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    1. PROTESTANTISME##


PROTESTANTISME. LE LUTHÉRANISME, ÉVOLUTION

sensibles. L’Église se présente comme un code rigide ; elle ne peut que tuer ces aspirations. On s’efforcera doue de constituer un christianisme sans Église. Près de Hermann, le prof esseur Théodore Hæring a

joui d’un grand prestige. Avec lui, c’est l’agnosticisme pur qui triomphe dans la dogmatique. Hæring distingue nettement la foi et la science de la foi. Celle là est souple et changeante comme la vie. Or, la science suppose des phénomènes stables, soumis â des lois uniformes. Il ne peut donc y avoir science dogmatique là où il n’y a, d’aucune façon, stabilité et uniformité. La dogmatique luthérienne devra se contenter de décrire les phénomènes religieux propres à un individu ou à un temps. Son objet propre ne peut aller au delà de Tinte) ligence que nous prenons des évangiles et du profit moral que nous retirons de l’Écriture. Hors de là, tout est écoulement et poussière.

Le professeur Wendt a installé le scepticisme dogmatique en partant d’un autre point de vue. La dogmatique, dit-il, suppose une connaissance certaine de la véritable pensée de Jésus et de sa véritable intelligence par les générations chrétiennes. Or, la pensée de Jésus est noyée dans un fatras d’apports hétérogènes et étrangers, que la critique ne parvient pas à élaguer des textes évangéliques. Incertitude inévitable ! Et l’histoire est encore incapable de distinguer ce que les générations ont conservé de proprement chrétien et ajouté au dépôt chrétien. Encore incertitude non moins inévitable ! Nous parlons au sujet de textes pleins d’obscurités. Une seule voie reste possible à la dogmatique : reconstruire un système de la doctrine chrétienne selon le critère, tout à fait subjectif mais seul possible, de l’utilité pratique des pages évangéliques. Le pragmatisme décide de la vérité des évangiles. La dogmatique luthérienne en était là de sa désagrégation quand la guerre survint. Puis ce fut Hitler.

6. La crise du hitlérisme.

Le mouvement politique déclenché par Hitler a hâté la crise du luthéranisme allemand. Jusqu’au triomphe du Fùhrer, on semblait ne pas apercevoir les répercussions religieuses de manifestes racistes. Ce ne fut d’abord qu’une vive réaction contre les adeptes du marxisme. On en comptait beaucoup dans les rangs des théologiens ; quelques-uns furent emprisonnés ; Schmitt, à Bonn, et Tillich, à. Francfort-sur-le-Mein furent mis en congé. En avril 1933, la vague hitlérienne emporta l’ancienne organisation de l’Église luthérienne. Il fut entendu que, dans une nation allemande régénérée, l’Église devait se renouveler selon les mêmes principes régénérateurs de la nation. Le 25 avril, vingt-neuf légions ecclésiastiques réunies en synode déclarèrent vouloir réorganiser l’Église des Deutsche Christen. Le mouvement se précipita en Prusse, où l’Église se donna un commissaire d’État ; où une constitution fut élaborée en une commission présidée par l’aumônier Millier, ami personnel de Hitler ; où des élections donnèrent une victoire écrasante aux Deutsche Christen. Or, ceux-ci, selon le manifeste de leur chef Millier, prétendaient fonder « non pas une Église d’État, mais une Église évangélique du Reich, pour laquelle la grandeur de l’État nationalsocialiste fût un article de foi, et qui serait l’Église des chrétiens allemands, c’est-à-dire de chrétiens de race aryenne ». Visiblement, les nouveaux chefs s’apprêtaient à mettre l’Église au service d’un idéal politique, maître de l’heure actuelle, et à adopter quelques principes du mouvement politique, élevés à la hauteur de formules religieuses. L’un des plus essentiels et des plus dangereux était le principe raciste, ou aryen.

