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RAPT (EMPÊCHEMENT DE


Cette discipline demeura telle jusqu’à la promulgation du Code. Aujourd’hui, c’est au canon 1074 qu’il faut chercher le droit en vigueur ; il n’a apporté aucune modification substantielle au droit antérieur ; il l’a seulement amplifié et précisé en assimilant au rapt proprement dit la détention violente en vue du mariage, ainsi que nous allons le voir en détail.

III. L’empêchement de mariage. — 1° Nature. — Selon la teneur du canon 1074, il est hors de doute que le rapt est un empêchement dirimant : inler virtun rtiptorem et mulierem raptam… nullum potest consistere malrimonium. Quelques auteurs ont prétendu que c’était un empêchement de droit naturel, étant fondé sur le défaut de consentement de la femme ; cette opinion est insoutenable, car il est certain, d’après les ternies mêmes du concile de Trente et du Code, que l’empêchement subsiste tant que la femme reste au pouvoir du ravisseur, même si elle consent librement au mariage. Donc, à la différence de l’empêchement de pis et mctus, qui touche au droit naturel, le rapt est un empêchement de droit purement ecclésiastique, créé par le concile de Trente ; il peut coexister avec celui de pis et metus, mais il s’en distingue parfaitement.

Le concile de Trente l’a institué, nous dit une instruction du Saint-Office aux évêques d’Albanie (15 février 1901), tum ex præsumptione non consensus, turn in odium tanti jacinoris. Ces paroles demandent une explication. — 1. Il n’est pas douteux que les Pères du concile n’aient voulu, par le moyen de cet empêchement, sauvegarder la liberté et la dignité du sacrement de mariage : mais il est non moins certain qu’ils n’ont pas voulu créer par là une présomption de droit concernant le non-consentement de la femme. L’empêchement est une véritable inhabileté qui lie les contractants indépendamment de l’existence ou du défaut de consentement : c’est pourquoi, à la différence de la présomption, il ne cède pas à la vérité, c’est-à-dire, il ne cesse pas même lorsque la femme a consenti. Ce que le Saint-Office a voulu dire c’est donc que cette présomption a pu être le principal motif de créer l’empêchement, mais non que l’empêchement était fondé sur la présomption de non-consentement. Cf. Gasparri, Tract, canon, de matrimonio, t. i. 1932, n. 638. — 2. Il faut ajouter que l’empêchement, bien qu’établi in odium tanti jacinoris, n’a pas précisément le caractère d’une peine vindicative, attendu qu’il cesse dès que la femme est rendue à la pleine liberté et replacée en lieu sûr. Plus encore qu’à punir le coupable, la loi irritante vise à décourager les malintentionnés en leur ôtant par avance tout espoir de réaliser un mariage valide au moyen du rapt. WernzVidal, Jus matrim. n. 307, note 3.

Étant donnée son origine purement ecclésiastique, l’empêchement de rapt ne lie pas les infidèles lorsqu’ils contractent entre eux, à moins que la loi civile, elle aussi, ne considère le rapt comme un empêchement dirimant. C’est le cas des codes civils autrichien et espagnol. Mais l’irritation du mariage est certaine lorsque le ravisseur est infidèle et la victime baptisée, ou réciproquement, et cela indépendamment de l’empêchement de disparité de culte ; car, dans l’un et l’autre cas, l’une des parties est inhabile à contracter, et cela suffît à rendre le mariage nul ; la partie baptisée est liée par l’empêchement directement, l’infidèle indirectement. Cf. Gasparri. Tract, can. de matr., t. ii, n. 613 ; Wernz-Vidal, op. cit., n. 310, note 17.

Conditions.

Selon la définition que nous en

axons donnée et aux termes du canon 1074, l’empêchement de rapt se vérifie lorsqu’il y a enlèvement ou rétention violente d’une femme en vue du mariage : d’où cinq conditions requises.

