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PRÉMOTION PHYSIQUE. RAISONS DE L’AFFIRMER


opinion est exclue comme erronée par saint Thomas, Contr. génies, t. III, c. i.xxxviii ; elle était admise par Pelage et n’a pas suffi à le maintenir dans l’orthodoxie ; enfin, elle ne constitue pas la subordination des causes in agendo, mais seulement in cssendo. Or, l’agir suit l’être et le mode d’agir suit h’mode d’être ; la dépendance dans l’agir suit doue la dépendance dans l’être.

I)e plus, nulle autre cause que I >ieu ne peut mouvoir <//> mlus notre volonté à l’exercice de son acte, car lui seul, qui l’a créée et la conserve, peut la mouvoir selon l’inclination naturelle qu’il lui a donnée au bien universel : l’ordre des agents correspond en effet à l’ordre des fins, et donc seule la cause efficiente la plus universelle peut mouvoir au bien universel, qui, comme tel, ne se trouve réellement qu’en Dieu ; cf. I a, q. cv, a. 1, et I’-II ; P, q. ix, a. G. Toute autre cause que Dieu nécessiterait, c’est-à-dire ne pourrait produire en nous et avec nous jusqu’au mode libre de nos actes. Ia-II 33, q. x, a. 4.

Suarez a objecté que notre volonté par elle-même est, sinon formellement en acte de vouloir, du moins en acte virtuel, et qu’ainsi elle peut passer à l’acte, sans une motion divine. Cf. Disput. met., disp. XXIX, sect. i, n. 7.

II est facile de répondre : l’acte virtuel reste distinct de l’action qui dérive de lui. Y a-t-il, oui ou non, devenir en lui ? Son action est-elle éternelle, ou au contraire est-elle apparue dans le temps ? Cette apparition de quelque chose de nouveau, ce fleri suppose une puissance active qui n’était pas son activité, qui même n’agissait pas, mais qui seulement pouvait agir. Et alors, comment l’acte virtuel s’est-il réduit à l’acte second qu’il n’avait pas ? Dire que c’est par lui-même, c’est poser un commencement absolu, ce qui répugne : le plus ne sort pas du moins, l’être ne sort pas du néant. L’acte virtuel a donc été réduit à l’acte second par un moteur extrinsèque, qui en fin de compte doit être son activité même et ne peut être sujet d’aucun devenir.

On a souvent répondu à Suarez : la volonté créée, avant d’agir, contient son acte non pas virtualiter eminenter, comme Dieu contient les créatures et comme l’intuition divine contient le raisonnement humain, mais virtualiter potentialiter, c’est-à-dire qu’elle peut le produire comme une cause seconde sous l’influx de la cause première.

De plus, il ne suffit pas que Dieu meuve l’homme à vouloir être heureux, ou à vouloir le bien en général, car, lorsque notre volonté veut ensuite tel bien particulier, il y a en elle une actualité nouvelle, qui doit dépendre comme être du premier Être, comme action du premier Agent, comme acte libre du premier Libre, comme ultime actualité de l’Actualité suprême qu’est l’Acte pur, et, si cet acte libre est bon et salutaire, il doit dépendre aussi comme tel, non seulement à raison de son objet, mais quant à son exercice, de la source de tout bien et de l’Auteur du salut. Aussi saint Thomas dit-il, Ia-II 33, q. ctx, a. 1 : Quantumcumque aliqua natura sive corporalis, sive spiritualis, ponatur perfecta, non potest in suum actum procedere nisi moveatur a Deo.

Telles sont les raisons générales d’affirmer la prémotion physique.

Elles se précisent si on les considère par rapport à ce que nous enseigne la révélation au sujet des décrets divins et de la grâce efficace.

2° La prémotion physique et les décrets divins prédéterminants, relatifs à nos actes salutaires. — La prémotion physique présuppose ces décrets et assure leur exécution infaillible.

