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    1. PROTESTANTISME##


PROTESTANTISME. LE LUTHÉRANISME, ÉVOLUTION

Scbleiermacher, ayant ainsi a peu près tout donné aux forces psychologiques, ne it aucune utilité à conserver les forces historiques du christianisme. Le

Christ intime, celui que la l"i crée en chacun de nous, esi pins réel et plus actif que le Chris) « ul’histoire. Étudions plutôt ces réactions de l’âme que les difficiles cheminements de la pensée religieuse cherchant à réduire en formules dogmatiques les résultats de la vie psychologique, Cet apport de la théologie n’est pas la vraie religion, il est métaphysique ; elle est sentiment. Lessing avait déjà fortement indiquecelle disi incl ion.

Il no faut pas pour autant négliger l’étude de la d matique ; mais il suffira de lui laisser son importance réelle, qui est secondaire. Elle est la cristallisation du contenu de la conscience religieuse à un certain moment, la définition des besoins du cœur réalisés à une heure de l’Église. Elle est ainsi une science d’observation, non une science normative. Une seule chose est normative : la vie et les besoins de la vie. Altitude extrêmement dangereuse, qui va décider de toute l’orientation des recherches de la dogmatique protestante d’aujourd’hui. Le dogme ne dit pas ce qui doit rire ; il dit ce qui a été, ce que la vie, à un moment, a i /(’(’, exige, mais qu’elle a entraîné aussi dans le tourbillon do ses transformations incessantes.

Et c’est pourquoi l’influence de Schleiermacher a été, à vrai dire encore plus importante que celle de Luther. Celui-ci en appelait, avec beaucoup d’imprudence, à l’expérience religieuse de chaque fidèle, et laissait à celui-ci le soin de l’interpréter à sa guise. Il fut. par ce détour, le père de l’individualisme protestant. Schleiermacher ajouta que l’expérience religieuse crée le dogme lui-même et, pour tout dire, l’objet de sa foi. Il fut ainsi le père du rationalisme et du scepticisme de la réforme actuelle.

.Mais c’est là que réside sa faiblesse. Ce philosophe n’a vu du complexe chrétien que les caractères subjectifs, non les conditions objectives. Il est vrai que la rédemption a pour effets souvent sensibles à la conscience du croyant de nous délivrer du joug du péché, de nous donner le sentiment d’une libération, qui crée la paix intime, la certitude religieuse et la joie de l’âme. Ce sont là des phénomènes intérieurs sur lesquels il n’est pas mauvais que s’exerce la théologie, car ils marquent la valeur réelle d’une vérité religieuse capable de transformer les âmes. Cette expérience intérieure, cette connaissance des réalités intimes, dévoilent les effets du dogme. Mais le dogme lui-même est autre chose et ne se confond pas avec ces effets.

Il affirme, en dehors de nous, la réconciliation du pécheur avec Dieu et le rétablissement d’une relation détruite. Cette relation, ce n’est pas la conscience qui la produit, en l’envisageant. Elle est extérieure à elle, quoique intérieure en elle. Elle implique des réalités externes : le péché, le pardon, la miséricorde d’un Dieu, la valeur d’une rédemption voulue et acceptée par Dieu. Ce sont là des faits qui sont, en vérité, la cause des besoins analysés et des suavités ressenties par l’âme croyante. Les négliger, c’est mutiler la nature de l’homme et la nature de la religion. Schleiermacher fut un philosophe très grand, mais ayant des œillères.

3. Albert Ritschl.

Un succosseur à son hégémonie ne tarda pas à apparaître, qui prétendait refaire le travail à moitié réussi de Schleiermacher. Il s’appelait Albert Ritschl (1822-1889). C’était un disciple révolté de l’école de Baur, dont il venait de réfuter les théories historiques dans un livre intitulé L’origine de l’ancienne Église catholique 1 1850). Ritschl gardait de son passage à l’école de Tubingue le sens de l’histoire, le goût des réalités, la défiance pour les constructions métaphysiques. Il apportait dans l’étude de la religion une tendance nettement objectiviste. Le fait prime

l’introspection de pi étendus faits psychologiques. Le

fait primitif est donné par l’individu. La science ne connaît pas d’abord l’espèce. D’où Ritschl tirait deux conséquences graves.

