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    1. PROVIDENCE##


PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA PREUVE A POSTERIORI 1000

disaient Socrate, Mémorables, IV, iii, et Platon, Phé don, 96, 199.

Aristote a bien montré aussi que « tout agent naturel agit pour une fin i. Physique, t. ii, c. ni. C’est particulièrement visible dans l’activité instinctive de certains animaux comme l’abeille : il faudrait être un mathématicien de génie pour Inventer et construire une ruche d’abeilles, et nul chimiste n’est encore parvenu à faire du miel avec le suc des fleurs. Cependant, comme le remarque Aristote, Physique, t. II, c. viii, on ne peut dire que l’abeille soit intelligente, car elle ne varie jamais son travail, elle ne le perfectionne pas, elle est déterminée à le faire toujours par instinct naturel de la même façon et elle le fera toujours de même, tant qu’il y aura des abeilles, tandis que l’homme perfectionne toujours les outils qu’il a inventés, parce qu’il connaît par son intelligence leur finalité. L’abeille elle, agit pour une fin, sans le savoir, mais elle agit admirablement. L’araignée fait de même un travail merveilleux, que le plus habile des tisserands ne parviendrait pas à reproduire.

Sans doute, Démocrite, suivi par beaucoup de matérialistes, a cherché à expliquer l’ordre du monde par la cause matérielle et par le hasard. Platon l’en raille fort dans le Phédon, 100, et Aristote dans la Physique, t. II, c. VIII.

Gomme le dit ce dernier, ibid., ce qui arrive par un heureux hasard se produit non pas toujours ou très souvent, mais d’une façon fort rare. C’est par hasard qu’un trépied lancé en l’air tombe sur ses trois pieds, mais c’est rare. C’est par hasard que celui qui creuse une tombe trouve un trésor, mais c’est rare. Au contraire, l’ordre admirable de la nature dans les règnes minéral, végétal ou animal est celui de lois fixes, qui s’appliquent toujours, ou le plus souvent, dans un sens déterminé et excellent. C’est comme la symphonie de l’univers pour ceux qui savent entendre, tels les grands artistes, les grands penseurs et les simples, à qui la nature parle de Dieu.

Les évolutionnistes objectent, renouvelant une hypothèse des matérialistes anciens : un hasard heureux a pu autrefois, au milieu de beaucoup de combinaisons inutiles d’atomes ou d’éléments, en former quelques-unes d’admirables, aptes à la vie, qui par suite se sont conservées, tandis que les combinaisons inutiles ont disparu. C’est la théorie de la survivance des plus aptes, défendue par Darwin, Spencer, Hæckel etc., et plus récemment par W. James, L’expérience religieuse, trad. Abauzit, p. 369.

Mais cela reviendrait à dire que le hasard est la cause première de l’harmonie de l’univers et de ses parties. Or, comme le montre Aristote, Physique, t. II, c. viii, cela est impossible. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir à ce qu’est le hasard. Le hasard et son effet sont quelque chose d’accidentel : c’est accidentellement que le trépied lancé en l’air tombe sur ses trois pieds ; c’est accidentellement que celui qui creuse une tombe trouve un trésor. Or, l’accidentel suppose le non-accidentel ou l’essentiel, le naturel, comme l’accessoire suppose le principal.

S’il n’y avait pas de loi naturelle de la pesanteur, le trépied lancé en l’air ne tomberait pas accidentellement sur ses trois pieds. Si celui qui trouve accidentellement un trésor n’avait pas eu l’intention de creuser là une tombe et si personne n’avait mis là ce trésor, cet effet accidentel n’aurait pas tu lieu.

