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PRIÈRE. DÉFINITION


peuvent bien être ces états allectifs en l’absence de la prière qui les avait fait naître, sinon « une certaine disposition du corps et de ses humeurs, en vertu de laquelle on revient facilement ad priorem a/Jectum, à l’occupation qui l’a produite, quand l’attention revient i ? N. 14.

Conclusion.

- Une bonne définition, disent les

logiciens, doit contenir le genre prochain et la différence spécifique ; de plus, elle doit convenir toti définit » et soli deftnito. Nous devons clone commencer par nous demander quels sont les actes religieux que l’on désigne généralement par ce mot de prière : en d’autres termes, déterminer son extension d’après l’usage. Puis il nous faut examiner ce groupe d’actes religieux, voir ce qu’ils ont de commun et de distinctif ; en d’autres termes, déterminer la compréhension du mot prière, non à priori, mais d’après l’observation. A suivre ces règles, il n’y a pas de doute que, des trois définitions de la prière qu’on trouve dans les Pères : « demande faite à Dieu, entretien avec Dieu, élévation de l’âme vers Dieu », cf. J. de Guibcrt, Essence de la prière et prière pure, dans Revue d’ascétique et de mystique, 1930, p. 227, il n’y a pas de doute que ce ne soit la seconde qui s’applique le mieux toti et soli definito : toute prière n’étant pas une « demande faite à Dieu » et toute « élévation de l’âme vers Dieu » n’étant pas une prière. Somme toute, on pourrait adopter la définition de Mutz : « une dévote et humble élévation de l’âme vers Dieu pour exprimer devant lui nos sentiments et nos désirs ». Ibid., p. 228. Ajoutons d’ailleurs que cet « entretien avec Dieu », ou plutôt cette locutio ad Deum, peut se faire par le langage du cœur aussi bien que par celui de l’esprit.

Nous avons dit : « entretien avec Dieu, ou plutôt locutio ad Deum » ; car, bien que les termes d’entretien ou de « colloque » par lesquels on désigne la prière suggèrent l’idée d’un dialogue, notre prière, hélas ! n’est bien le plus souvent qu’un monologue. A ce sujet, Bellarmin distinguait trois degrés de prière : « Le premier est celui de ceux qui prient, mais n’entendent pas de réponse et ne savent s’ils sont exaucés (an audiantur ; faut-il traduire : s’ils sont entendus ?) ; le second est celui de ceux qui ont quelques raisons de croire qu’ils sont exaucés (habent aliqua signa quod audiantur), mais n’entendent pas de réponse ; le troisième est celui de ceux qui vraiment conversent avec Dieu et Dieu avec eux. Ceux-ci reçoivent des lumières, n’ont pas de distractions et ne se fatiguent pas en priant, parce qu’ils écoutent plus qu’ils ne parlent. » Cité par E. Raitz von Frentz, Rev. d’ascët. et de myst., 1926. p. 143.

Puisque prier c’est parler à Dieu d’une manière ou d’une autre, c’est « exprimer devant lui nos sentiments et nos désirs », et puisque, selon saint Augustin, ce n’est pas seulement la bouche ou le cœur qui parlent, mais aussi notre action, pourquoi ne pourrait-on pas dire que toute bonne action est une prière et que, par conséquent, tant qu’on demeure attentif à éviter ce qui met en danger de déplaire à Dieu et qu’on tâche de faire en tout sa volonté, on prie sans prier, et Dieu entend ce langage » ? Bossuet, cite par Landriot, appendice à V Instruction pastorale pour le carême 1^62, dans Œuvres, 2e éd., t. iii, Paris, 1864, p. 144. Landriot a recueilli un grand nombre de textes scripturaires ou patristiques, de théologiens, de prédicateurs ou d’auteurs spirituels, où l’on retrouve cette idée qu’une bonne vie est le meilleur des sacrifices, la meilleure des prières qu’on puisse offrir à Dieu ; cf. t. ii, p. 207209 ; t. iii, p. 91-100, 108-110, 132-146. Que peut-on tirer de ces textes ? Tout juste le contraire de ce que l’on veut y trouver, à savoir que toute bonne action, sans être une prière proprement dite, équivaut à une prière : « on prie sans prier », dit fort bien Bossuet. Le

