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P R É D E S T (NATION. CONCLUSIO N G É N É R A L E


l’opère en elle sans l’affaiblir ni la détruire ; mais au contraire en l’élevant et la fortifiant et en lui donnant le bon usage d’elle-même, qui est de tous les biens le plus désirable…

Ce n’est donc pas à celui qui veut, ni à celui qui court, qu’il faut attribuer le salut, niais à Dieu qui exerce sa miséricorde, c’est-à-dire que ni leur course, ni leur volonté ne sont la première cause, et encore moins la seule cause de leur salut, mais la grâce qui les prévient, qui les accompagne, et qui les fortifie jusqu’à la fin, laquelle néanmoins n’agit’pas seule : car il faut lui être fidèle ; et pour cet effet elle nous donne de coopérer avec elle, afin de pouvoir dire avec saint Paul : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. » 1 Cor., xv, 10.

Dieu est l’auteur de tout le bien que nous faisons ; c’est lui qui l’accomplit, comme c’est lui qui le commence. Son Saint-Ksprit forme en nos cœurs les prières qu’il veut exaucer. Il a prévu et prédestiné tout cela : la prédestination n’est autre chose. Il faut croire avec tout cela que nul ne périt, nul n’est réprouvé, nul n’est délaissé de Dieu ni de son secours, que par sa "faute. Si le raisonnement humain trouve ici de la difficulté et ne peut pas concilier toutes les parties de cette sainte et inviolable doctrine, la foi ne doit pas laisser de tout concilier, en attendant que Dieu nous fasse tout voir dans la source.

Toute la doctrine de la prédestination et de la grâce se réduit en abrégé à ces trois mots du prophète : « Ta perte vient de toi, 6 Israël ! ton secours et ta délivrance est en moi seul. » Osée, xiii, 9. Il est ainsi ; et si l’on n’entend pas comment tout cela s’accorde, il nous suffit que Dieu le sache, et il faut le croire humblement… Le secret de Dieu est pour lui seul. Œuvres, t. xi, Paris, 1846, p. 133 sq.

Ici l’âme trouve la paix non pas en descendant par le raisonnement au-dessous de la foi, mais en aspirant au contraire à la contemplation de la vie intime de Dieu, contemplation qui, au-dessus du raisonnement humain, procède de la foi éclairée par les dons du Saint-Esprit.

Cette paix se confirme si l’âme se confie et s’abandonne à Dieu, non pas à la manière des quiétistes, mais en faisant au jour le jour son possible pour accomplir la volonté de Dieu signifiée par les préceptes, l’esprit des conseils, les événements, et en s’abandonnant poulie reste à la volonté divine de bon plaisir, car nous sommes sûrs d’avance que cette volonté ne veut et ne permet rien que pour la manifestation de la bonté divine, pour la gloire du Christ rédempteur et pour le bien spirituel et éternel de ceux qui aiment Dieu et persévèrent dans cet amour. Voir sur ce point saint François de Sales, L’amour de Dieu, t. VIII, c. v, et I. IX, c. i à viii, et Entretien IIe.

A une autre personne qui lui écrivait : « Les raisonnements que j’ai faits malgré moi sur la prédestination ont produit un très grand trouble dans mon esprit… », Bossuet répondait encore :

Ces pensées, quand elles viennent dans l’esprit, et qu’on ne fait que de vains efforts pour les dissiper, doivent se terminer à un abandon total de soi-même à Dieu, assuré que notre salut est infiniment mieux entre ses mains qu’entre les nôtres ; et c’est là seulement qu’on trouve la paix. C’est là que doit aboutir toute la doctrine de la prédestination et ce que doit produire le secret du souverain Maître qu’il faut adorer et non pas prétendre sonder. II faut se perdre dans cette hauteur et dans cette profondeur impénétrable de la sagesse de Dieu et se jeter comme à corps perdu dans son immense bonté, en attendant tout de lui, sans néanmoins se décharger du soin qu’il nous demande pour notre salut… Ibid., p. 444.

