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PRIÈRE. QUE PEUT-ON DEMANDER ?


secours, des instruments, qui nous aident à tendre à la béatitude : notre vie corporelle, en effet, trouve en eux

son soutien, et notre activité vertueuse les emploie à titre d’instruments ». II’-II 1, toc. cit. Dans les Sentences, toc. cit., saint Thomas avançait une double distinction à propos des biens qu’on peut désirer : certains sont désirés pour eux-mêmes, et d’autres seulement propter aliud ; d’autre part, certains peuvent être désirés sans mesure, non habent superflaitatem desiderii, comme les vertus, et d’autres seulement dans une certaine mesure, comme les plaisirs, les richesses et choses semblables. « Or. les biens temporels ne peuvent être désirés que propter aliud et que dans une certaine mesure, à savoir pour autant qu’ils sont nécessaires à l’entretien de la vie présente. Et c’est avec cette double restriction qu’on peut les demander à Dieu. » Ces principes, ces distinctions, vont servir à répondre aux objections : 1. L’Évangile, disait-on, nous défend de rechercher les biens temporels ; principalilcr, oui ; secundario, non ; c’est ce que dit saint Augustin, commentant le discours sur la montagne : « Lorsque le Seigneur déclare qu’il faut chercher d’abord le royaume des cieux, il veut dire que les biens temporels ne doivent être recherchés qu’ensuite, d’une postériorité non de temps, mais de valeur ; illud tanquam bonum nostrum, hoc tanquam necessarium nostrum » ; 2. "Tout souci des choses temporelles n’est pas interdit, mais seulement un souci exagéré et désordonné » ; 3. « Lorsque notre âme se porte aux choses temporelles pour s’y reposer, oui, elle s’y ravale ; mais quand elle s’y porte en vue de la béatitude, loin de se ravaler à leur niveau, ce sont elles au contraire qu’elle élève et rehausse » ; 4. enfin, « du moment que nous demandons les biens temporels non pas principaliter, mais in ordine ad aliud, par là même nous demandons à Dieu de ne nous les accorder que pour autant qu’ils sont utiles à notre salut. »

2° Ne peut on demander à Dieu les biens temporels qu’en vue de la béatitude ? Suarez, t. I, c. xvii, n. 4. — Telle paraît bien être la pensée de saint Thomas, au moins dans la Ila-II" 8 ; car, dans les Sentences, il ne le dit pas expressément ; on pourrait même croire qu’il dit le contraire quand il déclare que les biens temporels ne doivent être désirés, et par conséquent demandés, que secundum quod sunt necessaria ad vitam prsesenlem agendam. Pour résoudre la question, Suarez, ibid., n. 3, distingue les biens terrestres en deux catégories : les uns, comme la vie, la santé, la science, sunt per se convenientia naturæ, ac proinde per se appetibilia secundum reclam rationem, propter bonum et convenientem statum naturæ ; les autres, comme les honneurs, la réputation, le pouvoir, les richesses, etc., sunt bona indifjerentia, quæ propter se appetibilia non sunt, sed tantum propter utilitatem ad alia bona per se et honeste appetibilia ; et, parmi ces biens indifférents, il faut encore distinguer ceux qui sont simpliciter vel moraliter necessaria pour acquérir ou conserver les premiers, par exemple la nourriture, les vêtements, la bonne réputation, et ceux qui ne sont pas nécessaires, comme de grandes richesses, de grands honneurs, etc. Or, dit Suarez, n. 7, les biens de la première catégorie, nous pouvons les demander à Dieu pour eux-mêmes et non pas seulement en vue de la béatitude éternelle ; non pas évidemment comme s’ils constituaient notre fin dernière, mais en tant qu’ils sont des fins prochaines qui peuvent être recherchées pour elles-mêmes : verum est taie bonum peti posse absque morali malilia sine tali rclalione ad beatitudinem ; quia hicc relalio operanlis non est intrinsece necessaria ad moralem bonitatem, ut palet de opère eleemosynæ facto ex naturali misericordia, sine ulla memoria bealitudinis, nec relalionc jormali aut virluali operanlis. En conséquence, ces biens primordiaux, on peut aussi les demander sans condition. Ibid., n. 8-10.