L’attitude nouvelle de l’Église allemande pouvait surprendre. Luther a déclaré que les contingences politiques et autres ne regardaient point l’Église véritable, qui est l’Église invisible. L’adoption du principe raciste devait bientôt scandaliser par ses conséquences bru tales. Toutefois, de mai à juillet 1933, la campagne des Deutsche Christen prit une tournure extrêmement violenie. Le pasteur Friedrich Wieneke, en une brochure publiée en juillet, définit la théologie nouvelle. Aux i 1 1 n i neuf Églises des paj s se substituera une Église du Reich. Plus de parlementarisme dans l’Église comme dans l’État (ce qui implique la négation des corps constitués, synodes, etc., et même des libertés diverses et de la liberté d’examen). La foi en Jésus-Christ sera conforme a l’esprit allemand. L’Église devra combattre aux avant-postes, en premier lieu contre toutes les formes du marxisme. La race devient le fondement et la pierre angulaire de la nouvelle Église : aucun élément n’j sera toléré, qui ne soit pas authentiquement aryen, d’où épuration, non plus d’après la fidélité aux dogmes, mais d’après les origines ethniques : exclusion du « sang étranger, et particulièrement des juifs, dont la conversion est déclarée « un grave danger pour l’essence nationale ». L’Église reconnaît sur le fondement de la foi la haute autorité de l’État national-socialiste et que « la croix gammée et la croix du Christ vont de pair ». L’extraordinaire était que l’on visait à appuyer sur de prétendus commandements de Dieu ces notions d’Église raciste, opposée à la pitié, exécrant « le pacifisme qui est antichrétien ». Wieneke déclarait même que l’Ancien Testament n’est qu’une parabole pour les Allemands ce qui veut dire sans doute que le nouveau christianisme des Deutsche Christen n’a que faire de cette parabole.

Or, ces dogmes, que l’on dirait d’un esprit en délire, ont fait leur chemin et, durant les mois de juillet à novembre 1933, ont trouvé des théologiens pour les entériner, les développer, les durcir. L’un des moins excités, le docteur Emmanuel Hirsch, professeur à Gœttingue, déclare que la fin de l’Église est d’aider l’État à maintenir « le respect et la fidélité au sang > et de proposer au peuple une fusion de la morale et de la règle de vie évangélique avec la morale nationalesocialiste ».

C’est précisément de quoi ne veulent pas convenir les théologiens restés fidèles à la traditionnelle organisation de l’Église luthérienne. Karl Barth a pris résolument la tête de ces protestaires. Le personnage est déjà redoutable par le prestige qui l’environne. Il l’est davantage par la franchise, la netteté, la sûreté de ses attaques. Sa brochure, parue en juillet, a connu une énorme diffusion. Elle engage le combat contre une doctrine avec laquelle il est impossible de pactiser. Barth démontre le paganisme de cette prétendue doctrine, de son principe raciste, de son hostilité contre les non-aryens, de sa servilité à l’égard de l’État, de son appel « aux armes », de son acharnement à détruire les cadres traditionnels d’une Église — de charité, de miséricorde — livrée à un nouveau Fuhrer ecclésiastique, contre toutes les libertés évangéliques.

Et, en effet, les Deutsche Christen travaillaient à faire reconnaître leur homme. Millier, comme chef de l’Église du Reich. Déçus de voir nommer comme évêque M. de Bodelsctrwing, le créateur des œuvres de Béthel, ils n’eurent de repos que celui-ci ne renonçât à sa charge. Mais la querelle de l’évêque eut une conséquence inattendue : le sud de l’Allemagne regimba contre les prétentions des Deutsche Christen, et en Prusse un commissaire régional, choisi parmi les Deutsche Christen, persécuta les pasteurs soupçonnés de tiédeur à l’égard de Mùller. Bodelsclrwing démissionna. L T n commissaire du Reich, M. Jæger. fut nommé, qui destitua un grand nombre d’autorités ecclésiastiques et élabora une nouvelle constitution évangélique, qu’il fit approuver par un vote des Deutsche Christen. Selon cette constitution, l’Église évangélique obéit à V* évêqi : e du Reich », flanqué

d’un ministère spirituel de quatre membres, trois