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PRIÈRE. LÉGITIMITÉ


Ibid., c. xxxvii, p. 165. Les deux monosyllabes Godai tin sont encore conseillés pour la prière, parce qu’ils résument « tout bien et tout mal » : « Ne t’étonne pas si j’indique ces mots de préférence à tous autres. Si j’en pouvais trouver de plus courts renfermant aussi complètement en eux tout bien et tout mal, ou si Dieu m’avait enseigné à en employer d’autres, je les aurais pris et aurais laissé ceux-là de côté, et je te conseille de faire de même. » Ibid., c. xxxix. p. 170-171. « Et ce petit mot pénètre mieux les oreilles de Dieu toutpuissant que ne le ferait un psautier tout entier marmotté sans attention par les lèvres seules… Pourquoi cette courte prière d’une seule syllabe perce-t-elle les cicux ? C’est sans doute parce qu’elle est dite dans toute l’intensité de l’âme… » Ibid., c. xxxvii-xxxvin, p. 166-167. Somme toute, cette prière monosyllabique n’est qu’une variété de l’oraison jaculatoire.


III. LÉGITIMITÉ ET CONVENANCE DE LA PRIÈRE. — I. LES difficultés et OBJECTIONS.

Toute prière suppose trois choses : 1. que Dieu existe ; 2. qu’il entend, d’une manière ou d’une autre, ce que nous lui disons : 3. qu’il n’est pas indifférent à ce que nous lui disons, qu’il en est au contraire agréablement « affecté », que notre prière lui fait plaisir, qu’il l’agrée, qu’il nous en tient compte, qu’à cause d’elle nous lui devenons agréables, qu’il nous en aime davantage, que nous entrons en sa familiarité : ipsa oratio quee ad Deum emittitur familiares ans Deo jacit, dit saint Thomas, Opusc., i, Compendium theologiæ ad fr. Reginaldum, part. II, c. n. En outre, la prière de demande suppose : 4. que Dieu peut nous accorder ce que nous lui demandons et 5. que notre prière peut l’amener, le déterminer à nous l’accorder : si nous savions que notre prière n’exerce aucune action sur le cœur de Dieu, qu’elle n’est pour rien dans ce qui nous arrive, que, priant ou ne priant pas, le résultat serait le même, de toute évidence nous ne prierions pas.

Or, tous ces présupposés sont-ils réalisés ? La philosophie, la théologie, donnent-elles raison au sens commun, autorisent-elles la prière ? Nous ne nous attarderons pas aux deux premières conditions ; toute saine philosophie admet l’existence de Dieu, son omniprésence, son omniscience, et ratifie sur ces deux points les intuitions du sens commun. Nombreux sont pourtant les philosophes qui les rejettent et qui, partant, rejettent ou, du moins, devraient rejeter, s’ils étaient conséquents avec eux-mêmes, toute prière. Cf. Fr. Heiler, La prière, trad. d’après la 5e éd. allemande, Paris, 1931, L’idéal de la prière et la critique de la prière dans la pensée philosophique, p. 221-244 ; F. Ménégoz, Le problème de la prière, Strasbourg, 1925, c. i, Le problème de la prière dans la théologie moderne ; c. ii, L’attaque, p. 10-61.

