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    1. PROVIDENCE##


PROVIDENCE. PÈRES GRECS, CONCLUSIONS

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création, celle « le la nature de l’homme en particulier, et l’étude de l’économie chrétienne : incarnation, rédemption et sacrements. Les chapitres immédiatement précédents, jcxv-xxviii, sont en effet consacrés au libre arbitre ; comme l’avait fait Némésius, Jean Damascène passe de la considération de la liberté humaine à celle de la providence divine, mais le lien est moins artificiel chez lui que chez son devancier. Le c. xxx fait naturellement suite au traite de la providence, puisqu’il parle, dans sa première partie, de prescience et de prédestination, la seconde partie, au contraire, aborde un nouveau sujet. L’auteur y affirme de façon solennelle la création de l’homme dans l’état de grâce, De fide orth., II, xxx, ibid., col. 976 B, puis il fait mention du premier péché et de la chute de la nature humaine ; en fait, c’est moins ici la fin du livre que le début du livre suivant, l’histoire de la faute servant de préface à celle de sa réparation par l’incarnation et l’opération théandrique. Ainsi placé dans son contexte, le chapitre sur la providence prend un relief spécial ; il est le pivot autour duquel s’organise la doctrine entière de l’ouvrage : traité des créatures aboutissant à l’action libre de l’homme ; providence et prescience ; gouvernement surnaturel de l’humanité.

Ce c. xxix, est lourd de contenu doctrinal. Jean Damascène y résume, en quelques formules heureuses, les développements des théologiens antérieurs. Les définitions de la providence sont empruntées à Némésius : la providence est le soin que Dieu prend des êtres, c’est la volonté de Dieu selon laquelle toutes les choses reçoivent la direction qui leur convient. II, xxix, col. 964 A. L’existence de cette providence, ainsi définie, est brièvement démontrée d’abord à partir du fait de la création : il convient à celui qui a créé de pourvoir aux besoins de sa créature, ibid., col. 964 B ; ensuite, à partir de la bonté et de la sagesse de Dieu : il ne serait pas bon s’il n’était provident ; les hommes et les animaux eux-mêmes ont soin de leur progéniture. Ibid., col. 964 C. Mais le théologien n’insiste pas sur ces considérations générales qu’il se contente de rappeler brièvement. Étant donnée la place occupée par le chapitre, ce qui est en cause, c’est exactement la question de l’action libre et du mal moral. La doctrine est très nette et s’exprime en formules techniques. Relativement aux choses qui dépendent de nous, c’est-à-dire les actions libres, dans la mesure où elles sont bonnes, Dieu les veut d’une volonté antécédente et de bon plaisir, 7rpoY)YOup.évcoç Qekzi xocl sûSoxeï ; quant au mal véritable, au mal moral, Dieu ne le veut d’aucune manière, ni de façon antécédente ni de façon conséquente ; il le permet au libre arbitre, TTapot/wpsï tû aùxE^ouCTiM. Ibid., col. 969 B. Quant aux choses qui ne dépendent pas de nous, les bonnes sont voulues absolument d’une volonté antécédente ; les mauvaises, au contraire, sont conséquentes à nos fautes, elles ne sont voulues que par suite de celles-ci, pour rétablir l’ordre de la justice. Ibid., col. 969 A. Mais ici une autre distinction s’impose ; ou bien il s’agit, de la part de Dieu, d’une punition temporaire, d’un abandon « économique » en vue de notre plus grand bien, ou bien il s’agit d’une réprobation définitive. Ainsi peut-on dire que Dieu ne veut que le bien et le salut de tous : 1° Il ne veut jamais le mal véritable, le péché. 2° Il ne veut jamais le châtiment que comme conséquence du péché ; pour rétablir l’ordre violé. Telle est la conclusion du chapitre qui se borne à donner, sur les points essentiels des distinctions et des définitions. Un seul thème est un peu développé, en harmonie avec le but moral qui est visé par l’auteur : celui de l’abandon « économique » ou de correction, l’abandon « pédagogique » èyxy.-câ-XehJjiç oîxovojj.ix’0 xoi TOXtSeuTixY). Col. 968 B. Jean Damascène est ici l’écho de toute la théologie grecque ; il mentionne Job, saint Paul, Lazare et le mauvais riche, les martyrs, il donne même un exemple plus pratique : ((lui de l’orgueilleux que Dieu laisse tomber dans les péchés de la chair pour le guérir d’une faute plus grave. Col. 965. Tout cela a directement pour but notre amendement, notre salut, notre gloire et finalement la gloire de Dieu. Col. 968 B. Quant à la réprobation définitive, a l’abandon total, celui-ci s’exerce seulement a l’égard des pécheurs endurcis, des incurables envers lesquels l’action pédagogique de la providence est demeurée sans effet. C’est le cas de Judas ; que Dieu nous fasse miséricorde et nous préserve d’un tel abandon ! Ibid. D’ailleurs, les voies de la providence nous demeurent mystérieuses ; et nous ne pouvons les comprendre. Col. 964 C, 968 C. Deux choses demeurent certaines : Dieu ne veut que le bien ; nous sommes pleinement responsables de nos actes, nous ne pouvons pas en charger la providence. Cette dernière proposition est affirmée en termes quelque peu absolus : les choses qui dépendent de nous ne sont pas de la providence, mais de notre liberté, où t ?, ç -Trpovoîaç sotiv, à’/j.y. toO Jj(Xerépou aÙTE^oyaîo’j. Col. 964 C. Mais cela doit s’entendre selon le contexte : Dieu veut le bien que nous faisons, col. 969 B ; nous ne pouvons ni vouloir ni faire le bien sans son secours, col. 972973 ; que Dieu nous garde de la réprobation finale ! Col. 968 B.