Le hasard n’est que la rencontre accidentelle de deux actions qui, elles, ne sont pas accidentelles, mais intentionnelles, au moins au sens d’inclination naturelle inconsciente, comme la pesanteur ordonnée à la cohésion de l’univers. Et donc dire que le hasard est la cause première de l’ordre du monde, c’est expliquer l’essentiel par l’accidentel, le primordial par l’acces soire ; c’est donc détruire l’essentiel, le naturel, toute nature et toute loi naturelle II n’y aurait plus que des rencontres fortuites, sans rien qui puisse se rencontrer ; ce qui est absurde. Dire, comme Épicure et nombre de matérialistes ou positivistes modernes, que le hasard est cause de l’ordre admirable de l’univers, c’est non seulement ne rien expliquer, mais c’est donner une explication absurde, car c’est mettre en principe l’accidentel à la base du naturel ou de l’essentiel ; c’est dire par suite que l’ordre admirable de l’univers et de ses parties est sorti du désordre, de l’absence d’ordre, du chaos, sans cause aucune ; c’est dire que l’intelligible, que découvrent les différentes sciences, est sorti de l’ininlclligibile ; que notre cerveau et notre intelligence viennent d’une fatalité matérielle et aveugle et d’une rencontre accidentelle d’éléments ; c’est dire que le plus sort du moins, le plus parfait du moins parfait. C’est l’absurdité même mise à la place du mystère de la création, mystère qui a ses obscurités, mais qui est conforme aux principes premiers de la raison naturelle, tandis que l’hypothèse dont nous parlons est leur absolue négation.

Il reste donc que le fait, qui est le point de départ de notre preuve à posteriori de la providence, subsiste : il y a de l’ordre et de la finalité dans la nature, c’est-à-dire des moyens ordonnés à des fins, car des êtres dépourvus d’intelligence, comme les plantes et les animaux, agissent toujours, ou le plus souvent, pour produire ce qu’il y a de mieux. L’attraction universelle est pour la cohésion de l’univers, le germe du grain de froment est pour produire l’épi, la fleur pour le fruit, le pied de l’animal pour la marche, les ailes de l’oiseau pour le vol, le poumon pour respirer, l’oreille pour entendre, l’œil pour voir. Le fait de l’existence de la finalité est indéniable ; le positiviste Stuart Mill lui-même l’avoue, Essais sur la religion, trad. franc., p. 162.

Bien plus, non seulement c’est un fait que tout agent naturel agit pour une fin, mais il ne peut en être autrement, comme l’a fort bien montré Aristote, Physique, t. II, c. iii, et après lui saint Thomas, I », q. xliv, a. 4 ; Ia-Iiæ, q. i, a. 2 ; Cont. gent., t. III, c. n : tout agent doit agir pour une fin, car, pour l’agent, agir c’est tendre à quelque chose de déterminé qui lui convient, c’est-à-dire à une fin. Et si un agent n’agissait pas pour une fin déterminée, il ne produirait rien de déterminé, pas plus ceci que cela, il n’y aurait pas de raison pour que l’œil vît au lieu d’entendre, pour que l’oreille entendît au lieu de voir. Comme le dit saint Thomas, I*, q. xliv, a. 4 : Omne agens agit propler finem, alioquin ex actione ageniis non magis sequeretur hoc quam illud nisi a casu. Et nous venons de voir que le hasard, étant quelque chose d’accidentel, suppose l’essentiel ou le naturel, auquel il s’ajoute. Hartmann, Philosophie de l’inconscient, trad. franc., t. ii, p. 144, a bien mis en relief cette nécessité de la cause finale, en prenant pour exemple le cas le plus simple, l’attraction : un atome qui en attire un autre. La tendance, dit-il, qui ne poursuivrait aucun but, n’aurait aucun objet et par conséquent n’aboutirait à aucun résultat ; il n’y aurait aucune raison pour qu’elle produisit l’attraction plutôt qu’autre chose, la répulsion par exemple : pour qu’elle changeât avec la distance suivant telle loi plutôt que suivant telle autre. » C’est exactement ce qu’avait dit saint Thomas dans le Contra gentes, t. III, c. n : Si agens non lenderel ad aliquem iffeclum determinalum, cmnes (ffeclus essent indifférentes. Quod autem indifferenter se habet ad multa, non magis unum eorum operutur quam aliud ; urde a contingente ad ulrumque non sequitur aliquis iffrctus nisi per aliquid quod delerminetur ad unum. Impossibilc igitur cs.se/ quod ageret. Omne igitur agens lendit ad aliquem determinalum effectum quod diciiur finis ejus.