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harmonieuse de l’ensemble, résultant de contrastes bien ordonnés, exigerait que certaines parties jouent le rôle d’ombre, pour faire ressortir la lumière : le mal, même celui du pèche, serait donc nécessaire pour faire pleinement ressortir le bien ; à tel point que le mal viendrait de Dieu et sérail « aime de Dieu », non pour lui-même, niais pour l’ordre, la gradation et l’barmonie auxquels le mal est nécessaire : Certe enim et mata dixisli online conlineri et ipsum ordinem manare a sumnio Deo alque ab eo diligi. Ex quo sequitur lit et mata sinl a summo Deo et mata Dcus diligat. De ordine, I, vii, 17. C’est la solution esthétique, et Augustin y eut souvent recours. On connaît sa comparaison de l’univers aune mosaïque, où certaines parties considérées en elles-mêmes choquent et blessent, mais qui donnent à l’ensemble un relief plus frappant. Cf. De ordine, I, i, 2. Trente ans plus tard, écrivant le 1. XI de La cité de Dieu, il disait encore : Sicut piclura cum colore nigro, loco suo posila, ita universilas rcrum, si quis possit intueri, eiiam cum peccaloribus pulchra est, quamvis per seipsos considérâtes sua deformitas turpet. XI, xxiii. Et même, après 420 : Deus enim creator est omnium qui ubi et quando creari quid oporteot vel oporlueril, ipse novit, sciens universitatis pulchritudincm, quorum parlium vel simililudine vel divcrsitale conlexlal. XVI, vin.

b) Mais, si Augustin n’abandonna jamais complètement ce point de vue, à mesure cependant qu’il pénétrait les saintes Lettres, il le complétait et le subordonnait à un point de vue supérieur. L’accent se déplaçait : de la nécessité du mal pour l’ordre et la beauté de l’univers, il passe sur la bonté de la fin pour laquelle il est permis ; l’optimisme succédait à l’esthéticisme. Augustin ne dit plus en effet, du moins avec la même insistance, que le mal est nécessaire, il dit maintenant que le mal n’est pas un obstacle pour la perfection de l’univers : Non ipsa peccala vel ipsam miscriam perfeclioni universitatis esse necessaria, sed animas, in quantum animée sunt ; quæ, si velinl, peccanl ; si peccaverinl miseras sunt . Cum autem non peccantibus adest bcalitudo, perfecla est universilas ; cum vero peccantibus adest miseria, nihilominus perfecla est universilas. De lib. arbitr., III, ix, 26.

C’est la perfection de l’ensemble qui est le terme poursuivi par la providence. Que l’homme prenne donc conscience de sa place de partie dans cet ensemble, qu’il cesse de se considérer comme le centre de l’univers, et bien des difficultés disparaîtront. Partie, il ne peut saisir l’ordre universel ; c’est pourquoi les raisons et les motifs de l’action providentielle, de cette action universelle, lai échapperont parfois : Qui tolum inspicere non potest, lamquam deformitale partis offenditur, quoniam cui congrual et quo referatur, ignorai. De civ. Dci, XVI, vin. Non seulement il ne comprend pas ces raisons, mais il les trouve parfois douloureuses et s’insurge contre la providence quand le bien du tout, la perfection de l’univers et le triomphe de la cité de Dieu exigent de la partie et du citoyen qu’est l’homme quelque sacrifice incompris : Cujus ordinis cl decus proplerea nos non détectai, quoniam parti ejus, pro conditione nostræ mortalilalis intcxli, universum, cui parliculæ quæ nos ofjendunt salis apte deccnlerque conveniunl, senlire non possumus. Ibid., XII, iv.

Dès lors, Augustin devra prendre toujours la défense de la providence lorsqu’on la rendra responsable des maux dont souffre l’humanité. Il n’aura pas de peine à montrer que le mal véritable s’étend beaucoup moins qu’on ne le dit. L’erreur vient de ce que l’homme néglige de faire réflexion sur sa condition de citoyen et de partie : souvent, un examen plus attentif fait à cette lumière rendrait raison de l’utilité de ces prétendus maux. Cf. De civ. Dei, XII, iii, rv.

