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    1. PRESCRIPTION##


PRESCRIPTION. EN THEOLOGIE

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Mais ces effets ne peuvent être pleinement réalisés que si la prescription opère à la fois in fora civili cl m foro conscientiæ. Faudra-t-il recourir à un système juridique établi uniquement par les théologiens ?

Non, car la loi humaine peut valoir en conscience connue au for externe, bien qu’on en ait autrefois doute. Mais, depuis longtemps, canonistes et théologiens sont d’accord sur le principe. Nous aurons donc a rechercher les exigences auxquelles doit satisfaire la théorie pour répondre à ce double point de vue : 1. dans les conditions d’exercice ; 2. dans les ell’ets de la prescription.

1’- Conditions d’exercice. — H y a des conditions spéciales à l’usucapion (chose susceptible de prescription, possession, juste titre), et des conditions communes aux deux sortes de prescriptions : laps de temps, bonne foi.

1. Choses imprescriptibles.

La doclrinc reconnaît deux sortes de choses imprescriptibles : ex natura rei (res snenc. res publicæ, droits appartenant à l’Église jure divino), ou par une disposition expresse du droit canonique (cf. infra) ou des lois positives ; il suffit d’y renvoyer.

2. Les exigences relatives à la possession ont été longuement discutées par les canonistes et les théologiens, en partant des textes romains ; cf. un bon résumé dans Ballerini-Palmieri, Opus theologicum morale, t. iii, Prati, 1899, p. 168 sq. Mais la controverse classique entre Savigny et Ihering, au début du xixe siècle, a montré qu’il était impossible de tirer du droit romain une doctrine absolument cohérente : la possession, d’après les Romains eux-mêmes, est une res facti potius quam jaris. Il nous semblerait suffisant, a) de distinguer détention et possession ; b) de réduire les éléments constitutifs de la possession à l’appréhension matérielle (corpus), jointe à l’intention de se comporter en maître (animus), ce que les théologiens appellent parfois possession composite ou mixte. La possession véritable permettrait seule d’usucaper, si elle était continue, paisible, publique, non équivoque ; on pourrait aussi, selon la règle romaine, conserver la possession animo solo au cours de l’usucapion, tant qu’il y a possibilité matérielle d’appréhension de la chose. Cf. Ubach, Compendium theologiæ moralis, t. i, Fribourg, 192&, p. 204, texte et note 2.

3. La nécessité en conscience du juste titre est rattachée par la plupart des auteurs à la bonne foi requise pour la prescription. Comme en droit civil, c’est tout acte juridique apte en lui-même à transférer la propriété, s’il n’était entaché d’aucun vice (verus). Il peut être coloré (ou apparent), putatif, présumé. Pour prescrire, il suffit, en droit naturel, d’un titre coloré, c’est-à-dire affecté d’un vice caché, comme la croyance invincible à la qualité de propriétaire ou à la majorité du trad.ns ; et même, à défaut de titre coloré, d’un titre putatif, à l’existence duquel on croit à tort, mais raisonnablement. De droit positif, le titre présumé (dont l’existence, impossible à prouver, est déduite par la loi d’un laps de temps de 30 ou de 10 ans) ne peut servir qu’à fonder une longue prescription ; c’est ce qui permet de supposer l’existence originaire d’un juste titre, ensuite oublié. Mais il faut que le droit commun ne soit point contraire, c’est-à-dire permette au demandeur de triompher dans un procès, ou que le possesseur ne soit pas présumé de mauvaise foi ; il faut alors un titre, ou, à son défaut, une possession immémoriale. Schmalzgrùber, Jus canonicum unirersum, t. iv, Rome, 1844, p. 371 sq. ; ainsi, pour l’évêque prescrivant des dîmes en dehors de son diocèse : pour les laïques non soumis aux dîmes ou les diocésains exempts de la juridiction épiscopale, avant le Codex. Cf. Ballerini-Palmieri, op. cit., p. U'>7 sq.

