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PRÉ MOT ION PHYSIQUE. CE QU’ELLE KST

acte antérieur, et de Dieu, qui seul a pu la créer de rien avec l’âme spirituelle et l’ordonner au bien universel. L’ordre des agents doit en effet répondre à l’ordre des fins ; cf. [a-Il », q. ix, a. 6.

On s’explique alors que Dieu, en mouvant ainsi notre volonté, interius eam inclinando, ne la violente pas, car il la meut selon son inclination au bien universel, il actualise en elle cette inclination générale et la porte fortement et suavement à se restreindre elle-même, avec une indifférence dominatrice, à tel bien particulier, voulu ainsi librement en vue du bonheur, puisque l’homme veut naturellement être heureux et cherche la béatitude en tout ce qu’il veut.

Au même endroit, I a, q. cv, a. 4, ad 3um, saint Thomas note que nos actes ne seraient ni libres, ni méritoires, si la volonté était mue par Dieu de telle sorte qu’elle ne se mouvrait nullement elle-même ; mais il n’en est pas ainsi. Per hoc quod voluntas movetur ab alio (a Deo), non excluditur quin moveatur ex se, ut dictum est, et ideo per consequens non tollitur ratio merili vel demeriti. Ibid.

Ce dernier point est expliqué I a —II*, q. ix, a. 3, où il est dit que la volonté, en tant qu’elle veut la fin, se meut à vouloir les moyens. Saint Thomas remarque, ibid., a. 6, ad 3 U1 ", que, si la volonté ne pouvait se mouvoir elle-même, si elle était seulement mue par Dieu, elle ne pécherait jamais. « Mais, sous la motion divine qui le porte à vouloir le bonheur, l’homme par la raison se détermine (dans l’ordre des causes secondes) à vouloir ceci ou cela, un vrai bien ou un bien apparent. Cependant, Dieu meut parfois spécialement certains à vouloir tel bien déterminé, comme il arrive en ceux qu’il meut par sa grâce. » Voici ce texte sur lequel on a beaucoup écrit :

Deus movet voluntatem hominis, sicut universalis motor, ad universale objectum voluntatis, quod est bonum, et sine hac universali motione homo non potest aliquid velle ; sed homo per rationem déterminât se ad volendum hoc vel illud, quod est vere bonum vel appareils bonum. Sed tamen interdum specialiter Deus movet aliquos ad aliquid determinale volendum, quod est bonum, sicut in his quos movet per gratiam, ut infra dicetur. I a —Ipe, q. ix, a. 6, ad 3um.

Des molinistes ont prétendu, d’après ce dernier texte, que pour saint Thomas la motion divine n’est pas prédéterminante, et que, sous une même motion qui porte à vouloir le bonheur, tel homme ferait un acte bon (au moins naturellement bon, aclum ethice bonum), tandis que tel autre homme pécherait.

Cette interprétation se heurte à bien des textes de saint Thomas, d’abord au principe de prédilection plusieurs fois formulé par lui, et d’après lequel « l’amour de Dieu étant cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu ». I a, q. xx, a. 3. Or, dans l’interprétation moliniste du texte de la Ia-II 86, dont nous parlons, il arriverait que de deux hommes également aimés et aidés par Dieu, l’un deviendrait meilleur que l’autre, par exemple par cet acte naturel moralement bon, qui consiste à payer ses dettes. Il deviendrait meilleur sans avoir plus reçu de Dieu ; il ne dépendrait pas de la cause libre de tout bien, que plus de bien soit en cet homme plutôt qu’en cet autre.

Du reste, cette interprétation moliniste est contraire à bien des textes formels de saint Thomas (cf. I a —II æ, q. x, a. 4, ad 3 unl) et à la fin même du texte dont nous parlons, où il est dit : Sed tamen interdum specialiter Deus movet aliquos ad aliquid determinate volendum, quod est bonum, sicut in his quos movet per gratiam, ut infra dicetur.