théologien se doit d’adopter un langage plus précis que l’orateur ; il a le droit de reconnaître que celui-ci recourt à des figures de mots ; dire qu’une bonne action est une prière ou un sacrifice, c’est employer les mots prière et sacrifice non dans leur sens propre, mais dans un sens métaphorique. En vérité, cependant, une bonne vie deviendra une vraie prière quand elle baignera, si l’on peut dire, dans la prière : quand elle sera rapportée à Dieu par l’offrande formelle, plus ou moins fréquente, que nous en ferons à la gloire de Dieu, quand elle sera accompagnée de ce regard amoureux sur Dieu qui constitue la prière du cœur et qui, chez les saints, est pour ainsi dire permanent. Cf. Le témoignage de Marie de l’Incarnation, ursuline de Tours et de Québec, texte préparé et publié avec une introduction par D. Jamet, Paris, 1932.

Et ceci nous amène à ce que Landriot appelle l’esprit de prière, qui s’apparente assez étroitement avec la « prière pure » ou l’ « essence de la prière » de H. Bremond. Cf. J. de Guibert, loc. cit., p. 220-234.

L’esprit de prière, dit Landriot, ce n’est aucune prière eu particulier… : c’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, ta partie subtile et éthérée de c.iacun de ces exercices, qui remonte dans les hautes régions de l’âme, et y forme comme un réservoir habituel de saintes pensées et de pieux sentiments dont le parfum s’exhale, lors même que l’âme s’occupe des devoirs extérieurs… L’esprit d’une c.iose est la quintessence de cette chose… De même, l’esprit de prière… : c’est une nuile essentielle, composée de ce qu’il y a de plus divin (lins les rapports de l’âme avec le ciel, et qui, venant à surnager dans notre âme, y brûle perpétuellement en l’Iionneur de Uieu. Alors, toutes nos actions, nos pensées, nos désirs, nos volontés, sont imprégnés de cette huile céleste ; tout dans notre être et dans notre vie devient une prière continuelle, un hymne sans fin, une immolation de tous les instants… L’esprit de prière est comme une vapeur céleste qui domine toute notre vie, qui l’enveloppe tout entière… L’homme ne peut pas toujours réciter des prières voc des, toujours méditer, toujours être agenouillé dans les églises ; mais lou ours il peut avoir en son cœur cet esprit de prière qui s’exiialede l’âme comme le parfum de la Heur, et qui embjume par une brise céleste toutes les heures de la vie… Le principe, la racine véritable et l’essence la plus intime de la prière, ce qui la constitue et la rend agréable à Dieu, c’est la soumission à la volonté du Seigneur et le désir de lui plaire… T. iii, p. 83-92.

Cet esprit de prière ne nous abandonne pas un seul instant, lors même que nous n’en avons pas toujours la conscienc " réfléchie : c’est le soleil de notre âme, et au milieu de la multiplicité des affaires, au milieu du bruit de ce monde et des nuages de la terre, ce soleil intérieur luit pour nous et fait tressaillir notre cœur par des jubilations d’autant plus profondes qu’elles semblent inaperçues. Ibid., p. loi.

Cependant, il est dillicile que cette disposition habituelle de l’âme, ne se manifeste point souvent par des actes réfléchis ; quand l’âme est pleine, il se lorme nécessairement des puits artésiens, et l’eau vole dans toutes les directions. De li, ces aspirations secrètes du cœur, ces oraisons jaculatoires, qui s’él incent coin ne les étincelles d’un feu ardent… Ibid.. p. 117. (C’est nous qui avons souligné.)

En somme, de quoi s’agit il’? Mais tout simplement, il nous semble, de ce que les théologiens appellent la dévotion, qui naît de l’amour et nous porte à nous adonner totalement et généreusement au service de Dieu ; cꝟ. 1I’-II’q. LXXXII. Dévotion serait le terme technique dans la langue exacte de la théologie ; les psychologues non théologiens parleraient d’ « esprit religieux », les auteurs spirituels d’ « esprit surnaturel ». Tous ces termes seraient, en tout cas. préférables â celui d’ « esprit de prière, qui repose sur une conception pour le moins discutable de la prière. Pour saint Alphonse, l’esprit de prière est tout simplement l’habitude de recourir à Dieu en tout, tout de suite et toujours. Cf. Bouchage, Pratique des vertus, t. iii, p. 318319.

II. PRiftRE et.f fini ta TlON. — La méditation est-elle une prière ? Cf. J. de Guibcrt, Rev. d’ascët. et de myst..