4. La bonne fi i est un des éléments communs aux

deux prescriptions ; autrement, on constituerait une prime à la mauvaise foi, ce qui est contraire à la loi naturelle, et le plus souvent au bien commun. De son côté, la puissance publique ne peut couvrir de son autorité les fraudes et les spoliations. Au surplus, les théologiens invoquent le texte général du IVe concile du Latran (1215). c. xl, Decr., 1. 11. tit. xxvi. c 20 : Quoniam omne quod non est ex fide peccatum est. synodali judicio definimus. ut nulla outrât absque bona fuie pnescriptio lam canonica quam cioilis. cum generalitcr sit omni constitution) atque consuetudini derogandum. qu ; e absque mortali peccuto non potest observari. Unde nportet ut qui præscribit in nulla temporis parte rei habeat conscientiam aliéna. Il se peut que ce texte vise seulement l’usucapion (Vermeersch, op. cit., p. 344) ; les docteurs ont pourtant coutume de l’étendre à la prescription extinctive ; mais déjà le droit romain, et la plupart des législations modernes, se montrent ici plus indulgents en n’exigeant pas la bonne foi.

D’ailleurs, on peut surtout l’envisager à propos de l’usucapion ; ici, de façon générale, c’est la juste croyance du possesseur à sa propriété, mais il faut distinguer la bonne foi théologique et la bonne foi juridique. La première est la ferme persuasion d’être propriétaire (bona fldes stricla). ou au moins de pouvoir posséder licitement (bona (ides minus stricla), par exemple en cas de doute insoluble survenu au cours de la possession. Les contours de cette définition sont à la fois plus larges et plus étroits que ceux de la bonne foi juridique, c’est-à-dire celle qui remplit les conditions exigées par la loi positive ; car le législateur peut exiger la croyance totale à un transfert véritable de propriété, ne pas tenir compte de V ignoranlia juris, du titre putatif ou entaché de nullité absolue : par contre, la théologie morale ne présume pas l’ignorance ou la bonne foi qui n’existe pas en conscience. J. WalTelært, De juslitia, t. i, Bruges, 1885, p. 172 sq. D’où ces deux principes (Waffelært, op. cit.).

a) La bonne foi théologique est absolument nécessaire pour une prescription légitime au for interne, dès son début et jusqu’à la fin. — Dès qu’elle disparaît, la prescription est interrompue, et l’obligation de restituer naît immédiatement. Le voleur ne pourrait donc, semble-t-il, jamais usucaper : même s’il avait oublié sa faute, cet oubli ne doit pas être assimilé à la bonne foi. Cependant, quelques auteurs permettent l’extinction de l’action en revendication du propriétaire, dans le délai habituel de 30 ans (par exemple Noldin-Schmitt. Summa theologiie moralis…, 21e éd.. Inspruck, 1932, p. 38(i) : d’autres admettent même l’usucapion depuis le moment de l’oubli, puisque l’absence de mauvaise foi suffit, sauf disposition contraire de la loi positive (ce qui paraît être l’opinion de Vermeersch, op. cit.. p. 357 sq.).

Dès lors, que penser des lois modernes qui n’exigent pas la bonne foi, au moins pour les longues prescriptions, à l’imitation du Code civil français ? Des auteurs récents, surtout Ballerini, op. cit., p. 152. ont violemment attaqué ces dispositions, soutenant qu’elles ne pouvaient avoir de valeur au for interne, si tant est que des législateurs de ce genre aient songé à ce point de vue. Il est certain qu’il faut toujours exiger en conscience la bonne foi théologique ; les dispositions contraires des lois civiles, par exemple l’art. 22(’12, ne peuvent que dénier au propriétaire toute action devant les tribunaux compétents : elles ne transfèrent pas la propriété (Noldin-Schmitt. op. cit., p. 386), car l’utilité sociale de la prescription doit cédera des soucis évidents de moralité, lien est de même de l’art. 2269, qui n’exige la bonne foi qu’au moment de l’acquisition. On ne doit pourtant pas réprouver absolument ces lois ; leur intention n’est