IX. Conclusions. —

Pour variée qu’elle soit, cette enquête sur la théologie de la providence chez les Pères grecs peut cependant conduire à deux conclusions assez fermes :

1° Pour les Pères grecs, la providence est cette action divine ad extra, qui, la création étant supposée, conserve toute créature dans son être, sa vie et son mouvement, et la gouverne selon sa nature. Ces deux idées de conservation et de gouvernement sont intimement unies dans la considération d’une seule action divine toujours présente, toujours actuelle à chacun des moments du temps. Cette action providentielle inclut à la fois dans son objet l’ordre du Cosmos, les mystères de notre rédemption et de notre déification, le jugement final selon lequel les bons seront récompensés et les méchants punis. Les Pères pourront insister, de préférence, sur tel ou tel aspect du gouvernement divin, mais tous passeront avec la plus grande aisance de l’un à l’autre ; tout ce que Dieu peut faire de bon dans sa créature est l’objet de cette divine et unique provoia. Même les distinctions de saint Jean Damascène ne font pas échec à cette manière concrète d’envisager l’action divine, elles établissent seulement un ordre entre les objets du vouloir divin.

2° Il ne s’agit pas, pour les Grecs, d’envisager les décrets éternels de Dieu indépendamment de leur réalisation concrète. La définition technique que donne saint Thomas de la Providence : ratio ordinandorum in finem prout existit in mente divina, I a, q. xxii, a. 1, leur reste donc généralement étrangère, mais il faut remarquer que cette précision ultérieure est, chez eux, à l’état de présupposé formel. Ils envisagent tous, dans les réalisations de l’action providentielle, un ordre déterminé, voulu de Dieu, qui manifeste les intentions divines : la création est faite pour l’homme, l’incarnation a pour objet la rédemption du péché, tous les événements de notre vie sont l’effet d’une action pédagogique de Dieu, qui veut notre salut et notre perfection. Mais, par crainte sans doute de l’anthopomorphisme, pour laisser la nature divine dans son unité absolue et dans une éternité transcendante à tous les temps, ils se contentent de rassembler ce qu’ils voient de force, de lumière et de beauté dans l’homme et dans la nature, pour en faire un continuel et filial hommage à la providence de Dieu, Père, Fils et Esprit.

H.-D. Simonin.