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PUIU.ATOIRE PEINES


purgatoire de celle des limbes avant Jésus-Christ. Pour

les justes des limbes, le temps (le [a vision béatifique

n'était pas encore arrivé ; donc la dilation n’avait aucun caractère pénal. Hugon, loc. cit., p. 794.

Nous estimons pour notre part que l’expression « peine du dam » devrait être éliminée totalement delà terminologie relative au purgatoire. Tout le monde est d’accord pour reconnaître que le prétendu dam du purgatoire n’est que très lointainement analogique au dam de l’enfer : pourquoi maintenir une expression capable d’induire en erreur sur le véritable état des âmes au purgatoire ? Le seul fait de l’espérance et de la certitude du salut enlève à la privation temporaire de la vue de Dieu le caractère d’une véritable damnation.

On lira, sur cette privation de la vue de Dieu, comme peine du purgatoire, la belle page de Lessius, De perf., div., t. XIII, c. xvii :

Les âmes justes, au moment même où la gloire qui leur est préparée devait leur être conférée, se voient rejetées et reléguées en un cruel exil, tant qu’elles n’auront pas satisfait pour leurs péchés passés : elles en ressentent une douleur incroyable. Combien est grande leur douleur, nous le pouvons conjecturer par quatre considérations. Premièrement, elles se voient privées d’un si grand bien, et cela au moment même où elles auraient dû en jouir. Elles comprennent l’immensité de ce bien avec une force qui n’a d'égale que leur ardent désir de le posséder. Deuxièmement, elles voient qu’elles en sont privées par leur faute. Troisièmement, elles déplorent la négligence qui les a empêchées de satisfaire au moment où elles auraient pu le faire facilement, alors que présentement elles sont contraintes à de grands maux, et cette constatation accroît singulièrement l’acerbité de leur douleur. Quatrièmement, enfin, elles voient quels trésors immenses de biens éternels, quels degrés de gloire céleste, si facilement accessibles, elles ont par leur faute négligés quand il était temps. En prenant conscience d’une façon extrêmement vive de tout cela, ces âmes en éprouvent une grande douleur, comme nous-mêmes l'éprouvons dans les dommages humains, quand ces quatre circonstances sont réunies.

On pourrait citer également bien des passages du Traité du purgatoire de sainte Catherine de Gênes, pris des c. ni et vi principalement :

C’est une peine si excessive, écrit-elle, que la langue ne saurait l’exprimer, ni l’intelligence en concevoir la rigueur… Si, dans le monde entier, il n’y avait qu’un seul pain qui pût satisfaire la faim de toutes les créatures, et qu’il suffît de le regarder pour être rassasié, songez à ce qu'éprouverait un homme qu’un instinct naturel invite à manger quand il est bien portant, et qui ne pourrait ni manger, ni être malade, ni mourir ! Sa faim deviendrait de plus en plus cruelle ; sachant qu’il n’y a qu’un seul pain capable de le rassasier et qu’il ne peut y atteindre, il resterait en proie à des tortures insupportables. C. vi. Cf. P. Faber, Tout pour Jésus, Paris, 1926, p. 388 ; L. Rouzic, Le purgatoire, Paris, 1923, p. 165.

2. La peine du sens.

Suarez distingue nettement la question de la peine du sens, loc. cit., n. 4 sq., de la question du feu du purgatoire. Ibid., sect. ii, n. 1 sq. Non qu’il admette une peine positive distincte de celle que cause le feu, mais parce qu’il se pose tout d’abord la question de savoir si toutes les âmes souffrent, en plus de la « peine du dam », une peine du sens. La tristesse qui résulte de la dilation de la vision béatifique ne saurait à proprement parler être nommée peine du sens, ibid., n. 6 ; mais peut-on concevoir que certaines âmes soient purifiées uniquement par cette dilation et la tristesse qui en résulte ? Certains l’ont prétendu, en raison des visions rapportées par Bède. Voir col. 1227. Parmi ces « certains » il faut compter Bellarmin, qui admet comme probable l’existence d’un lieu, faisant partie du purgatoire « où les âmes n’ont plus la peine du sens, mais seulement la peine du dam, purgatoire fort adouci, prison honorable, et comme sénatoriale, mais où cependant les âmes ne sont pas heureuses et

