Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/785

Cette page n’a pas encore été corrigée
2997
2998
PRÉDESTINATION. LE POINT CULMINANT DU MYSTÈRE


part, elle dit que tous ne sont pas prédestinés, mais que « ceux que Uieu prédestine, il les appelle…, les justifie et… les glorifie ». Rom., viii, 29 sq. Il est mime dit dans l’épître aux Romains, ’ix, 18 : Cujus vull miseretur Deus, el quem vull indurat. Les prédestinés seront donc infailliblement sauvés, les autres non. U’où la difficulté : comment la prédestination, qui est infailliblement efficace, peut-elle se concilier avec la volonté salvifique universelle, qui reste inefficace à l’égard de beaucoup ?

Est-ce l’effort humain qui rend efficace le secours de Dieu, ou au contraire est-ce l’efficacité intrinsèque du secours de Dieu qui suscite l’effort humain ? Et, si la grâce est de soi efficace, d’où vient que Dieu l’accorde aux élus par miséricorde et la refuse aux autres par justice ? On voit que ce mystère se ramène à celui de l’intime conciliation de l’infinie miséricorde et de l’infinie justice et à celui de la libre manifestation de ces perfections divines.

Il y a dans l’ordre philosophique une difficulté du même genre : comment l’existence du mal, surtout du mal moral, peut-elle se concilier avec l’infinie bonté de Dieu et sa toute-puissance ?

2. Une seconde difficulté de ce problème concerne non plus les deux groupes d’hommes, les élus et ceux qui ne le sont pas, mais les personnes individuelles : pourquoi Dieu a-t-il mis tel homme au nombre des élus et non pas tel autre ? Pourquoi a-t-il choisi Pierre plutôt que Judas et non inversement ? Il semble injuste de distribuer si inégalement de tels dons à des hommes égaux par nature et par le péché originel.

C’est la difficulté formulée par saint Paul, Rom., ix, 14-16 : Quid ergo dicemus ? Numquid iniquilas apud Deum ? Absit. Moysi enim dicit : Miserebor cujus misereor, et misericordiam præslabo cujus misereor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserenlis est Dei. Saint Paul répond ainsi à la difficulté en affirmant le principe de prédilection, ou la gratuité de la grâce, qui ne nous est pas due. Il dit plus loin, ibid., xi, 33 : alliludo divitiarum sapientise et scienliæ Dei : quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, el investigabiles vise ejus ! C’est le mystère qu’exprime Augustin en disant : Quare hune Irahat Deus et illum non Irahat noli velle dijudicare, si non vis errare.

Saint Thomas a fort bien noté ces deux grandes difficultés du mystère de la prédestination, l’une générale, l’autre particulière, cf. I a, q. xxiii, a. 5, ad 3um.

Ex ipsa bonitate divina ratio sumi potest prædestinationis aliquorum et reprofoationis aliorum… Voluit Deus in hominibus quantum ad aliquos, quos prédestinât, suam îepræsentare bonitatem per modum misericordiæ parcendo, et quantum ad aliquos, quos reprobat, per modum justitiae puniendo… Sed quare hos elegit in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem… Neque tamen propter hoc est iniquitas apud Deum si insequalia non inæqualibus præparat… In lus enim quæ ex gratia dantur, potest aliquis pro libito suo dare cui vult plus vel minus, dummodo nihil subtrahat debitum, absque præjudicio justitiae.

La réponse de saint Paul, de saint Augustin, de saint Thomas, écarte la contradiction ; mais, sous ses deux aspects, ce mystère reste inscrutable, et cela à deux titres : à raison de sa surnaturalité essentielle, et à raison de l’intervention de la souveraine liberté. Ce mystère est en effet surnaturel non seulement par le mode de sa production, comme le miracle naturellement connaissable, mais par son essence même : il appartient à l’ordre de la vie intime de Dieu, comme celui de la Trinité, et dépasse ainsi les forces naturelles de toute intelligence humaine ou angélique, de toute intelligence créée et créable. De plus, en ce mystère intervient le bon plaisir souverainement libre de Dieu, le divinum beneplacilum dont parle saint Paul. Or, ce

bon plaisir, qui n’est nullement un caprice, car il est tout pénétré de sagesse et de sainteté, reste pour nous, comme tout ce qui touche à la souveraine liberté, profondément mystérieux, et c’est par lui que Dieu accorde misérieordieusement sa grâce à l’un des deux larrons crucifiés à côté du Sauveur, tandis que par justice il permet une dernière résistance chez l’autre et le laisse dans son péché.

