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les richesses et leur usage Légitime. La propriété privée, nous l’avons vu plus haut, es) pour l’homme de droil naturel ; l’exercice de ce droil est chose non seule nient permise, surtoul à qui it en société, mais encore absolument nécessaire. » Rer. nov., p. 263.

Celte distinction entre le droil et L’usagee I reprise avec une netteté encore plus vigoureuse par l’encyclique Quadragesimo anno, à l’aide de formules vivement tranchées et contrastantes, où se manifeste la volonté « le mettre au poinl certaines idées plus riches de généreuses intentions que de vérité précise. « Le droit de propriété ne se confond pas avec son usage.

C’est en elle ! la justice que l’on appelle coininul at i e qui prescrit le respect des divers domaines et interdit a quiconque d’envahir, en outrepassant les limites de son propre droil. celui d’aulrui ; par contre, l’obligation qu’ont les propriétaires de ne faire jamais qu’un honnête usage de leurs biens ne s’impose pas à eux au nom de cette justice, mais au nom des autres vertus ; elle constitue par conséquent un devoir dont on ne peut exiger l’accomplissement par des voies de justice. C’est donc a tort que certains prétendent renfermer dans des limites identiques le droit de propriété et son légitime usage ; il est plus faux encore d’affirmer que le droit de propriété est périmé et disparaît par l’abus qu’on en fait ou parce qu’on laisse sans usage les choses possédées. » Qiuidr. anno, p. T27.

Cette page est d’importance. Il va de soi que le pouvoir reconnu au propriétaire, pouvoir fondé en nature humaine, pouvoir précisé par les conditions sociales de la vie, pouvoir déterminé dans ses ultimes réalisations concrètes par le droit positif, n’a pas d’autre but que l’honnête usage. Le pouvoir ne se conçoit qu’en vue de l’acte, un pouvoir légitime en vue de l’acte légitime. Ce droit finalisé par l’usage emprunte donc, en tout ce qu’il est, à l’honnête usage, sa détermination, sa mesure, sa rectification. De là vient que, sans léser le principe du droit de propriété, sa définition positive est sujette à s’étendre ou à se restreindre, selon la conjoncture sociale. L’Etat peut modifier l’assiette de ce droit, organiser de façon concrète, et donc, avec une individualité précise et limitée, son institution juridique posilive. Quelle fin légitime et mesure cette intervention nécessaire ? Nulle autre que l’usage honnête à promouvoir. Pour obtenir ce résultat, il conviendra parfois, nous le savons, de soustraire certains biens à l’appropriation privée, et en d’autres rencontres, pour répondre à des nécessités nouvelles, de soumettre à ce droit des objets nouveaux, conçus de toutes pièces par le cerveau d’un technicien ou lentement élaborés par l’effort de praticiens innombrables et anonymes.

Et cependant le droit de propriété, dans les limites de sa définition, confère à son titulaire une autorité souveraine et absolue en ce qui concerne cette orientation, cette rectification, aux fins de l’honnête usage. Entre le pouvoir et son usage, il n’y a pas un lien de nécessité. Et c’est dans ce libre jeu, dans cette détermination autonome, que gît, en ce qu’elle a de plus caractéristique, l’essence du droit de propriété. Il n’est fait que pour l’usage honnête, mais il est fait par essence pour le libre exercice de cet usage. Bien entendu cette autodétermination, comme tout usage de liberté. n’a rien d’un jeu gratuit ; suivant la direction qu’elle prend, elle trace dans le champ de la réalité un sillon correct ou une ornière tortueuse, ce qui ne laisse pas d’être caractérisé moralement et d’entraîner des suites diverses, heureuses ou funestes. La liberté n’en subsiste pas moins. On voudrait parfois, pour conduire infailliblement à son but le droit de propriété, retirer au propriétaire ce libre pouvoir d’user ; mais on fait fausse route. Emousser cette fine pointe d’autorité souveraine revient à méconnaître, en dénaturant le droit de propriété, le tréfonds rationnel où s’enracine

cette liberté (libérien est in ralione) et, par le fait même, à décharger le propriétaire de ses responsabilités moi aies et sociales. Après cette capilis deminulio, il n’a plus de vrai propriétaire, de dominus, et d’aucuns s’en consoleraient aisément : mais l’enseignement chrétien condamne une telle mutilation qui. à la limite, dénature l’homme et le réduit à la condition d’un instrument irresponsable. Toute vie comporte des risques ; la grande erreur serait de s’en garantir en renonçant a vivre. Ce risque proprement humain tient a l’usage de la liberté ; on ne l’évite pas au prix d’une déchéance.

2° Caractère commun < ! < l’usage. Maintenant, si

l’on demande en quoi il faut taire consister l’usage des biens. l’Église répond sans hésitation : sous ce rapport l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais bien pour communes, de telle sorte qu’il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C’est pourquoi l’Apôtre a dit : i Ordonne « aux riches de ce siècle… de donner facilement, de communiquer leurs richesses. lier, nov., p. 201. Léon XIII, pour exprimer la doctrine catholique sur l’usage commun des biens, emprunte le langage même de saint Thomas, Sum. theol., IL-IL. q. i.xvi. a.’2. Mais celui-ci à son tour se borne à répéter la leçon traditionnelle, déjà formulée par Aristote : Il est évidemment préférable que la propriété soit particulière et que l’usage la rende commune. » Polit., ii, 1. Sans entreprendre ici un exposé constructif, bornons-nous à recueillir, dans les encycliques Rerum novarum et Quadraijesimo anno, la leçon irrécusable du christianisme. « Quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu’il n’est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des champs. » Rer. nov.. p. 251. Cette vérité, primordiale selon le vœu de la nature, obtient une vigueur plus pressante si l’on fait intervenir le fait surnaturel de l’incorpViration de tous les hommes dans le Christ, qui est le premier-né de beaucoup de frères. « Tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce, appartiennent en commun et indistinctement à tout le genre humain, et il n’y a que les indignes qui soient déshérités des biens célestes. Si vous êtes fils, vous êtes aussi héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ. » Rer. nov., p. 267. Communauté de nature humaine, communion de grâce dans le Christ : c’est sur cette base que repose, dans la doctrine chrétienne de la propriété, le devoir de l’usage commun. De quelle façon ce devoir doit-il être entendu et accompli, c’est ce qu’il nous reste à montrer, en disant quelles vertus, selon l’enseignement commun de l’Église, le propriétaire est tenu de pratiquer dans l’usage de ses biens.

L’usage moral de la propriété.

La doctrine traditionnelle

est fort nette, et l’on n’a que l’embarras du choix entre tous les exposés où elle s’exprime correctement. Les tendances propres à chaque auteur ne doivent pas être méconnues, mais elles se bornent généralement à une manière plus ou moins originale de présenter une vérité commune, ("est ainsi que les uns verront dans l’usage vertueux de la propriété une fonction sociale de ce droit, d’autres une limitation que la morale lui apporte : pour d’autres encore, la propriété privée est à considérer comme un avantage grevé de charges correspondantes. Tout cela peut être discutable d’un point de vue systématique (voir ci-dessous. Essai de synthèse, col. 831 sq.), mais ne laisse pas en pratique d’être admissible.

Quoi qu’il en soit, nous nous contenterons ici d’exposer les règles vertueuses présidant à l’usage de la propriété, telles qu’elles ressortent notamment des encycliques Rerum novarum et Quadragesimo anno. Il semble que l’on puisse très objectivement le^ grouper