f Suarez va plus loin encore : non seulement les biens de la première catégorie, mais ceux de la seconde qui sont nécessaires pour vivre, nous pouvons encore les demander de la même manière que les premiers, à condition que nous ne les demandions pas pour eux-mêmes, ni en trop grande abondance, mais seulement dans la mesure où ils sont nécessaires ad hujus vita commoditatem. Ibid., n. 11. lui revanche, on ne peut demander l’abondance de ces biens que sous condition, même si l’on a la ferme intention de n’en faire qu’un bon usage. N. 12. La raison en est qu’il y a toujours danger à posséder ces biens en grande abondance. Pourrait-on dire, néanmoins, qu’il y aurait péché a demander sans condition de grandes richesses ou de grandes dignités, i’épiscopat par exemple, si l’on est fermement résolu à n’en faire qu’un bon usage ? Suarez, n. 14, n’oserait pas dire que ce soit un acte intrinsèquement et partant toujours mauvais ; on peut se sentir assez sûr de soi pour espérer qu’on échappera aux dangers que présente la possession de ces biens. IV. POUR QUI PEUT-OX DEM AyDER ? — 1° Question préalable : peut-on prier pour autrui’.' — À cette question saint Thomas fait les objections suivantes, Jn /V"" » Sent., dist. XV, q. iv, a. 4, qu. 3 : 1. « Nous devons suivre, quand nous prions, le modèle que Dieu nous a donné ; or, dans l’oraison dominicale, nous formulons des demandes pour nous, mais non pas pour autrui ; 2. « On prie pour être exaucé ; or, l’une des conditions requises pour qu’une prière puisse être exaucée, c’est précisément qu’on prie pour soi-même », du moins au dire de saint Augustin ; 3. de deux choses, l’une : ou bien l’on prierait pour les méchants, et cela est défendu, d’après Jer.. vii, 16 ; ou bien l’on prierait pour les bons, et cela est inutile, car « les prières qu’ils font pour eux-mêmes sont exaucées » ; 1. enfin, prier pour les autres n’est-ce pas usurper un rôle qui n’appartient qu’au Christ ? Redundanlia gratiæ ex uno ad alium perlinel ad excellentiam plenitudinis quæ fuit in Christo secundum quod est capul nostrum.

A l’encontre, saint Thomas fait observer que la prière pour autrui est commandée par le Christ : Orale pro persequentibus et calumniantibus vos. Matth., v, 44, et recommandée par saint Jacques : Orate pro invicem, ut salvemini, Jac, v, 1C.

Qu’on puisse et même qu’on doive prier pour autrui, il est facile d’en rendre raison, « Ce que nous devons demander dans nos prières, c’est ce qu’il nous faut désirer. Or, il ne suffit pas de désirer notre bien personnel, nous devons aussi vouloir du bien aux autres : cela fait partie de la dilection que nous devons avoir pour le prochain. Donc, la charité requiert que nous priions pour les autres. D’où la parole de saint Jean Chrysostome : « Le besoin nous contraint de prier pour nous-mêmes, mais c’est la charité fraternelle qui nous engage à prier pour autrui ; et plus douce est la prière qui monte vers Dieu, non point portée par la nécessité, mais confiée par un coeur fraternel. » II » -II æ, ibid., corp. Et voici ce que l’on peut répondre aux objections : 1. L’oraison dominicale, loin d’être opposée à la prière faite pour autrui, paraîtrait plutôt défavorable à la prière qu’on ferait uniquement pour soi, s’il faut en croire saint Cyprien : « Si nous ne disons pas : Mon Père, mais.Xotre Père, ni donne-moi, mais donne-nous. c’est que le Maître de l’unité n’a point voulu que la prière fût affaire privée, et que chacun priât pour soi seulement ; il a voulu que chacun priât pour tous, lui qui nous a tous portés en son unité. » 2. Sans doute. « prier pour soi est une des condit ions requises pour que l’on obtienne sans faute ce que l’on demande, ad indeficientiam impelrandi ; il arrive quelquefois, en effet, que la prière faite pour autrui n’obtient pas ce qu’elle demande, bien qu’elle possède toutes les autres conditions requises à cet efi’et. par suite d’un obstacle tenant