On voit donc qu’interviennent dans ce mystère l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté qui dépassent absolument les forces naturelles de toute intelligence créée et créable.

Saint Thomas a bien noté, IIMI*, q. clx.xi, a. 3, l’obscurité qui provient soit de la surnaturalité essentielle de l’objet, soit de sa contingence ou de son indétermination. Il y a, dit-il, des choses qui sont loin de notre connaissance, procul a cognilione noslra, soit dans l’espace, soit à cause de leur élévation surnaturelle, comme le mystère de la Trinité, souverainement déterminé et connaissable en soi, mais par pour nous. Et puis il y a des choses qui, n’étant pas par elles-mêmes déterminées, ne sont pas connaissables en elles-mêmes, comme les futurs contingents, dont la vérité ne saurait être déterminée et connue que par un décret souverainement libre de Dieu.

Etant donnée la difficulté du problème, ou mieux la grande obscurité du mystère, du dogme qui nous occupe, le théologien, pour trouver la méthode à suivre ici, doit se rappeler ce que dit saint Thomas, In Boetium de Trinilale, q. ii, a. 3 : In sacra doclrina possumus uti philosophia ad resistendum his quæ contra fidem dicuntur, sive ostendendo ea esse falsa, sive oslendendo ea non esse necessaria. La théologie écarte ainsi l’évidente contradiction, mais elle n’a pas à prouver philosophiquement la possibilité intrinsèque des mystères ; la possibilité intrinsèque des mystères de la Trinité, de l’incarnation, de la prédestination reste ici-bas obscure pour nous, comme leur existence. Cf. concile du Vatican, Denzinger, n. 1795 et 1796.

On voit ainsi toute la difficulté du problème et par suite combien il est facile ici de se tromper, si l’on ne suit pas très fidèlement l’enseignement de l’Écriture, des conciles et des grands docteurs de l’Église. II est facile d’incliner vers l’une ou l’autre des hérésies contraires, par exemple en parlant de la volonté salvifique universelle d’une manière qui se rapproche du semipélagianisme, lequel nie le mystère et le dogme de la prédestination, ou inversement en parlant de la prédestination d’une manière et avec un accent qui se rapprochent du prédestinatianisme, qui nie la volonté salvifique universelle. Il suffit d’une légère exagération par quelque adverbe pour incliner vers l’une ou l’autre des hérésies opposées, tout comme il suffit de modifier une seule note d’une symphonie de Beethoven pour en détruire l’harmonie.

Au milieu de ces difficultés, comment le théologien doit-il procéder ?

La méthode à suivre.

Le théologien doit ici se

rappeler ce que dit le concile du Vatican (Denzinger, ri. 1796) : Ratio quidem, fide illuslrata, cum sedulo, pic el sobrie quærit, aliquam Deo dante mysleriorum intelligentiam eamque frucluosissimam assequitur lum ex eorum, quæ naturaliter cognoscil, analogia, lume mijsteriorum ipsorum nexii inter se et cum fine hominis ultimo ; nunquam tamen idonea redditur ad ea perspicienda instar verilalum, quæ proprium ipsius objectum consliluunt.

Le théologien doit aussi se rappeler que comme Dieu ne permet le mal que pour un plus grand, bien, il ne permet les hérésies opposées entre elles que pour mettre par contraste plus en relief le sommet de la vérité et son prix. Il faut donc tirer profit de l’opposition de ces hérésies, mais sans jamais diminuer Pelé-