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PRIÈRE. AUTRES CONDITIONS

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pas le sens des prières que l’on articule, que les mots étrangers que l’on prononce n’eussent plus ainsi qu’une valeur musicale et que, somme toute, on en revînt à la prière des glossolales de la primitive Église. II oubliait sans doute la critique assez verte qu’en a l’aile saint Paul, I Cor., xiv, 1-28 : « Si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure sans fruit. Que faire donc ? Je prierai avec l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence ; je chanterai avec l’esprit, mais je chanterai aussi avec l’intelligence. » Vs. 14-15. Voilà la charte de la vraie prière. La meilleure sorte d’attention, pour ceux qui en sont capables, est celle qui porte tout à la fois sur ce que l’on dit à Dieu et sur Dieu à qui l’on s’adresse. C’est l’avis de Lessius et de Lehmkuhl, cités par Vermeersch, op. cit., p. 46, note 3 ; c’est surtout l’avis de saint Thomas, In I Cor., c. xiv, lect. 3 : plus lucratur qui orat et intelligit, quam qui tantum lingua oral, qui scilicet non intelligit qux dicit ; nom ille qui intelligit, rejicitur et quantum ad intellcclum et quantum ad afjectum ; sed mens ejus qui non intelligit, est sine fructu refectionis.

Soit, dira-t-on, mais encore faudrait-il que les prières qu’on nous oblige à réciter aient un sens, et un sens édifiant, un sens qui corresponde à notre mentalité de chrétiens, à nos besoins spirituels. Or, tel n’est pas malheureusement le cas pour toutes les parties du bréviaire qu’on nous met entre les mains, en particulier pour le psautier, dont « un si grand nombre d’endroits n’ont rien de clair, rien de doux, rien de touchant que pour ceux qui sont remplis de la science du sens spirituel et qui peuvent extraire et sucer le miel d’une pierre ». Thomassin, cité par Bremond, ibid., p. 412. Si nous étions tenus d’appliquer notre intelligence à la récitation de l’office, nous risquerions de nous assimiler nombre de passages contraires « à l’esprit du Nouveau Testament, aux intentions de l'Église et à l’esprit de charité qui anime les fidèles. Car, à la lettre, ce sont souvent les désirs et les demandes du vieil homme que nous exprimons quand nous lisons les Écritures de l’ancien peuple qui était encore charnel… ». Ibid., p. 398. Saint Bonaventure reconnaissait que, pour retirer quelque fruit de la récitation des psaumes, il fallait bien souvent s'évader du sens littéral et recourir au sens spirituel : qualis enim devolio haberetur ex litterali sensu in istis verbis « qui emittis fontes in convallibus, etc. », quæ tamen omnia ibi scripta sunt juxta sensum spirituatem. De profectu religiosorum, t. II, c. lx. Enfin, ajoute-t-on, quel effort, partant quelle fatigue, ne supposerait pas l’application ininterrompue de l’intelligence au sens littéral d’une prière, qui, pour être récitée d’une manière simplement correcte et d’une allure assez rapide, exige plus d’une heure I « A qui voudrait appliquer sérieusement son esprit, ligne par ligne, à ce tissu de merveilles — il parle de l’office quotidien — il faudrait plusieurs semaines… On est bien obligé de prononcer tous les mots ; mais le savourer, et même le comprendre, ce qui s’appelle comprendre, ligne par ligne, qui nous persuadera jamais que l'Église attend de nous ce tour de force, d’ailleurs plus saugrenu encore qu’impossible ? » H. Bremond, ibid., p. 414 « Si la longueur excessive des offices, dit Duguet, était moins autorisée, le remède le plus sûr et le plus naturel serait de la réformer et de mettre une juste proportion entre les prières publiques et l’attention dont un homme de bien est capable. » Traité de la prière publique, éd. Sylvestre de Sacy, Paris, 1858, p. 4.