souffrent même du retard apporté à leur béatitude ». Op. cit., c. vii, p. 112. Sans nier absolument la vérité de cette vision, Suarez estime qu’elle doit êtreinterprétée ; quoi qu’il en soit, il n’admet pas qu’au purgatoire la peine de la dilation de la vue de Dieu soit séparée de la peine du sens. Loc. cit., sect. i, n. 9-12. L’opinion contraire n’a d’ailleurs rien qui offense la doctrine catholique : elle est simplement étrangère au sentiment de la plupart des théologiens. Palmieri s’y rallie, 'jfi. cit., p. 74. Toutefois il est nécessaire de rappeler que les Grecs, tout en niant l’existence du /eu du jmrgatoire, n’entendent pas nier l’existence d’une peine positive du sens, affliction, douleur, chagrin, honte de la conscience, etc. Voir col. 1253, 1202. Il est donc utile que, dans la synthèse théologique de la doctrine du purgatoire, on tienne compte de cette nuance. Peu de théologiens latins l’ont fait.

3. Feu réel ou métaphorique ? — Voir Feu du purgatoire, t. v, col. 2258 sq. Sur le degré de probabilité de l’opinion des Latins, voir col. 2260.

Intensité.

Bellarmin n’approuve pas l’opinion

de saint Thomas d’après laquelle la moindre peine du purgatoire est plus douloureuse que la plus affreuse souffrance de la terre. Il se rallie à celle de saint Bonaventure. Voir col. 1240. Sans doute la privation de Dieu est une grande souffrance, mais « adoucie, soulagée par l’espoir assuré de le posséder ; de cet espoir naît une incroyable joie qui s’accroît à mesure qu’approche la fin de l’exil ». Op. cit., c. xiv, p. 121. Des âmes condamnées au purgatoire peuvent n’avoir, au moment de la mort, que quelques fautes légères ; il semble bien dur qu’elles soient punies par un supplice plus affreux que toutes les peines de la terre. Tel est le thème général sur lequel se sont greffées des opinions nombreuses et variées.

1. Gravité de la peine de la dilation.

Suarez n’hésite pas à présenter cette peine comme la plus grave et la plus douloureuse pour les âmes du purgatoire. C’est là, dit-il, la doctrine commune, communis sententia. Op. cit., disp. XLVI, sect. i, n. 2. Le texte de Lessius, cité ci-contre, laisse entrevoir les raisons de cette douleur immense. Suarez reprend ces raisons. Ibid., sect. iii, n. 1. Mais son instinct théologique lui fait entrevoir une difficulté devant laquelle saint Bonaventure déjà s'était arrêté. Si ces raisons sont vraies, il suit de là que « les plus saintes âmes du purgatoire, bien que très légèrement coupables, sont punies le plus sévèrement quant à cette peine et à cette tristesse (de la dilation). En effet elles sont privées d’une gloire plus considérable, le bien qu’elles ne possèdent pas est plus grand, et la charité, racine de la douleur dans les âmes saintes, est plus grande en elles. » Ibid., n. 2. De fait, nous trouvons chez certains mystiques des assertions de ce genre. Résumant la doctrine de sainte Catherine de Gênes, le P. Faber écrit » : L'âme se sent constamment entraînée par la violence de son amour vers Dieu, qui peut seul la satisfaire. Cette violence est sans cesse croissante, tant que l'âme demeure privée de l’objet dont elle est si avide, et ses souffrances croîtraient à proportion, si elles n'étaient pas adoucies par l’espérance ou plutôt par la certitude que chaque instant la rapproche du moment de son bonheur éternel. » Tout pour Jésus, p. 388-389. A cette difficulté, saint Bonaventure avait répondu en disant que, du chef de la dilation, la souffrance des âmes n'était pas considérable. Voir col. 1242. Suarez trouve à bon droit cette réponse trop simple, et il fait deux remarques sensées : la première est que si, par rapport à la nature même des choses, la peine de la dilation de la vue de Dieu doit apporter aux âmes les plus saintes la plus grande souffrance, cependant, par rapport à l’ordre de la justice divine, cette souffrance est tempérée en proportion de l’affection apaisée et parfaite avec laquelle les saintes