Il n’est pas même jusqu’à cette difjicillima quæstio (EpisL, CXCrv, 5) de la prédestinai ion libre et gratuite qui n’apparaisse sous un jour nouveau. Une f<-is dégai effet la responsabilité « le Dieu dans la culpabilité du pécheur, Augustin n’éprouvera aucune difficulté a retourner la question qu’on lui posait inlassablement : Pourquoi Dieu permet-il le péché ? » et à demande ! a son tour : Pourquoi ne l’aurait-il pas permis ? i Cur ergo non crearct Dcus quos peccaluros esse prsescivil ? De civ, lui, XIV, xxiii. Pourquoi, puisque le plan de la providence : gloire de Dieu et béatitude des élus, ne saurait en être troublé : quandoquidem in eis et ex eis et quid eorum culpa n.ereretur et quid sua gralia donaretur posset ostendere, nec sub illo creatorc ac disposilore perversa inordinalio delinquenlium rectum perverleret ordinau rerum ? Ibid. ; cf. aussi XIV, xi. Pourquoi, puisque en définitive le péché tourne au bien de l’ensemble, du peuple choisi, des prédestinés, de la cité de Dieu ? La grâce devait en effet suivie la chute, et la gloire des saints faire pâlir la victoire du tentateur : Cur cum (hominem) non sinerel (Deus) invidi angeli malignilale leniari ? Nullo modo quidem qued vincerctur incertus ; sed nihilominus preescius quod ab ejus semine adjulo sua gralia, idem ipse diabolus fuerat sanctorum gloria majore vincendus. De civ. Dei, XIV, xxvii. Pourquoi, puisque la louange de ce Dieu, qui est le Bien commun de la cité céleste, éclaterait jusque dans cette « masse de damnation », dont une partie ferait resplendir sa grâce miséricordieuse, et l’autre sa justice inexorable ? Hinc est universa gencris huir.ani nassa damnala ; quoniam qui hoc primilus admisil, cum ea qux in illo fuerat radicata sua stirpe, punitus est ul nullus ab hoc justo debiloque supplicio nisi misericordia et indebita gralia liberetur ; atque ila dispertiatur genus humanum, ul in quibusdam demonslraretur quid valcat misericors gralia, in cœteris quid justa vindicla. Ibid., XXI, xxii.

Gloire de Dieu, béatitude de la société des saints : voilà le bien de cette cité de Dieu que la providence poursuit par-dessus tout et qui explique la permission du mal : c’est le propler majus bonum de la théologie postérieure.

Certes, le mystère n’est pas percé à fond ; mais cette impossibilité même à percer le mystère résulte encore de notre condition de partie, qui nous empêche de saisir l’ordre universel. Aussi, Augustin nous demande, en certaines circonstances, l’acte de foi en cette providence dont les desseins nous dépassent. (Plotin déjà demandait une soumission à l’ordre universel qui nous dépasse dans l’ordre purement naturel.) Unde nobis in quibusdam eam contemplari minus idonei sumus, reclissime credenda præcipitur providentia Crealoris, ne tanli artificis opus in aliquo reprehendere vanilate temeritatis audeamus. De civ. Dei, XII, iv. Aussi, il n’aura aucune difficulté à confesser son impuissance à rendre raison en certains cas de la conduite de la providence, il n’hésitera pas à déclarer insondables les décisions et les conseils de Dieu et il nous renverra au jour du jugeiik nt pour en saisir toute la vérité et la justice : Judicio quippé novissimo non sic eril, sed in aperla iniquorum miseria et aperta felicilate juslorum longe quam nunc est, aliud apparcbil. Ibid., XX, xxviii. Ce que nous ne pouvons voir ici-bas, nous le pourrons dans sa lumière : Hsec dislantia… quæ sub isto sole in hujus vitæ vanilate non cernitur, quando sub illo sole justifiée in illius vilse manifestalione clarebit ; tune profeclo eril judicium quale nunquam fuit. Ibid., XX, xxvii. Et les jugements les plus incompréhensibles nous apparaîtront alors de la plus haute justice : apparebunt esse justissima. Ibid., XX, n.

L’esthéticisme s’est doublé d’un optimisme à base de foi, et le philosophe platonicien est devenu un docteur du Christ.

A. Rascol.