<i i La prétendue intuition de la réalité divinepar l’union immédiate de l’âme avec Dieu est une illusion, et toutes les conséquences tirées de ce subjectivisme religieux créent 1’illusionisme.

b) L’individu ne révèle pas ce qui serait une corruption de l’espèce humaine par le péché originel. Donc ce dogme échappe à nos prises.

Pareillement, alors épie Schleiermacher attendait des résultats décisifs de l’expérience religieuse et surtout de l’expérience du Christ sauveur, Ritschl déclare ces investigations psychologiques dénuées de valeur. Ce n’est pas une expérience d’âme qui peut nous faire connaître le Christ, sa personne, sa nature. Enfin, d’une manière plus générale, alors que son prédécesseur croyait tirer la notion de religion d’une analyse psychologique, Ritschl déclare ces essais subjectivistes antiscientifiques, créateurs d’une « idole métaphysique ». Il n’y a qu’une seule théodicée : celle qui nous vient de la révélation.

Et l’on voit comment se trouve dès lors bouleverse tout le système subjectiviste jusqu’alors en honneur dans le luthéranisme. Ritschl ne laisse devant lui que les Livres saints, la révélation, un fait extérieur à la conscience humaine. Et puisque la révélation a revêtu deux formes, celle de l’Ancien Testament, et celle qui est annoncée par le Christ, la dogmatique ne peut être que la description du contenu de la révélation, c’est-àelire les deux Testaments, et de rien d’autre. Jusqu’ici, la méthode de Ritschl aboutissait à une réhabilitation éclatante de l’autorité de l’Ecriture sainte, envisagée en elle-même et non dans les reflets qu’en peut donner une conscience religieuse. Reste à définir l’attitude du croyant ou du penseur devant ces textes sacrés. Pour Luther et l’ancien protestantisme, une seule attitude : le Livre est la parole de Dieu, qui s’impose, que l’on ne discute pas, que l’on n’explique pas, mais dont on reçoit, par une illumination du Saint-Esprit, l’intelligence claire et parfaite. C’était encore du subjectivisme critique. Ritschl cherche une règle objectivement valable. Il la trouve en l’accord réel des deux Testaments. « L’accord, écrit-il, de la pensée religieuse d’un écrit du Nouveau Testament avec l’Ancien, est un critère infaillible pour juger de l’authenticité de cet écrit, o L’Écriture se trouve donc expliquée par elle-même. Nulle vue de l’esprit, mais soumission de l’esprit aux faits. La chose peut paraître plausible. En réalité, elle était meurtrière pour le Nouveau Testament. S’il ne s’y trouve d’authentique que les passages en accord avec l’Ancien, autant dire que tout ce qui fait précisément l’originalité, la richesse, l’incommunicable caractère de l’enseignement de Jésus sera tenu pour suspect. Et l’ironie de cette méthode, c’est qu’elle découronne justement le Christ, qu’elle réduit à être je ne sais quel écho de Moïse. Résultat plutôt négatif, et qui sullit à juger de la valeur du principe. Mais il y a autre chose.

Ritschl, mis en présence du Nouveau Testament, fui amené à se demander si la révélation évangéliqne doit se confondre avec celui-ci et s’il n’y a pas, dans ce texte vénérable, des traces, des éléments d’une pensée étrangère à la révélation même faite par le Christ : éléments d’origine rabbinique, ou hellénique, ou philonienne. La difficulté est donc d’appréhender le fait exact et pur de la révélation chrétienne. Par quelle méthode l’atteindre ? Ritschl écarte tout procédé subjectiviste, et propose le suivant, qui semble conforme à la réalité même : il faut étudier le texte sacré en se mettant au point de rue de la communauté. La première génération chrétienne, celle même qui l’a préparée en