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PRIÈRE IMJHUQUK ET PRIÈRE PRIVÉE


tgpie ? Nous pourrions répéter ici les questions que nous nous posions lorsqu’il s’agissait de savoir si la prière mentale est supérieure à la prière vocale : de quelle supériorité s’agit-il ? de quelle « valeur » de la prière ? religieuse ? satisfactoire 7 Impétratoire ? Et de quelle prière stéréotypée ? de la prière liturgique ? ou de telles ou telles des < plus belles prières » composées par les saints ? ou de ces formulaires étudiés par Bremond au c. vi de son t. x ?

En réalité, le seul avantage qu’on relève et qu’on puisse relever en faveur de la prière libre, c’est précisément qu’elle est libre, qu’elle ne nous astreint pas a exprimer à Dieu tel sentiment particulier, qu’elle permet un élancement de l’âme vers Dieu plus personnel, donc plus sincère ; qui ne sera pas feint, comme il le serait si. récitant une formule, nous n’étions pas à l’unisson des sentiments qu’elle exprime, et qui ne sera pas bridé, comme il le serait si, récitant une formule, notre âme se trouvait dans un état supérieur à celui qui se traduit dans la formule. Les désavantages des prières stéréotypées, quelles qu’elles soient, sont leur inadaptation inévitable à notre état d’âme habituel ou momentané, et ce qu’on pourrait appeler leur tyrannie, qui gêne la libre expansion du sentiment. Cf. Vermeersch, op. cit., p. 59. En un mot, les théologiens qui soutiennent la supériorité de la prière libre sur la prière stéréotypée se placent uniquement au point de vue utilitaire, au point de vue d’une certaine utilité de la prière, au point de vue de sa valeur comme moyen d’union à Dieu. Nous touchons ici à la question controversée : Liturgie ou contemplation ? Cf. Études carmélitaines, avril 1932, p. 177-215.

Les inconvénients, les désavantages de la prière fixée ne sont pas contestés, même par les apologistes de la prière liturgique. « Tout dans les psaumes, dans les solennités anciennes comme dans les modernes, n’est pas adapté uniformément aux besoins religieux de tous… » Prière liturgique et vie chrétienne, Louvain, 1932, p. 76 (Semaine liturgique de Namur, 12-16 juin 1932). Et cette inadaptation, fait remarquer Guardini, découle de l’essence même de la prière liturgique : « L’individu doit renoncer à suivre ses voies spirituelles propres… Il devra prier avec les autres, au lieu d’avoir l’initiative de sa prière… Et la conséquence pratique de ceci, c’est qu’il lui faudra s’associer à des exercices spirituels étrangers à ses besoins intérieurs du moment, besoins individuels toujours vivement et profondément ressentis… Il y a là une pierre d’achoppement particulièrement dure pour l’homme contemporain… » Op. cit., p. 144-146. Mais la meilleure critique des formulaires ne se trouve-t-elle pas dans cette théorie des moralistes, que nous reverrons, cf. col. 218 sq., d’après laquelle, lorsqu’on récite l’office divin, il n’est pas nécessaire de penser à ce qu’on dit ; il vaut même mieux, selon la plupart, n’y pas penser et se livrer, pendant ce temps, à l’oraison mentale sur n’importe quel sujet ? Les mots qu’on prononce ne sont plus ainsi qu’une musique qui occupe le corps tandis que l’esprit s’occupe de Dieu. La récitation du rosaire, si elle doit être accompagnée de la méditation des « mystères », ne peut échapper à cette nécessité.

