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PRIÈRE MENTALE ET PRIÈRE VOCALE


En second lieu, c’est une manière de rendre à Dieu son dû : l’homme employant à le servir tout ce qu’il tient de lui, son esprit, mais aussi son corps. Cela convient surtout à la prière sous son aspect de satisfaction. .. En troisième lieu, la prière vocale s’adjoint à la prière mentale par une sorte de débordement (redundantia ) de l’âme sur le corps, sous la véhémence du sentiment intérieur, selon cette parole du psalmiste : Mon cœur s’est réjoui et ma langue a exprimé mon exultation (Ps., xv, 9). » Le commentaire des Sentences, loc. cit., signale une quatrième utilité de la prière vocale : elle fixe l’attention et empoche la distraction, magis enim tenetur ad unum si verba etiam oranlis affectai confunguntur. Enfin, l’art. 1 de la q. xci de la IIMl 89, corp. et ad 2um, en indique une cinquième : la prière vocale édifie le prochain. Sauf la dernière, ces diverses utilités de la prière vocale sont bien mises en lumière par Landriot, loc. cit.

Après cela, il est facile de réfuter les raisons alléguées contre la légitimité de la prière vocale, du moins la première et la troisième, cf. q. lxxxiii, a. 12, ad 1 " » et ad 3 "" ; quant à la seconde, à savoir qu’elle peut distraire l’esprit et empêcher la dévotion, saint Thomas l’a concédé ; les Sentences, loc. cit., ad 3 "", 1e reconnaissaient déjà : le souci exagéré de bien prononcer les mots empêche l’élévation de l’esprit vers Dieu, comme cela arrive à ceux qui doivent dans la prière prononcer des mots difficiles, nimia cura in verbis proferendis, sicut Mi qui verba composita in oratione proferre niluntur ; tous ceux qui récitent le bréviaire en ont fait l’expériencel Qu’il nous soit permis de reproduire ici ce qu’écrivait Urbain VIII, au moment où il entreprenait la réforme du bréviaire romain : « Il est de toute convenance que la divine psalmodie de l’Épouse soit sans ride et sans tache. Elle ne doit rien offrir, autant que possible, qui puisse distraire ou choquer les esprits de ceux qui la chantent, tout attentifs qu’ils doivent être à Dieu et aux choses divines, comme cela se produirait si l’on y rencontrait, de-ci de-là, dans ses sentences ou dans ses paroles, des choses disposées avec moins d’art et d’harmonie que ne le demande un office voué à un si noble ministère. » Cité par Bremond, loc. cit., p. 36.

b) Supériorité de la prière mentale sur la prière vocale.

— Qu’est-ce à dire et de quoi s’agit-il ? De quelle supériorité parle-t-on ? Et quelle opposition met-on entre la prière mentale et la prière vocale quand on se pose cette question ? En quoi une prière peut-elle être supérieure à une autre prière ? Sera-ce parce que, la prière étant un acte de la vertu de religion, telle prière constituera un hommage plus parfait rendu à la souveraineté divine que telle autre prière ? Mais, à ce point de vue, il importe peu que cet hommage soit rendu à Dieu oralement ou mentalement ; on s’accorde même pour dire que « la prière vocale a une valeur religieuse plus grande que la prière qui n’est que mentale ». Mennessier, La religion, t. i, p. 274 (traduction de la Somme théologique de saint Thomas). Ce qui est vrai surtout de la prière « commune », comme l’appelle saint Thomas, de la prière « que les ministres de l’Église offrent à Dieu au nom de tout le peuple fidèle », comparée à l’oraison mentale, fût-ce à la contemplation la plus sublime. Cf. infra, col. 192 sq.

