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PRÉDESTINATION. LE THOMISME RÉCENT


blement les obstacles au bon consentement. Voir aussi V. Carro, O. P., De Solo à Bafiez, dans Ciencia thomista, 1928, p. 115-178 ; Fr. Stegmilller, Fr. de Vitoria y la doctrina de la gracia en la escuela Salmantina, Barcelone, 1934, p. 227-244 (textes inédits).’A. Le principe de prédilection. — Tous, même Gonzalez de Albeda, Massoulié et le P. Guillermin, détendent par suite et très fermement le principe de prédilection : « Nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aime’et plus aidé par Dieu. » Tous admettent l’universalité absolue de ce principe tant pour l’état d’innocence que pour l’état actuel, qu’il s’agisse d’actes faciles ou d’actes difficiles, d’acte initial ou d’acte final, du commencement de l’acte ou de sa continuation. Nous ne pouvons nous étendre ici sur ce point que nous avons longuement développé ailleurs. Cf. La grâce infailliblement efficace par elle-même et les actes salutaires faciles, dans Revue thomiste, nov.-déc. 1925 et mars-avril 1926.

4. La prédestination.

A la lumière de ces principes, les thomistes qui ont écrit après le concile de Trente expliquent les articles de saint Thomas sur la prédestination, I a, q. xxiii. Ils défendent l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas, comme nous l’avons vu dans les œuvres de saint R. Bellarmin, mais en insistant plus que lui sur les paroles de saint Paul : Deus est qui operatur in vobis velle et per/ïcere. Phil., ii, 13 ; Quis enim te discernil ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., iv, 7. Ils considèrent ainsi la doctrine de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire comme directement fondée sur l’Écriture.

Dans l’explication de cette doctrine, ils s’entendent tous pour admettre que la prédestination à la gloire est antérieure à la prévision des mérites, comme le vouloir de la fin est antérieur au choix des moyens ; mais que, dans l’ordre d’exécution, Dieu donne la gloire comme récompense des mérites, en quoi ils combattent les protestants et les jansénistes. Deus electis suis gratis vu.lt dure gloriam, sed non vult eam gratis dare. Ils tiennent tous aussi que la réprobation négative, par laquelle Dieu veut permettre le péché qui prive de la gloire, est antérieure à la prévision des démérites (le péché originel, ajoutent plusieurs, ne saurait non plus l’expliquer en ceux auxquels ce péché est remis) ; la réprobation positive, qui inflige la peine de la damnation, est au contraire postérieure à la prévision du péché, que la peine suppose.

Les thomistes ordonnent donc généralement ainsi les décrets divins : a) Dieu veut d’une volonté antécédente sauver tous les hommes, même après le péché originel, et il leur prépare des grâces vraiment suffisantes pour observer les commandements, car il ne commande jamais l’impossible. Cf. saint Thomas, I a, q. xix, a. 6, ad lum. — b) Dieu aime spécialement et choisit un certain nombre d’anges et d’hommes, qu’il veut efficacement sauver. I », q. xxiii, a. 4. La prédestination à la gloire précède ainsi, dans l’ordre d’intention, la prévision des mérites. Ibid., a. 5. — c) Dieu prépare aux élus des grâces intrinsèquement et infailliblement efficaces, par lesquelles, infailliblement quoique librement, ils mériteront la vie éternelle et y parviendront. — d) Dieu, prévoyant dans ses décrets que ses élus persévéreront jusqu’à la fin, décide dans l’ordre d’exécution préconçue de leur accorder la gloire comme récompense de leurs mérites. — e) Mais comme il prévoit aussi dans ses décrets permissifs que d’autres achèveront leur temps d’épreuve en état de péché mortel, il les réprouve positivement à cause de leurs péchés. — Cet ordre des décrets est fondé sur ces principes, admis non seulement pas tous les thomistes, mais par Scot, par Bellarmin et Suarez, que le sage veut la fin avant les moyens voulus pour la fin, et que

si la fin est première dans l’ordre d’intention elle est dernière dans l’ordre d’exécution.

Point où les thomistes diffèrent.

Sur ces thèses

principales les thomistes s’accordent, ils ne diffèrent guère entre eux que sur la notion de réprobation négative.

Alvarez, les carmes de Salamanque, Jean de Saint-Thomas, Gonet et Contenson ont admis que la réprobation négative tant des anges que des hommes, antérieure à la prévision des démérites, consiste dans l’exclusion positive de la gloire, en ce sens que Dieu leur aurait refusé la gloire comme un bienfait qui ne leur était pas dû ; puis il aurait permis leurs péchés et décidé enfin de leur infliger à cause de ces péchés la peine de la damnation, ce qui est la réprobation positive.

Il y a là encore, contre les protestants, une certaine diiïérenee entre la réprobation positive, qui est une peine, et la réprobation négative, qui ne l’est pas, mais seulement le refus d’un bienfait gratuit.

Cependant beaucoup de thomistes, comme Goudin, Graveson, Billuart, et presque tous aujourd’hui, ont rejeté cette manière de voir pour trois raisons principales : 1. parce qu’elle paraît trop dure et difficilement conciliable avec la volonté divine antécédente du salut de tous les hommes ; — 2. parce qu’elle pose un parallélisme excessif entre l’ordre du bien et celui du mal : Dieu veut aux élus la gloire d’abord comme un bienfait gratuit, puis, dans l’ordre d’exécution préconçue, comme une récompense de leurs mérites ; mais il ne peut vouloir exclure les autres de la gloire, avant la prévision de leurs démérites, car cette exclusion ne saurait être en soi un bien et elle ne peut être voulue par Dieu que comme une juste peine après la prévision des démérites ; — 3. cette théorie de Vexclusio positiva a gloria tanquam a bénéficia indebito ne se trouve pas dans les œuvres de saint Thomas, ni chez ses premiers commentateurs Capréolus, Cajetan, Silvestre de Ferrare. Saint Thomas a écrit, I a, q. xxiii, a. 3 : Pertinel ad divinam providentiam ut permitlat aliquos ab isto fine ( gloriæ) defteere, et hoc dicitur reprobare. A la fin du corps du même article il dit : Reprobatio incluait volunl’atem permitlendi aliquem cadere in culpam (réprobation négative) et inferendi damnationis pienam pro culpa (réprobation positive).

Aussi ces derniers thomistes et presque tous aujourd’hui font consister la réprobation négative dans la volonté divine de permettre le péché, qui mérite l’exclusion de la gloire. Dieu n’est pas tenu en effet de conduire efficacement tous les anges et tous les hommes à la gloire et d’empêcher qu’une créature de soi défectible ne défaille quelquefois. Il peut permettre ce mal, dont il n’est nullement cause, et il le permet en vue d’un bien supérieur, comme la manifestation de son infinie justice.

La lumière et les obscurités du thomisme.

La

doctrine thomiste de la prédestination se déduit tout entière du principe de prédilection : « Comme l’amour de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » I a, ’q. xx, a. 3. Ce principe apparaît dans l’ordre philosophique comme un corollaire évident des principes de causalité et de la causalité universelle de Dieu, auteur de tout bien. Ce même principe, dans l’ordre de la grâce, est révélé sous des formes diverses dans l’Ancien Testament : Miserebor cui voluero, et clemens ero in quem mihi plæuerit (Ex., xxxiii, 19), et dans le Nouveau : Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., iv, 7.

Par là le thomisme reste parfaitement fidèle à l’interprétation des textes de saint Paul donnée par saint Augustin. C’est le côté lumineux de cette doctrine, qui sauvegarde pleinement la vérité et l’univer-