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PRUDENCE. SON ROLE DANS LA REALISATION


rationne] qui, sous la poussée du vouloir de la fin, décide de la réalisation avec une claire vue de son opportunité et de ses dillicultés. Mais, dira-ton, déjà, dans le conseil et le jugement, cette opportunité et ces dillicultés ont dû être pesées et examinées. Sans doute, mais, encore une fois, c’était pour ainsi dire dans l’abstrait. A l’instant même où l’on agit, au sein de l’âpre rudesse de l’action, il faut que la raison intime clairement son ordre, en connaissance de cause, en voyant le pourquoi et la raison d’être de l’exécution et de sa poursuite au sein des embarras et des contrariétés. Le précepte est donc une décision lumineuse de l’esprit et non pas un commandement aveugle. Il ne s’agit pas ici d’une poussée de volonté, ou alors il faut dire que c’est une poussée de volonté clairvoyante ; c’est avec l’œil ouvert qu’on doit aller à l’action et la dominer dans tout son déroulement. Ia-II », q. xvii, a. 1, ad lum. L’animal est incapable de ce verdict réfléchi ; l’homme passe à l’action en se donnant, au sein même de l’action, les raisons de l’accomplir ellectivement. L’animal, par la seule pente de son instinct, se précipite fatalement à agir lorsqu’il est mis en face d’un bien qui lui convient. Il est mû par quelqu’un qui est clairvoyant pour lui, par la Cause première, par Dieu, qui a posé en lui l’instinct adapté à ses besoins ; mais l’animal ne peut pas se rendre compte de l’ordre rationnel de cette adaptation ; il a l’élan, l’impulsion, mais pas l’intimation intelligente. Ia-IIæ, q. xvii, a. 1, ad 3um. Cet acte du précepte doit s’accomplir avec célérité. Lorsqu’on passe à l’action, il faut aller vite ; une fois la décision prise, il n’y a plus qu’à se mettre à l’œuvre sans tergiverser. Pour réaliser, il faut une sollicitude empressée, une sorte d’animation fervente qui veut aboutir le plus vite possible. Saint Thomas oppose cette célérité à la lenteur majestueuse du conseil qui prend son temps, prolonge et ajourne au besoin ses délibérations. Il faut agir prestement, sans retard, parce que la réalisation est pleine de difficultés qui peuvent survenir, ne serait-ce que celle de notre propre faiblesse à soutenir la fatigue et la continuité de l’action. Ia-II 3 *, q. xlvii, a. 9.

Passons maintenant à l’aspect volontaire de la mise en œuvre. Une fois porté le décret de réalisation par la raison préceptive, la volonté applique à l’acte les puissances exécutrices. Cette volonté agissante garde, dans l’exécution, la maîtrise d’elle-même, tout d’abord dans son fonds de liberté, car, au cours de l’action, nous demeurons libres de poursuivre celle-ci ou de la faire cesser. C’est aussi avec liberté que nous utilisons les puissances exécutrices sous la clairvoyance de la raison et en connaissance de cause. Nous déployons nos énergies, notre esprit ou nos forces musculaires, nous les mettons en exercice et en dirigeons l’activité. Ia-IIæ, q. xvi, a. 1. L’animal, au contraire, exécute automatiquement ce que son instinct le pousse à faire ; il subit le déclenchement de ses puissances d’action sans en avoir la maîtrise ni la direction libre. Ibid., a. 2, ad 2um. Intelligence et liberté, voilà ce qui fait chez l’homme la grandeur, mais aussi la responsabilité de son action.

Ce qui perfectionne la prudence préceptive.

Tous

les perfectionnements signalés jusqu’à présent pour la perfection du conseil et du jugement : expérience de la vie, perspicacité, bon sens, etc., vont grandement servir à l’à-propos et à la clarté du précepte ; mais sa perfection sera particulièrement assurée par trois habiletés caractéristiques de l’esprit : la prévoyance, la circonspection, la mise en garde avisée à l’endroit de toutes les embûches qui pourraient compromettre la réalisation.