1. L’enlèvement ou abductio est le transfert de la

femme d’un lieu dans un autre, d’un lieu où elle était en sécurité dans un autre où elle est au pouvoir du ravisseur. Cette diversité des lieux, qui doit être au moins morale, est dans la notion même du rapt ; on tiendra compte cependant moins de la distance qui les sépare que de la sécurité ou de la sujétion qu’y rencontre la femme. Théologiens et canonistes dissertaient jadis longuement sur les conditions requises pour qu’il y ait véritablement abductio. Cf. S. Alphonse de Liguori, Theol. mor., t. VI, n. 1107. Le transfert d’une chambre à une autre dans l’intérieur de la même maison n’était pas regardé comme suffisant ; de même le fait de passer simplement de la voie publique dans un champ avoisinant. Cependant, dit encore de nos jours Gasparri, Tract, can. de matr., éd. 1932, n. 645, il n’est pas impossible qu’une distance même aussi restreinte, suffise, dans un cas particulier, à constituer un rapt ; car, d’une part, les lieux sont physiquement différents, et d’autre part, il peut se faire que la femme perde sécurité et liberté en passant du premier au second. Aujourd’hui, les auteurs s’accordent à regarder comme suffisant par lui-même le fait de transporter la femme dans une maison voisine, celle-ci fût-elle distante seulement de quelques pas ; et même, dit Gasparri, ibid., d’un étage de la même maison à un autre étage, habité par une famille distincte. Depuis la promulgation du Code, ces précisions et distinctions n’ont plus la même importance, attendu qu’au rapt proprement dit ou enlèvement est assimilée, en matière matrimoniale, la détention violente ou séquestration, qui peut être réalisée même sans qu’il y ait eu enlèvement par violence.

2. La détention, retentio, dont il est question au canon 1074, § 3, est une seconde forme de l’empêchement de rapt, non prévue par le concile de Trente, et ajoutée par le Code. Elle consiste à garder une femme malgré elle, dans un lieu où elle n’a plus son entière liberté, en vue de l’amener au mariage ; ce lieu peut être sa propre demeure, ou un autre où elle s’était rendue librement, mais où elle subit actuellement la contrainte du ravisseur. La contrainte ne cesse pas du fait des proportions plus ou moins vastes du lieu de détention : celui-ci fût-il un immense palais, un parc très étendu, la raison de l’empêchement reste la même, à savoir l’absence de sécurité et de liberté où se trouve réduite la femme en face du mariage qui lui est proposé.

3. Enlèvement ou détention doivent être violents, c’est-à-dire opérés contre la volonté de la femme. La violence peut s’exercer par la force physique ou la contrainte morale : menaces, crainte grave. Il suffit que la femme refuse de se laisser entraîner ou garder : ou bien, si elle accepte l’enlèvement ou la détention, grâce aux promesses, aux flatteries ou à la ruse, il suffit qu’elle refuse le mariage qui en serait la conclusion. La violence existerait à plus forte raison, si la femme était opposée et à l’enlèvement et au mariage. S. C. Conc, in Olomucen., 14 mars 1772 ; cf. Capello. De matrimonio, n. 461.

Il importe peu, en cette matière, que les parents soient consentants à la violence faite à leur fille ou même en soient les complices, si l’intéressée s’y refuse. Cf. S. C. Conc, in Parisien., 27 avril 1864, dans Acla S. Sedis, t. i, p. 23. Au contraire, si la jeune fille, même mineure, consent à se laisser enlever en vue du mariage, alors que les parents s’y opposent, on se trouve en présence d’une fugue, souvent concertée, laquelle ne constitue pas un empêchement. Le raplus in parentes du droit du Moyen-Age, cf. Grat., caus. XXXVI, q. i, c. 2, n’est donc plus aujourd’hui un obstacle au mariage, encore qu’il puisse exposer son auteur aux peines prévues par le canon 2353. Voir § IV, Le raptcrime ci-dessous, col. 1673.