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ment le retour à l’étal prlmitil i, l’avènement « l’un nouveau règne de Dieu et notamment la commu

naiil (’des biens.

En même temps que la crise goctale, une crise intellectuelle marque cette période. La Renaissance remet

en honneur, dans les milieux cultivés, le communisme idéaliste et romanesque de l’antiquité. L’Utopie de Thomas Morus(1516), Lu cité du Soleil deCampanella (1602), la Salente décrite dans Télémaque (1694) découlent de celle eine et ne l’épulsent pas. D’autre part, toute une littérature ethnographique, hautement appréciée et ingénieusement utilisée pour des fins d’apologétique morale et religieuse ou de critique politique et sociale, concourut au succès du communisme romanesque. Quelques missionnaires, en particulier, en découvrant et en glorifiant le bon sauvage », renouvelèrent cette tradition. Le sauvage de I Iaïti, le 1 luron, le Tartare, furent proposés en exemple, pour la honte des civilisés libertins. C’est pourquoi sans doute le socialisme utopique, « par contraste avec le socialisme moderne, est plutôt ascétique qu’hédoniste. Il est une forme du goût de la simplicité primitive. C’est pourquoi aussi ce socialisme ancien est agraire plutôt qu’industriel ». René Maunier, L’année sociologique, nouv. sér., t. i, p. 894.

On est tenté de rattacher à la même inspiration les nombreux écrits par lesquels publicistes et philosophes du xviiie et de la première moitié du xixe siècle critiquent la propriété : la Basiliade, de Morelly (1753) ; le Voyage en Icarie, de Cabet (1842) ; les Doutes sur l’ordre naturel et essentiel des sociétés, de Mably, (1768) ; la Législation, du même auteur (1776), sont franchement socialistes. En 1780, Rrissot de Warville, qui plus tard défendra la propriété avec ses amis les girondins, l’attaque dans ses Recherches philosophiques sur le droit de propriété. Mais il faut savoir résister à cette tentation, car, entre le socialisme moderne dont nous trouvons là les germes et le socialisme de l’antiquité et de la Renaissance, il y a une différence profonde. Non que la veine panthéiste et sentimentale soit tarie : nous en retrouvons jusque chez Jaurès la trace persistante ; mais la philosophie du xviir 2 siècle et l’avènement de la science économique fournirent au socialisme une atmosphère intellectuelle et des « idoles » nouvelles. Lors même que ses conclusions se rencontrent pratiquement avec celles des anciennes doctrines communistes, il est impossible de confondre les systèmes. C’est pourquoi, sans chercher à établir une continuité logique qui n’existe pas entre le socialisme ancien et le socialisme moderne, nous devons, pour comprendre celui-ci, nous instruire d’abord du système économique orthodoxe : c’est en effet au libéralisme des économistes classiques que le socialisme contemporain doit ses bases philosophiques et son armature technique.

Pour l’histoire ancienne ou la préhistoire du socialisme, nous renvoyons donc aux ouvrages spéciaux et notamment aux articles suivants du Dictionnaire : Albigeois, Anabaptistes, Apostoliques, Apostatiques, Arnaldistes, Béghards, Béguins, Biens ecclésiastiques, Bonagratia de Bergame, Carpocrate, Cathares, Communisme, Dulcin, Hussites, Fraticelles, Frères du libre esprit, etc. Voir aussi F. Ehrle, dans les t. i-rv de YArchiv fur Lit. und Kirchengeschichte des Mittelallers ; J. Guiraud, Histoire de l’inquisition au Moyen Age, t. i, Paris, 1935. Quant aux condamnations de l’Église, voir Denzinger, n. 144, 485, 191, 575, 576, 577, 590, 596, 612.613, 616, 619, 624, 639, 656. 681, 685.

L’erreur libérale.