II ne serait sans doute pas bien difficile de plaider en faveur de la thèse opposée et de montrer les grands avantages que la prière peut retirer de l’usage des formulaires et les inconvénients, les dangers auxquels est exposée la prière trop personnelle. Sans doute, la prière, l’élévation à Dieu de quelques âmes d’élite, à certains moments de leur vie religieuse où elles sont plus particulièrement visitées, inspirées par le Saint-Esprit, n’aura-t-elle que faire des formulaires, en serat elle même gênée, au point que la récitation de l’office divin lui-même leur sera à charge : mais ce sont là des cas exceptionnels. La prière de la grande majorité,

disons mieux la prière de l’universalité des chrétiens, sauf en certaines circonstances extraordinaires, a besoin d’être excitée et aussi surveillée. contrôlée par de bons formulaires. Ceux-ci renferment un sentiment religieux bien supérieur, comme qualité et intensité, à celui que nous possédons lorsque nous commençons notre prière : la chose est trop évidente pour qu’il soit nécessaire d’insister. Quand l’Esprit ne soulTIe pas, il faut chercher l’inspiration dans ces formules de prières (ou de « méditations >, s’il s’agit de l’oraison mentale), qu’il n’est pas téméraire de penser qu’il a suggérées lui-même à l’Eglise, aux saints et aux auteurs i spirituels » dont elles émanent. Cf. Bremond, Hist. litl…. t. x, c. vu et append. i ; en particulier p. 343-345. où l’on trouve des extraits d’un sermon de Newman sur ce sujet.

3. Prière publique et prière privée.

Selon Vermeersch, op. cit., p. 54, l’expression « prière publique s’emploierait en deux sens, un sens large et un sens strict. Au sens large, elle signifierait « toute prière collective dite dans un lieu destiné au culte public ou qui s’accomplit dans une cérémonie publique, par exemple dans une procession ; ainsi la récitation en commun des litanies, de l’office divin, même sans l’intervention d’un ministre sacré, est estimée prière publique si elle se fait dans une église, mais non si elle a lieu dans une chapelle de religieuses » ; on renvoie pour ce sujet à une réponse de la Sacrée Congrégation des Indulgences et Reliques du 18 décembre 1906. Au sens strict, la prière publique serait celle quæ a potestatc publica funditur vel imperatur nomine Ecclesiæ. Comme la formule n’est pas très claire, nous nous en tiendrons à la définition de saint Thomas. II » -lIse, q. lxxxiii, a. 12 : « la prière commune est celle que les ministres de l’Église offrent à Dieu au nom de tout le peuple fidèle » ; ou à celle de Suarez, op. cit., t. III, c. ii, n. 2 : la prière publique est celle quæ nomine publicn, et non tantum privato, id est, quæ fit a sacerdote nomine Ecclesiæ, seu quæ fit ab Ecclesia per minislros suos, ut laies sunt. La prière publique est donc celle qui se fait au nom de l’Église, par ses ministres députés à cet effet, qu’elle s’accomplisse d’ailleurs en public ou en particulier : le sous-diacre qui, dans sa chambre, récite le bréviaire pour s’acquitter de son obligation, le prêtre qui dit la messe dans une « cagna », même sans servant, prient au nom de l’Église, et non pas seulement en leur nom personnel ; leur prière est une prière publique : les religieuses de chœur qui récitent ou chantent en commun les heures canoniques, n’étant pas des « ministres » de l’Église, leur prière n’est pas une prière publique.

Il n’est peut-être pas très commode de fixer les limites de la prière publique ainsi entendue ; peut-on dire, par exemple, que tout office > liturgique » est une prière publique ? Mais alors que faut-il entendre par office liturgique ? Sera-ce tout office, toute cérémonie prévue, réglée par la liturgie : une « bénédiction » du saint sacrement donnée dans n’importe quelle chapelle ? D’autre part, toute prière publique est-elle nécessairement un office liturgique ? L’Église peut prescrire, en raison de certaines circonstances extraordinaires, guerre, tremblement de terre, etc., des « prières publiques » qu’on ne pourra guère dénommer liturgiques, par exemple la récitation du rosaire.

A côté des deux sens de l’expression « prière publique » signalés par le I’. Vcrmeersch, n’en pourrait-on pas ajouter un troisième ? Ce serait celui de prière commandée ou demandée parles pouvoirs publics, par l’autorité civile, soit à titre permanent, soit à titre exceptionnel : Te Drwn d’actions de grâces, messe du Saint-Esprit pour la rentrée des Chambres, des cours et tribunaux, etc. Suarez, enfin, ibid., n. 1, signale un quatrième sens, le sens vulgaire », de cette expression : c’est celui de prière dite dans un lieu public, quel