La troisième et la cinquième condition de la prière ne supposent-elles pas une conception anthropomorphique, « anthropopathique », de Dieu, que la philosophie et la théologie se doivent de rejeter ? « Toute prière naïve, écrit Heiler, ibid., p. 232, suppose une croyance à l’existence réelle et à la manière d’être anthropomorphique du Dieu que l’on invoque… La métaphysique théiste elle-même exclut, aussi bien que la métaphysique panthéiste, tout anthropomorphisme de la notion du divin ; c’est cette contradiction entre la représentation anthropopathique qui est à la base de la prière du simple fidèle et la notion philosophique de Dieu, qui explique le jugement sévère que beaucoup de philosophes expriment sur la prière. » Saint Thomas ne nie pas que la « prière naïve ». la prière qu’on trouve dan f l’Écriture, la prière de l’Église, soit anthropomorphique, au moins qu’elle en ait toutes les apparences, secundum id quod prima fade apparet, Cont. cent., t. III, c. xevi ; « si l’on entend (certains textes de l’Écri ture qui concernent la prière) secundum sunin superficiem. W s’ensuit d’abord que la volonté divine peut être modifiée, puis que quelque chose arrive à Dieu ex (empare, et enfin que certaines choses qui existent lemporalilT dans les créatures sont cause de quelque chose qui existe en Dieu : toutes choses manifestement Impossibles ». Les deux premières objections que rencontre saint Thomas, quand il se demande s’il convient de prier, sont tirées du caractère apparemment anthropomorphique de la prière : « Il ne convient pas, à ce qu’il semble, de prier Dieu ; car, si la prière nous est nécessaire, c’est pour notifier nos besoins à celui à qui nous l’adressons ; unis, convns il est dit en M itth., vi, 32 : « Votre Père sait bien que vous avez besoin de tout « cela. » La prière fléchit celui à qui on l’adresse et l’amène à faire ce qu’on lui denvinde. Mais Dieu est immuable et inflexible en ses desseins. Il nous est donc inutile de prier Dieu. » II’-IIe, q. lxxxiii, a. 2. Sur l’anthropomorphisme sous-jacent à la prière naïve « , voir Vermeersch, op. cit., p. 6 et 24-26.

Enfin, la quatrième condition de la prière, à savoir que Dieu peut nous accorder ce que nous lui demandons, suppose qu’en considération de notre prière Dieu va intervenir dans le cours des choses et le modifier, l’infléchir d ins le sens de notre demande. Or, « pour les penseurs philosophiques, en revanche, il est essentiel que les lois qui gouvernent le mande ne permattent pas une telle intervention, que ces lois soient représentées sous l’aspect d’une nécessité causale inéluctable, ou bien comme la réalisation téléologique d’un plan divin… Pour le philosophe, seul un entêtement puéril ou une naïveté intellectuelle peut vouloir mettre un frein à l’action du destin et tenter d’obliger un Dieu infini à interrompre le cours normal des lois de la nature et à modifier le plan éternellement conçu du monde. » Heiler, ibid., p. 234. Il n’arrivera que ce qui doit arriver, notre prière n’y fera rien. Saint Thomas a bien formulé cette objection, cette difficulté : « Les anciens, dit-il, ont commis, touchant la prière, trois sortes d’erreurs. Les uns ont soutenu que les affaires humaines ne dépendent point de la providence de Dieu : d’où l’inutilité de la prière et de tout culte religieux. .. Pour d’autres, tout, même les choses humaines, se produit suivant un cours nécessaire ; qu’on l’explique par l’immutabilité de la Providence, les influences astrales ou l’enchaînement des causes ; ils aboutissent à la même conséquence : prier ne sert de rien. D’autres enfin | et tel paraît bien être le sentiment de quiconque use de la prière pour obtenir quelque chose ] admettent bien que les choses humaines, régies par la providence de Dieu, ne se produisent pas fatalement ; mais ils disent que la divine Providence peut varier en ses dispositions et que les prières et autres pratiques cultuelles peuvent changer quelque chose à l’ordre par elle établi. » Ibid., a. 2, corp. ; cf. Cont. gent., L III, c. xcvi. Suarez, Tractatus de oratione, t. I, c. vi, se demande si l’on a le droit de conclure, comme fait saint Thomas, de la nécessité du cours des choses à l’inutilité de la prière ; nous n’entrerons pas dans la discussion de cette question.

Il reste une dernière objection : supposons qu’on ait résolu toutes les difficultés précédentes, qu’on ait établi que toutes les conditions exigées par la prière sont bien réalisées, on pourrait encore se demander s’il convient de prier, si la prière ne déshonore pas, ne rabaisse pas Dieu : « Il est plus libéral de donner à qui ne demande point qu’à celui qui demande ; Sénèque le dit : rien n’est plus chèrement acheté que ce qu’on paie de ses prières. Mais Dieu est la libéralité même. Il ne paraît donc pas qu’on le doive prier. » C’est le troisième videtur quod non que saint Thomas oppose à la convenance de la prière, ibid., a. 2 : cf. In IV dm Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 3.