Les commentateurs de saint Thomas, tels Billuart, Cursus theol., De actibus humanis, diss. III, a. 3 ; del Prado, De gratia et libero arbitrio, t. i, p. 23C ; t. ii, p. 256, 228 ; Garrigou-Lagrange, Dieu, p. 414, 486,

admettent généralement qu’il s’agit ici de la grâce opérante dont il est parlé plus loin, WI*, q. cxi, a. 2. Nous allons voir qu’il en est ainsi en expliquant plus loin les trois propositions du texte qui nous occupe par les trois modes principaux selon lesquels Dieu nous meut : 1. avant la délibération : à vouloir le bonheur en général ; 2. après la délibération : à vouloir tel bien particulier sur lequel nous avons délibéré ; si l’acte est surnaturel il se produit ici sous la grâce coopérante ; 3. au-dessus de la délibération, par l’inspiration spéciale du Saint-Esprit, qui est une grâce opérante : tels sont les actes des dons du Saint-Esprit.

Plusieurs molinistes reconnaissent que, selon saint Thomas, en ce dernier cas, il y a prémotion prédéterminante, mais ils ajoutent : alors l’acte n’est plus libre, ni méritoire ; cf. P. de Guibert, S. J., Éludes de théologie mystique, Toulouse, 1930, p. 170. Saint Thomas tient au contraire que les actes des dons du Saint-Esprit, par exemple du don de piété, sont libres et méritoires ; cf. I a —II 1E, q. lxviii, a. 3, corp. et ad 2 a, n. Les dons nous disposent précisément à recevoir de façon docile et méritoire l’inspiration spéciale du Saint-Esprit. Ainsi la vierge Marie fut portée fortiter et suaviter, à dire infailliblement et librement son fiât le jour de l’annonciation en vue de l’incarnation rédemptrice qui devait immanquablement arriver.

4° En quel sens la prémotion est-elle dite prédéterminante, quoique non nécessitante, c’est-à-dire quoique conforme à la nature de notre volonté libre, qui doit rester maîtresse de son acte ?

Il s’agit ici d’une prédétermination non pas formelle, mais causale ; cf. card. Zigliara, Summa phil., Theol. naturalis, t. III, c. iv, a. 4, § 6. Les molinistes disent généralement : si Dieu par sa motion détermine la volonté à vouloir ceci plutôt que cela, elle ne peut plus ensuite s’y déterminer elle-même. C’est confondre la prédétermination causale, qui nous porte suaviter et fortiter à nous déterminer, avec la détermination formelle, qui est celle même de l’acte volontaire déjà déterminé, et qui suit l’autre selon une postériorité non de temps, mais de causalité.

Des auteurs, comme L. Billot, S. J., admettent la prémotion physique, mais nullement la prédétermination. Et pourtant, comme le disait le cardinal Zigliara, loc. cit., prémotion et prédétermination désignent la même chose, mais prémotion, par rapport à la toute-puissance, et prédétermination par rapport au décret prédéterminant de la volonté divine. La volonté divine prédétermine que tel acte salutaire, par exemple le fiât de Marie, la conversion de saint Paul, celle de Madeleine ou celle du bon larron, sera accompli dans le temps, tel jour, à telle heure, et qu’il sera accompli librement, puis la toute-puissance meut la volonté humaine ab intus, sans la violenter en rien, pour assurer l’exécution de ce décret.

Saint Augustin a écrit dans le De gratia et libero arbitrio, c. xvi et xvii : Certum est nos mandata servare si volumus… Certum est nos velle cum volumus, sed ille (Deus) facit ut velimus bonum, de quo dictum est : « Deus est qui operatur in vobis et velle et perficere » (Phil., ii, 13). Certum est nos facere, cum facimus, sed ille facit ut faciamus, præbendo vires efficacissimas voluntati, qui dicit : « Faciam ut in justificationibus meis ambuletis et judicia mea observetis et faciatis. » (Ez., xxxvi, 27)… Quoniam ipse, ut velimus, operatur incipiens, qui volentibus cooperatur perficiens.

La motion divine reçue dans la cause seconde est prédéterminante en tant qu’elle assure infailliblement l’exécution d’un décret divin. C’est une prédétermination causale et non formelle, tandis que celle du décret est à la fois formelle et causale ; enfin, la détermination de notre acte volontaire déjà produit est formelle et non causale ; mais, comme nous l’avons dit, loin d’exclure