roi qui exigea que la nouvelle colonie portât le nom de Pennsylvania. Les quakers allaient pouvoir y réaliser leurs rêves : une démocratie religieuse, sous le signe de la parfaite égalité de tous les colons et du pacifisme intégral. Les colons n’auront pas même d’armes pour se défendre des Indiens. Penn, dans un sentiment de justice scrupuleuse, voulut racheter aux indigènes ce que le roi lui avait déjà vendu. Penn prit possession de la nouvelle république en 1682. Il conclut avec les Indiens, sans sceau ni serment, cette alliance fameuse dont Voltaire a pu dire qu’elle n’avait jamais été ni jurée ni violée. Penn y éprouva toutes sortes de déboires, de la part des colons, il fut ruiné, poursuivi, arrêté, dut revenir en Angleterre, fut réhabilité et remis en possession de sa colonie, en 1699, puis de nouveau abreuvé de chagrins, dépouillé, jeté en prison pour dettes, affligé par l’inconduite d’un de ses fils, frappé de paralysie. II mourut en 1718, et ce ne fut qu’alors que sa grandeur d’âme fut universellement reconnue et vantée. Il fut une sorte de génie méconnu, dont les idées finirent par s’imposer, pour des raisons tout autres du reste que celles qui l’avaient guidé. C’est, pour une large part, à son action, à son prestige.

à la sympathie que la cour avait pour lui, en dépil de ses bizarreries, que furent dus les bills de tolérance qui, de 1687 à 1689, d’ébauche en ébauche, passèrent (huis les lois et les mœurs anglaises.

II. Doctrine.

Les deux hommes qui ont crée le quakérisme n’étaient pas des théologiens, Fox encore moins que William Penn. Ils obéissaient à des intuitions plus qu’à un système. Beaucoup de leurs adhérents leur ressemblaient : esprits enthousiastes et généreux, mais penseurs ou logiciens médiocres. Le seul théologien de la secte fut Robert Barclay (1648-1690). Ce personnage appartenait à une ancienne famille écossaise. Son grand-père et son père tenaient une place distinguée à la cour de Charles I er, puis dans l’armée. Pendant un séjour en France, pour ses études. Barclay se convertit au catholicisme. Quand il revint en Ecosse, il trouva son père gagné aux idées de Fox. Après une longue résistance, il céda aux objurgations de son père et se fit quaker lui-même. Il consacra dès lors son talent à la systématisation de la doctrine de Fox. Son ouvrage principal, publié en 1676, avait pour titre en latin : Apologia theologiæ vere christianse. Il ne fut traduit en anglais que deux ans plus tard, en allemand en 1684, en français, en 1702. Il y eut des critiques. Barclay répondit à tous ses adversaires. Ses œuvres complètes furent publiées par les soins de Penn en 1692.

Barclay semble avoir été ému par le désordre de la pensée chrétienne de son temps. Luther avait prétendu remonter aux sources, au christianisme primitif. Barclay remonte, lui, à l’origine même du sentiment religieux dans le cœur de l’homme. Pour lui, l’âme humaine est, selon le mot de Tertullien, « naturellement chrétienne ». On doit donc retrouver en elle les bases du vrai christianisme. L’homme est de la race de Dieu. Il a été fait à son image et ressemblance. De là cet ins tinct naturel qui porte l’homme vers Dieu, de là le sentiment religieux. Barclay, confondant l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, parle d’une révélation immédiate de Dieu à toute âme humaine, s’imposant par son évidence à tout esprit droit. Apologie, éd. fr., p. 2. Nous avons donc en nous des intuitions immédiates il irrésistibles, qui forment nos conceptions religieuses. C’est ce que les quakers appellent la « substantielle semence » déposée par Dieu dans l’homme. Mais Barclay ne Veut pas que cette semence soit confondue ni avec la conscience, ni avec le cœur, ni avec aucune autre faculté. On pourrait dire qu’elle est d’une part un sens sui generis : le sens religieux ; d’autre part, une révélation innée, c’est-à-dire un ensemble de vérités primordiales sur Dieu et l’âme qui seraient le contenu inaliénable du sens religieux. Barclay interprète dans le sens qu’on vient de voir le mot de saint Jean : End lux vera quie illuminât omnem hominem. Fox avait fait déjà de ce texte un tel usage que les controversistes du temps l’appelaient le « texte des quakers ».

Contrairement aux autres sectes protestantes, les quakers ne veulent pas admettre la corruption radicale et incurable de l’homme par le péché originel. Pour eux le péché d’Adam n’est imputé à personne jusqu’à ce qu’on le fasse sien par de semblables actes de désobéissance. Il y a donc corruption initiale, mais non imputation de culpabilité. Barclay estime même que le nu il de péché originel est un « barbarisme inconnu à l’Écriture », inscripluralis barbarismus. Il suit de là que le Christ n’a pas eu à nous racheter à proprement parler. Aucune thèse de Barclay, dans son Apologie, ne porte directement sur la personne ou l’œuvre de Jésus rédempteur. Ce n’est qu’incidemment qu’il atteste sa foi en la divinité du Christ et à son intervention dans l’œuvre du salut de tous les hommes. Le Christ a sati^ fait pour tout l’univers, tant par son obéissance active (sa vie entière), que par son obéissance passive (ses