S’agirait-il de la valeur satisfactoire de la prière, valeur qu’elle tient, nous le verrons, de l’effort qu’elle nous coûte, des difficultés que nous y rencontrons ? A ce point de vue, il serait difficile de dire laquelle, de la prière mentale ou de la prière vocale, l’emporterait. Saint Thomas, In 7V' n > Sent, dist. XV, q. iv, a. 7, sol 1, ad 1 "", fait ressortir que l’une et l’autre ont une valeur satisfactoire, mais sans décider laquelle est la plus pénible. Suarez, op. cit., t. II, c. iv, n. 8, s’appuyant sur l’autorité de saint Bonaventure et sur l’expérience, affirme que l’oraison mentale « est ordi nairement plus difficile et plus pénible pour le corps, parce que, dans cet exercice mental, le corps magit revocatur a sensibus et quodammodo supra se elevatur. ot par conséquent ce repos extérieur, joint à une plus grande attention intérieure, est plus pénible pour le corps » Guilloré, cité par Bremond, Hist. lit ! …. t. x, p. 15, serait du même avis : i Voulez-vous aller jusqu’au secret de ceux qui font ces longues prières vocales ? Ce n’est point autre chose, sinon qu’ils veulent éviter la peine qu’il y a à prier en esprit, dont la manière est infiniment plus fatigante… » « La qtrière) vocale ne doit être que comme un délassement de l’oraison (mentale). » Ibid., p. 17. L’argument ne vaut pas, parce que Guilloré suppose que ceux qui se livrent ainsi à de longues prières vocales se contentent de « remuer les lèvres en donnant toute la liberté à leur imagination », p. 15 ; s’ils s’efforçaient de comprendre et de sentir ce qu’ils récitent de bouche, s’ils priaient véritablement, on ne peut guère douter que leur prière vocale serait « infiniment plus fatigante » qu’une oraison mentale de même durée. Vermeersch, op. cit., p. 60, partage encore l’avis de ses confrères sur ce caractère pénible, même pour le corps, de l’oraison mentale, et donc sur sa plus grande valeur satisfactoire.

Enfin, pour démontrer la supériorité de la prière ou oraison mentale sur la prière vocale, on s’efforce de prouver qu’elle est plus utile. Mais, ici encore, il faudrait distinguer. Veut-on dire qu’elle posséderait une valeur impétratoire, une efficacité supérieure ? On ne voit pas pour quelle raison cela serait. En réalité, tous les avantages que l’on découvre dans la prière mentale lui viennent non pas de sa qualité de prière mentale, mais de sa qualité de prière libre, personnelle, non stéréotypée. Mais cela est une tout autre question, sur laquelle nous reviendrons. Il faudrait tout de même s’entendre sur le sens des mots : la prière mentale n’est pas plus nécessairement une prière libre, personnelle, que la prière vocale une prière stéréotypée.

c) Quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes pour que la prière puisse être dite vocale ? — La question se pose à propos de la récitation « privée » du bréviaire, c’est-à-dire de celle qui se fait en particulier et non in choro ou avec une autre personne. Les théologiens et les canonistes sont à peu près unanimes à déclarer que cette récitation doit se faire vocalement et non pas seulement mentalement ; cf. Suarez, op. cit., t. IV, c. vii, n. 2, qui cite Navarre, Commentarius de oratione, horis canonicis, atque aliis divinis officiis, c. xx, n. 14, comme ayant dit qu’on pourrait soutenir en théorie (disputando) qu’il suffirait de dire mentalement ce qui, à la messe et dans les heures canoniques, doit être récité secrètement, bien que lui-même ne conseillât pas d’agir ainsi. Mais ils ne sont plus du tout d’accord quand il s’agit de savoir ce qu’il faut entendre par cette récitation vocale. Suarez, ibid., n. 5 et 6, connaît trois opinions à ce sujet : celle de Médina, appuyée sur l’autorité de saint Thomas, qui soutient que, pour être vocale, une prière doit pouvoir être entendue des assistants, au moins des plus proches ; l’opinion opposée, dont il n’indique pas les tenants, d’après laquelle il suffirait voeem formare labia nv.ivendo. bien qu’elle ne puisse être entendue de personne, pas même de celui qui la profère ; en lin une opinion moyenne, qui paraît être celle de Navarre et de Cajetan et qu’il adopte pour son propre compte, selon laquelle il serait nécessaire mais suffisant que l’on s’entendît soi-même. Si l’on s’en tient au sens obvie des mots, Suarez a raison : toute DOX doit pouvoir être entendue, vix potest (ormari vox qux ob ipso loquente audiri non possit.

Vermeersch, op. cit., p. 48-51, admet que, pour qu’il y ait prière vocale, il n’est pas nécessaire qu’on s’en-