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IMIOTIUS. LK PATRIARCHE, CONCLUSION


933, etc. Les basileis considèrent, en somme, la dignité patriarcale comme une fonction dont ils disposent souverainement. (On remarquera que, au xe siècle et pendant une partie du xie, l’Église romaine a été la victime de semblables errements.) A ces coups d’État, l’Église grecque s’est résignée sans trop de peine ; elle se rallie, en général, assez vite aux solutions imposées par les basileis. Pour rester dans la période étudiée, bon nombre de prélats grecs ont pris successivement part aux conciles contradictoires qui ont déposé Ignace, déposé Photius, reconnu Photius. Tout n’est pas faux dans les récriminations des intransigeants contre les stauropates. Pour un très grand nombre de prélats, le chef de l’Église, c’est le basileus. L’épisode photien met en vive lumière cet état de choses.

Il met en une lumière bien plus vive encore la défiance traditionnelle de Constantinople à l’égard de Rome et de ce droit de regard dont nous parlions tout à l’heure. C’est qu’aussi bien le concept que l’on se fait de l’Église est assez différent de celui qui s’est développé à Home. Depuis Justinien s’est affermie, en Orient, la formule de la pentarchie, voir l’art. Patriarcats, col. 2269 sq. Tous les potentats ecclésiastiques, même les plus romains, tel Ignace, tels les intransigeants du xe siècle, en restent à la théorie des cinq patriarcats qui tend à mettre sensiblement sur le même rang les titulaires des cinq grands sièges. Rome reste sans doute le premier siège, mais l’autorité qu’on lui reconnaît paraît assez minime. Ignace, quand il a besoin du pape, invoque cette autorité ; du jour où ses intérêts sont différents, il entre dans une voie qui le mènerait au schisme. Photius agit de même. Son premier geste, quand, en 858, il est nommé patriarche, est de s’adresser à Rome, de la même manière qu’il s’adresse d’ailleurs aux autres patriarcats. Rome le reçoit avec défiance ; il s’irrite, s’obstine, va à la révolte directe. Du jour où, pour des raisons diverses, l’hostilité de Rome a cessé, il se montre à son endroit respectueux et conciliant. En définitive, l’Église byzantine demeure, depuis des siècles, en défiance contre Rome.

L’épisode photien a renforcé cet état d’esprit et donné corps, si l’on peut dire, aux méfiances et aux mécontentements accumulés depuis des siècles. Au principe, Photius n’est sans doute pas plus antiromain que la grande masse de l’épiscopat grec. Mais, devant les refus de Nicolas I er, il se cabre et dirige contre le titulaire du premier siège une vigoureuse offensive. Finalement, ce n’est pas seulement au titulaire passager et provisoire qu’il s’attaque, c’est au siège lui-même. Nous avons noté, ci-dessus, col. 1575, qu’il ne fait guère, au synode de 867, la distinction entre la sedes et le sedens ; cette distinction, il ne la fait plus du tout dans le petit opuscule sur la primauté de Rome : TCpôç toùç Xéyovtciç wç -/)’Pcj ; j, 7) TCpôJToç Opôvoç, ci-dessus, col. 1544. C’est bien contre les droits traditionnels du Siège romain, contre les arguments historiques qui les fondent que sa critique est dirigée.

Et sa critique ne se met pas seulement en défense contre « les prétentions » du Siège apostolique. Elle attaque et, comme l’a fait justement remarquer le P. Jugie, ceci constitue, dans l’histoire des relations entre l’Orient et l’Occident, un fait nouveau. Voir Thenlogia dogmatica christianorum orientalium, t. i, p. 102 sq. Jusque-là, quand les relations se sont tendues entre l’Ancienne et la Nouvelle Rome, c’est parce que l’Église apostolique reprochait à Constantinople des innovations religieuses. A l’époque du schisme acacien, elle accuse Byzance de complaisance envers le monophysisme ; un siècle plus tard, c’est de monothélisme qu’elle la suspecte, en attendant qu’elle fasse valoir contre elle sa doctrine impie sur les saintes images. Le Siège romain apparaît en tout ceci comme le « mainteneur » de la tradition ecclésiastique, comme le conservateur de