C’est là à proprement parler, au-dessus des raisonnements de la théologie, la contemplation chrétienne, qui, dans l’obscurité de la foi, pénètre sous la lettre de l’Évangile l’esprit des mystères et les goûte. Elle s’élève non seulement très au-dessus des erreurs contraires du semi-pélagianisme et duprédestinatianisme, mais, au-dessus du conflit des systèmes théologiques, elle trouve asile dans l’immuable, dans l’esprit même de la parole de Dieu. C’est ici surtout qu’on comprend

ce qu’un docteur de l’Église, saint Jean de la Croix, a écrit, dans la Montée du Curmel, t. II, c. xxvii, pour montrer que, si l’âme fait trop de cas de ce qui lui semble clair, ce seul fait la repousse loin de l’abîme de la foi :

L’entendement doit ici se tenir dans l’ignorance, en avançant par l’amour dans la foi obscure, et non |>.ir la multiplicité des raisonnements… Il faut bien m ? comprendre. L’Esprit-Saint éclaire l’intelligenc-j recueillie dans la mesure de ce recueillement. Or, le recueillement le plus parfait est celui qui a lieu dans la foi. En effet, la charité infuse de Dieu est en proportion de la pureté de l’âme dans une foi parfaite : plus une telle charité est intense, plus le Saint-Esprit l’éclairé et lui communique ses dons. Cette charité est donc en réalité la cause et le moyen de cette communication. Il n’est pas douteux que l’intelligence, dans l’élucidation des vérités, apporte à l’âme quelque lumière, niais celle de la foi est incomparablement supérieure. L’intelligence ne peut juger de sa qualité comme elle distingue l’or du fer, ni de la quantité, car c’est une goutte d’eau comparée à l’océan. Par l’intelligence, on peut être instruit au sujet d’une, de deux ou de trois vérités, etc. ; par la foi, c’est l’ensemble de la sagesse divine, c’est le Fils mêm-3 de Dieu qui est communiqué à l’âme.

Le saint ajoute :

Si l’âme s’attache trop à son action propre, elle fait obstacle aux effets divins ; si elle s’occupe trop de choses claires pour l’esprit, elle s’interdit l’accès à l’abîme de la foi, où Dieu dans le secret instruit surnaturellement l’âme, l’enrichit de ses vertus et de ses dons.

En d’autres termes, la grâce par un instinct secret nous tranquillise sur notre salut et sur l’intime conciliation en Dieu de l’infinie justice, de l’infinie miséricorde et de la souveraine liberté. La grâce, par cet instinct secret, nous tranquillise ainsi parce qu’elle est elle-même une participation réelle et formelle de la nature divine, de la vie intime de Dieu, de la Déité elle-même, en laquelle s’identifient, sans distinction aucune, toutes les perfections divines.

Si nous nous arrêtons trop à nos concepts analogiques des attributs divins, nous mettons obstacle à la contemplation des mystères révélés. Du fait qu’ils sont distincts les uns des autres, ces concepts, comme de petits.carrés de mosaïque qui reproduiraient une ligure humaine, durcissent la physionomie spirituelle de Dieu. Il semble qu’en lui la sagesse, l’absolue liberté, la miséricorde et la justice soient d’une certaine façon distinctes, et alors le bon plaisir souverainement libre paraît arbitraire, et non pas tout pénétré de sagesse, la miséricorde semble trop restreinte et la justice trop raide. Mais, par la foi qu’éclairent les dons d’intelligence et de sagesse, nous recevons, au-dessus de la lettre de l’Évangile, l’esprit même de la parole de Dieu et nous pressentons sans la voir l’identification de toutes les perfections divines dans la Déité, supérieure à l’être, à l’un, au vrai, à l’intelligence et l’amour. La Déité est supérieure à toutes les perfections naturellement participables, qu’elle contient formellement et à l’état pur dans son éminence ; elle-même n’est pas naturellement participable, ni par l’ange ni par l’homme. Seule la grâce, qui est essentiellement surnaturelle, nous permet de participer à la Déité, à la vie intime de Dieu, en tant qu’elle est proprement divine ; c’est ainsi que la grâce nous fait mystérieusement atteindre, dans l’obscurité de la foi, le sommet où tous les attributs divins s’identifient ; la physionomie spirituelle de Dieu n’est plus durcie ; on ne la voit pas, mais on la pressent, et cet instinct secret, dans l’abandon surnaturel, donne la paix.

La bibliographie complète relative à la prédestination serait immense, et une bibliographie trop restreinte sans véritable utilité. Nous préférons renvoyer aux ouvrages que nous avons cités au cours des différentes parties historique et théorique de cet article.

R. Garrigou-Lagrange.