Il peut sembler paradoxal de

voir dans le libéralisme économique le fruit d’une philosophie déterministe, incompatible avec la notion de vraie liberté. Telle est pourtant la vérité qui s’impose de plus en plus à l’historien.

i.a soete i des économistes, malgré qu’elle en eût. subit l’influence de la philosophie du xviiie siècle. c’est à dire d’une pensée rationaliste, éprise tout a la fois de la rigueur mathématique mise a la mode pai les progrès scientifiques et par l’influence cartésienne, et d’un positivisme assez court, hérité pour une lar^tpart de l’utilitarisme sensualiste anglais. Cette atmosphère rationaliste a pénétré l’économie orthodoxe. La notion de loi naturelle, lors même que les déistes lui imposaient l’étiquette d’ « ordre providentiel », se ramenait exactement a l’idée déterministe de rapport évident et nécessaire. En prônant la liberté, les physiocrates » n’avaient nullement l’intention de la faire régner positivement dans l’ordre économique : à la nature, à ce réseau nécessaire et infaillible de lois qu’ils comprenaient sous ce mot, à la nature seule revenait la direction. Et c’est pour mettre la vie économique sous le joug nécessaire et bienfaisant de la nature qu’ils réclamaient la liberté, entendez l’absence de toute direction artificielle, nous dirions rationnelle s’ils ne prétendaient pas que le rôle de la raison consiste précisément à entrer dans le déterminisme des lois naturelles. Le retour à la liberté, en effet, devait selon leur système restituer l’empire de la raison ; mais cet empire se bornait à constater la liaison nécessaire des phénomènes, à constater l’ordre naturel et immuable établi dans l’univers et à s’y conformer. Bien entendu, les physiocrates ne se rendent pas compte du caractère déterministe que revêt leur doctrine ; ils se piquent de ne pas philosopher. A leur sens, en l’absence de loi positive, de réglementation extérieure, il y a liberté ; ils n’imaginent point que leur conception de l’ordre naturel puisse contredire profondément leurs prétentions libérales : « Les lois (de l’ordre naturel) ne restreignent point la liberté de l’homme…, car les avantages de ces lois suprêmes sont manifestement l’objet du meilleur choix de la liberté. » Quesnay, Droit naturel, dans Physiocrates, t. i, Paris, 1846, p. 55. A la violence contre nature que les interventions étatiques opposent à l’économie, ils préfèrent une nécessité naturelle ; car il va de soi, pour eux, que le libre choix ne consiste en rien d’autre qu’à mettre plusieurs partis en balance et à se laisser déterminer par le plus avantageux. Pour un être doué de raison, être libre consiste à chercher son intérêt évident. On sait que Quesnay a écrit dans l’Encyclopédie l’article Évidence, inspiré de la philosophie de Descartes et de Malebranche. Bref, le père des physiocrates, sans le formuler, substitue le principe hédonistique, expression d’une nécessité psychologique, à la notion de liberté. La raison n’est qu’une balance dont l’évidence est l’aiguille indicatrice.

Par ailleurs, la nécessité se fait jour encore sur cet autre point que la recherche de leurs intérêts particuliers par les individus conduit évidemment, par des voies infaillibles, à la réalisation de l’intérêt commun : il y aurait donc une sorte d’harmonie préétablie entre tous les mouvements naturels. Pourvu que nulle intervention violente ne vienne du dehors fausser ce mécanisme, il y a toujours identité profonde entre l’intérêt et le devoir moral et social.

Ainsi, la philosophie sous-jacente aux thèses de l’économie orthodoxe se présente comme un déterminisme utilitaire et naturaliste. L’optimisme qui carac térise l’école française est un trait secondaire, issu de la croyance déiste : « Les lois sont irrévocables, elles tiennent de l’essence des hommes et des choses, elles sont l’expression de la volonté de Dieu… Tous nos intérêts, toutes nos volontés viennent se réunir et former pour notre bonheur commun une harmonie qu’on peut regarder comme l’ouvrage d’une divinité bienfaisante qui veut que la terre soit couverte d’hommes heureux. » Mercier de La Rivière, L’ordre naturel el essentiel des sociétés politiques, dans Physiocrates, t. i.