l’orthodoxie. Hardiment, Photius renverse les rôles ; par sa bouche, c’est l’Église byzantine qui reproche à l’Occident ses « innovations hérétiques ». A la vérité, le concile Quinisexte était entré dans cette voie pour ce qui concernait la discipline ; et c’est à lui, visiblement, que Photius emprunte ses critiques de divers usages latins. Son encyclique y insiste avec lourdeur. Mais, chose beaucoup plus grave, le patriarche met l’accent sur un grief doctrinal, sur la fameuse addition au symbole qui témoigne, à son avis, ou de l’ignorance ou de la perversion dogmatique des Occidentaux. Comment l’Église de Constantinople, fière de son orthodoxie (si péniblement retrouvée en 843), pourrait-elle s’incliner devant l’Église d’Occident qui a finalement corrompu l’antique symbole par une addition dont le caractère hérétique saute aux yeux ? Plus tard, quand il écrira, durant les loisirs de son second exil, la Mystagogie du Saint-Esprit. Photius, réconcilié avec Rome, s’efforcera de montrer que « l’hérésie > de la double procession n’est pas le fait du Siège apostolique, mais de théologiens sans mandat et de liturgistes sans compétence. Dans l’encyclique de 867, au contraire, il attribue bel et bien aux missionnaires, officiellement envoyés par Rome, cette responsabilité. Le Filioque apparaît comme l’erreur romaine, qui tend à pervertir la foi orthodoxe.

C’est, pensons-nous, ce qu’il y a de plus grave dans l’épisode photien, encore que les contemporains n’aient peut-être pas perçu (à l’exception de Nicolas I er) la signification de l’événement. L’Église grecque (car Constantinople tendait de plus en plus à se considérer comme le représentant de tout l’hellénisme) devenait l’Église « orthodoxe », avec le sens contentieux et disputeur que cette épithète a prise. Tout cela ne paraîtra pas immédiatement. Il ne nous semble pas du tout certain que Photius ait été, aussitôt après sa mort, canonisé par l’Église grecque et mis dans le Synodicon du dimanche de l’Orthodoxie sur le même pied que les grands défenseurs de la foi. Ceci ne viendra qu’un peu plus tard, comme aussi l’inscription du patriarche au Synaxaire.

En attendant, l’Église romaine et tout l’Occident vont s’enliser, pour de longues années, dans une effroyable barbarie, alors que Byzance, au contraire, va retrouver sous la dynastie macédonienne des jours plus glorieux. Mais deux siècles plus tard quand, une politique suivie s’étant installée à Rome, les rapports devront nécessairement se rétablir entre les deux Églises, on s’apercevra que le ferment déposé par Photius au sein de la chrétienté byzantine n’a pas laissé d’opérer. Le nom du patriarche du ixe siècle est à peine prononcé dans le conflit du xie ; mais c’est bien son esprit qui explique les démarches de Cérulaire. Et quand, du xme au xve siècle, des tentatives seront faites pour rétablir entre les deux moitiés de la chrétienté une union si nécessaire, c’est le nom de Photius qui servira de cri de ralliement à tous ceux qui sont hostiles à la réunion des Églises ; c’est dans ses ouvrages, dans les actes de ses conciles que l’on ira chercher les arguments qui doivent mettre en échec toutes les tentatives d’accommodement.

Et donc, quelles qu’aient été les intentions de Photius (et, pour notre part, il ne nous vient pas à la pensée d’en faire le monstre d’ambition et d’orgueil que dépeignent certains apologistes catholiques), quelques circonstances atténuantes qu’il convienne de lui accorder, l’histoire impartiale ne peut que constater et regretter les conséquences néfastes des événements dont il a été le héros et, partiellement, l’inspirateur.

X.-B. — Les auteurs appartenant à l’Église « orthodoxe » sont notés d’un astérisque.

I. Textes.

Dans le corps de l’article, on a donné, pour chacune des œuvres de Photius, les indications relatives aux éditions, et même aux travaux essentiels.