Que peut-on répondre à tout cela ? D’abord que l'Église n’attend pas, n’exige pas de nous « ce tour de force » : si l'Église nous impose, au dire de Vermeersch, op. cit., p. 49 et 53, plus que n’exigerait ce qui constitue essentiellement la prière vocale, præceptum dévote orandi horas canonicas, ab Ecclesia latnm, ultra pnrei pit quam quodorcdioni vocali est esse ntiale. (allusion probable au célèbre canon Dolentes, De celebr. miss., diversement interprété par les canonistes et les moralistes ; cf. Suarcz, t. IV, c. xiv ; le cari. 135 du Code de droit canon ne contient pas ce dévote), certainement elle ne nous impose pas de comprendre et de savourer tous les mots de l’office. Kst-ce à dire que notre prière ne serait pas meilleure si nous avions la possibilité de le faire ? Kst-ce à dire que la meilleure prière ne consiste pas précisément à comprendre et à savourer ce que l’on dit à Dieu ? À condition évidemment que cette prière soit compréhensible et vraiment religieuse. Si elle ne l’est pas, que l'Église réforme sa prière ; qu’elle nous donne, en particulier, comme le lui ont demandé « tous les prêtres du congrès liturgique de Malines » (1924), dans un vœu adressé au pape, « un texte latin officiel de prière, où les passages inintelligibles, obscurs, inexacts de la Vulgate seraient éclaircis et rapprochés du sens original du psalmiste, en fonction des conclusions les plus sûres de l’exégère catholique et sous la garantie de l’autorité pontificale » ; ce ne serait pas la première fois qu’on réformerait le bréviaire. Et. quant à la nécessité où nous sommes « de transposer le texte (des psaumes) sur le plan évangélique », Bremond, ibid., p. 398, de recourir au sens spirituel ou à d’autres industries pour adapter ces vieilles prières à des circonstances, à des situations bien différentes de celles qui en ont été l’occasion — cf. Duguet, op. cit., p. 218-239 ; Choix de discours extraits des Sermons de Neivman, III. De la condition des membres du royaume du Christ, 1. 1, p. 141166, trad. Saleilles, Paris, 1906 — elle ne prouve pas que la meilleure récitation d’une prière qui serait bien adaptée à la mentalité, à la condition, aux besoins permanents de la personne qui prie, ne consisterait pas précisément en ce que celle-ci entrerait totalement dans la pensée et dans les sentiments de celui qui l’a composée et s’y retrouverait complètement. Psalmis et hymnis cum oratis Deum, hoc versetur in corde, quod profertur in voce, prescrit saint Augustin dans sa Régula ad servos Dei, P. L., t. xxxii, col. 1379 ; Suarez, t. III, c. iv, n. 15, mentionne un certain nombre d’auteurs spirituels ou de théologiens, entre autres saint Bernard, Hugues de SaintVictor, Gerson, Médina, qui demandent que, dans la prière, on n’admette pas d’autres pieuses pensées que celles qui sont exprimées ou suggérées par les phrases qu’on prononce : in oratione vocali non licere admittere pias meditationes non pertinentes ad verba quæ proferuntur, neque in eis fundatas. Suarez, n. 22, n’est pas tout à fait de cet avis ; mais il déclare qu' « en règle générale, du moins pour les personnes qui ne sont pas accoutumées à la haute contemplation, il est préférable, pendant la prière, de penser aux choses suggérées par les mots. medilari aliquid pertinens ad sensum verborum, saltem myslicum, vel quod aliquo modo verba ipsa concernât, de manière que l’action intérieure et l’action extérieure, la pensée et la parole, ne forment plus qu’une seule chose ».

/II. LE SECO VRS Dl VIN NÉCESSAIRE À LA PRIÈRE. —

La grâce actuelle est-elle nécessaire pour prier, pour bien prier, pour prier sicut oportet ? Quand on se demande si, pour prier, nous avons besoin du secours divin, la question peut être entendue de deux manières : avons-nous besoin du secours divin pour avoir l’idée de recourir à Dieu dans nos besoins temporels ou spirituels et pour y recourir effectivement, pour adresser à Dieu notre supplication ? ou bien, avons-nous besoin de l’assistance divine pour bien prier, pour que notre prière possède toutes les qualités requises et pour que, en fin de compte, elle soit exaucée ?

Grâce excitante et prévenante.

C’est la grâce qui

nous pousse à prier, à recourir à Dieu pour en obtenir les secours, les grâces qui nous sont nécessaires pour