1. La prévoyance.

L’action propre de la prudence est de diriger vers l’idéal moral les actions humaine ;, à travers les circonstances variables et multiples de la

vie. Pour être prudent, il s’agit de discerner et de dicter une action vertueuse qui n’existe pas encore au moment où on la décrète. Prévoir une action qui n’est pas et l’ordonner comme devant être, parce qu’on la juge en accord avec la situation présente et avec l’opportunité des circonstances actuelles, voilà la prudence. Évidemment, cela exige de la prévoyance : il faut considérer et peser à l’avance les conséquences, les avantages ou les désavantages. Cette prévision est l’instant important de la prudence, et même le mot « prudence » signifie élymologiquement : prévoyance, providence. C’est pourquoi la prévoyance est essentielle à l’acte prudentiel principal : le précepte. A cette prévision perspicace de l’action future s’ordonnent toutes les démarches et toutes les habiletés de l’esprit pratique que nous avons étudiées. Pour être vraiment prévoyant, il faut d’abord l’avoir été dans le conseil et le jugement, qui étaient institués, eux aussi, en prévision de l’action future. L’expérience de la vie, la sagacité, la docilité, le bon sens avisé et la justesse du raisonnement, servent à bien prévoir, à bien juger d’avance l’action telle qu’elle sera et devra être. Être prévoyant, c’est être prudent. Ila-II 33, q. xlix, a. 6.

2. La circonspection.

Nous prévoyons exactement ce que doit être une action, quand nous la situons bien dans les circonstances qui vont l’entourer. Si nos actions devaient toutes se ressembler ou se répéter dans le même cadre et la même façon, la réflexion serait inutile. Mais, c’est un fait, elles varient continuellement ; nous devons réfléchir, raisonner, aviser, pour nous adapter à cette continuelle variété. Il peut arriver en effet qu’une action, si on l’envisage en elle-même, soit bonne et conforme à la fin vertueuse, mais qu’elle devienne mauvaise et contraire à cette fin par suite des circonstances dans lesquelles elle se réalisera. Rien de plus plausible, par exemple, dit saint Thomas, lorsqu’on veut attirer l’affection de quelqu’un, de lui témoigner de l’amitié ; mais ces témoignages amicaux deviendront inopportuns si l’on s’adresse à un orgueilleux qui voit en eux des honneurs qui lui sont dûs. Il faut donc être circonspect et attentif aux circonstances dans lesquelles se présentent et se déroulent les actions. laII*, q. xlix, a. 7.

Mais, objectera-t-on, cette circonspection risque de ne pas tomber juste, parce que les circonstances qui enveloppent nos actes peuvent varier à l’infini. Théoriquement parlant, ces circonstances peuvent sans doute varier à l’infini, en ce sens que nous pouvons concevoir une action, par exemple cet acte d’injustice, le vol, dans des circonstances les plus différentes. Mais, en fait, les circonstances qui affectent une action déterminée, concrète, réelle — celle que je vais accomplir tout de suite — - sont en petit nombre et susceptibles d’être connues, considérées et par conséquent jugées et appréciées dans leur rapport et leur répercussion sur ce que nous allons faire. Et c’est particulièrement à l’égard de ces circonstances-là que la circonspection doit exercer son attention. L’homme circonspect est précisément celui qui sait discerner exactement les véritables circonstances d’une action, celles qui, ayant rapport à elle immédiatement, peuvent la modifier dans son opportunité, sa difficulté de réalisation et sa valeur morale. Ibid., ad lum.

3. Mise en garde contre tes embûches qui pourraient entraver l’action. — L’action humaine livrée à la contingence des circonstances, est en butte à des entraves possibles. Il faut donc être attentif à tout ce qui pourrait mettre obstacle à son accomplissement, dépister les intrigues, percevoir les pièges cachés, deviner ce qui se passe derrière les apparences. Nous comptons, par exemple, sur telle circonstance de temps, de lieu, de personne, et voici qu’en cours d’action ces circonstances