Ces décrets sont admis par presque tous les théologiens qui n’acceptent pas la théorie moliniste de la science moyenne, c’est-à-dire par les thomistes, les

augustiniens et les scotistes. D’une façon générale, ces théologiens accordent le dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu. En d’autres termes, si Dieu n’a pas prédéterminé de toute éternité nos actes libres salutaires, il est passij ou dépendant dans sa prescience à l’égard de la détermination libre que prendrait tel homme s’il était placé en telles circonstances (et il ne lui appartient que de l’y placer ou non). Dieu, par rapport à cette détermination libre salutaire, qui, comme détermination libre, ne vient pas de lui, est non pas auteur, mais spectateur. Or, on ne saurait admettre aucune passivité ou dépendance dans l’Acte pur, qui est souverainement indépendant à l’égard de tout le créé, à l’égard des futurs contingents, soit absolus, soit conditionnels.

L’existence de ces décrets divins prédéterminants, relatifs à nos actes libres salutaires, repose aux yeux des théologiens dont nous venons de parler, non pas seulement sur la notion que le philosophe doit se faire de Dieu et de l’indépendance divine, mais sur la révélation contenue dans l’Écriture et la tradition.

1. Textes scripturaires.

On lit, en effet, dans le livre d’Esther, xiii, 9, cette prière de Mardochée : « Seigneur, Seigneur, roi tout-puissant, je vous invoque : car toutes choses sont soumises à votre pouvoir et il n’est personne qui puisse faire obstacle à votre volonté, si vous avez résolu de sauver Israël… Vous êtes le Seigneur de toutes choses et nul ne peut vous résister, à vous, le Seigneur ! … Exaucez ma prière ! et changez notre deuil en joie… » Dans le même livre, xiv, 13, la reine Esther prie ainsi : « Mettez de sages paroles sur mes lèvres en présence du lion (du roi), et faites passer son cœur à la haine de notre ennemi, afin qu’il périsse, lui et tous ceux qui ont les mêmes sentiments. » Et au c. xv il est dit : « Alors Dieu changea la colère du roi (Assuérus) en douceur » et il rendit un édit en faveur des Juifs. Par ces paroles, l’infaillibilité et l’efficacité du décret de la volonté de Dieu sont fondées manifestement sur sa toute-puissance et non pas sur le consentement prévu du roi Assuérus. Ce qui fait dire à saint Augustin lorsqu’il explique ces paroles (Ad Boni/alium, t. I, c. xx) : Cor régis… occultissima et efjicacissima potestate convertit et transtulit ab indignatione ad lenitatem.

Dans le ps. cxiii, 3, il est dit : « Tout ce que Dieu veut, il le fait », tout ce qu’il veut d’une façon non pas conditionnelle, mais absolue, il le fait, même la conversion libre de l’homme, comme celle du roi Assuérus. Prov., xxi, 1 : « Le cœur du roi est un cours d’eau dans la main de Jahvé, il l’incline partout où il veut. » La même pensée est exprimée dans l’Ecclésiastique, xxxiii, 13 : « Comme l’argile est dans la main du potier, et qu’il en dispose selon son bon plaisir, ainsi les hommes sont dans la main de celui qui les a faits. » Isaïe, xiv, annonce contre les nations païennes plusieurs événements qui s’accompliront par les libertés humaines, en particulier la ruine de Babylone, et il conclut, ibid., 24-27 : « Jahvé, Dieu des armées, a juré en disant : Oui, le dessein qui est arrêté s’accomplira. Et ce que j’ai décidé se réalisera… Car Jahvé des armées a décidé et qui l’empêcherait ? Sa main est étendue et qui la détournerait ? » La main de Dieu signifie sa toute-puissance, ici encore l’infaillibilité et l’efficacité du décret divin ne sont nullement fondées sur la prévision du consentement humain.

Il est même dit dans Ézéchiel, xi, 19, que c’est Dieu qui donne le bon consentement : a Je mettrai au dedans d’eux un esprit nouveau, et j’ôterai de leur chair le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu’ils suivent mes ordonnances et qu’ils gardent mes lois et les pratiquent ; et ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. » Cf. Ez., xxxvi, 26, 27.

Dans l’Évangile, Jésus dit aussi : « Sans moi, vous