Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/776

Cette page n’a pas encore été corrigée

2979

    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. LE CONGRUISME DE SORBONNE

JUKI)

Thomas), a montré que de deux propositions contradictoires, singulières, relatives à un futur contingent, aucune n’est déterminément vraie ou fausse. S’il en était autrement, remarque Aristote. c’est le déterminisme ou le fatalisme qui serait la vérité, et notre choix ne serait pas libre. Les stoïciens, comme le rapporte Cîcéron, De divin., I. i.v, entendirent précisément prouver le déterminisme par cet argument : de deux propositions contradictoires, l’une est nécessairement vraie ; donc entre ces deux propositions : a sera, a ne sera pas, la nécessité de l’une, au moment où je parle, exclut la possibilité de l’autre : ex omni œternitate fluens veritas sempiterna. Il suivrait de là que la création elle-même n’est plus libre, que la volonté divine serait soumise au fatum logique des stoïciens.

2° Les difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez. — Dans cette théorie, le principe de prédilection est certes beaucoup mieux sauvegardé que dans le molinisme : sur la question de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, elle suit fidèlement l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas.

Mais, aux yeux des thomistes, cette théorie limite encore la valeur universelle du principe de prédilection et le frappe de relativité, du fait qu’elle conserve la pièce maîtresse du molinisme : la science moyenne ou la négation de l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce. Il reste donc, selon cette conception, que l’effort humain rend la grâce efficace, au lieu d’être l’effet de son efficacité, et, de deux hommes ou de deux anges également aidés par Dieu, il peut arriver que l’un devienne meilleur que l’autre, meilleur sans avoir été plus aidé, sans avoir plus reçu. Sans doute ce congruisme dit bien que la grâce congrue est au point de vue moral un plus grand bienfait que l’autre, mais il n’en reste pas moins qu’elle n’est efficace de fait que par le consentement humain qui la suit, selon les prévisions de la science moyenne. Et alors reparaissent ici toutes les difficultés de la science moyenne elle-même, qui paraît mettre une dépendance dans la prescience divine à l’égard du créé, une passivité dans l’Acte pur, et conduire de notre côté au déterminisme des circonstances. Cf. N. de ! Prado, O. P., De gratia et libero arbitrio, t. iii, 1011, p. 362-368.

On ne saurait dire non plus qu’antérieurement à tout décret Dieu prévoit tel futurible, par exemple la fidélité de Pierre, en tant que ce futurible lui est présent de toute éternité, car ce n’est pas indépendamment d’un décret de Dieu que ce futurible, plutôt que le futurible contraire, lui est présent de toute éternité ; autrement il lui serait présent comme une vérité nécessaire, et l’on revient ainsi au déterminisme.

Pour ce qui touche plus directement à la prédestination, les thomistes notent généralement : la grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, n’est pas un moyen infaillible de conduire les élus à la gloire, comme le demanderait la définition augustinienne de la prédestination : præscientia et prieparalio beneficiorum Dei, quibus cerlissime liberantur quicumque liberantur. La grâce congrue, étant infailliblement efficace, non pas parce que Dieu le veut, mais parce que l’homme le veut, ne paraît pas conserver tout le sens des paroles de l’Écriture citées plus haut, col. 2976. La grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, ne paraît pas non plus conserver tout le sens de ces paroles de saint Augustin : Deus de ipsis homiiuim voluntatibus, quod vult, cum vull, facil. Habens sine dubio humanorum cordium quo place ! inclinandorum omhipotentissimam voluntatem… Deus n.agis habet in potestate sua voluntates hominum, quam ipsi suas (De corr. et grat., Xiv, -15) ; gratia, quu> a nullo dura corde respuitur, quia

ad tollendam cordis duritiam primitui datur (De prsedest. sanct., viii, 13).

Sans doute saint Augustin, Ad Simplicianam, I, q. n. n. 13, a appelé congrua la grâce efficace ; niais sis œuvres postérieures que nous venons de citer mollirent que dans sa pensée, du moins dans sa pensée définitive, il s’n^il dune congruité non extrinsèque, mais intrinsèque, qui est celle de la grâce infailliblement efficace par elle-même.

Ces difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez ont porté d’autres congruistes à admettre la nécessité de la grâce intrinsèquement efficace au moins pour les actes difficiles ; c’est ce que pensèrent au xviir’siècle les congruistes de Sorbonne.

III. Le congruisme de Sorbonne.

Cette théorie se trouve avec des nuances diverses dans les œuvres de plusieurs théologiens du XVIIIe siècle : Tournely, Habert, Ysambert, Frassen, Thomassin, Duhamel. Saint Alphonse incline vers elle.

Exposé sommaire.

Au xix*’siècle, le P. Jean

Herrmann, rédemptoriste, l’admet encore en la réduisant ainsi à ses principes essentiels dans son Tractatus de divina gratia, n. 509 : « 1. La grâce est intrinsèquement efficace, en cela nous suivons les thomistes et les augustiniens contre les molinistes. — 2. Cette grâce intrinsèquement efficace est une motion, non pas physique, mais seulement morale, contre les thomistes. — 3. La grâce intrinsèquement efficace n’est requise que poulies actes salutaires difficiles : pour les actes salutaires faciles, surtout pour la prière, est requise seulement la grâce suffisante accordée ordinairement à tous. »

Ainsi est constitué un système moyen, qui s’oppose aux autres, en leur empruntant ce qu’il juge bon. C’est un éclectisme, qui prétend généralement rejeter la science moyenne des molinistes et qui admet une grâce, non pas extrinsèquement congrue comme celle de Suarez, mais intrinsèquement congrue. Le P. Jean Herrmann, op. cit., n. 561, écrit :

.luxta congruistas ad niodum Suarezii et Bellarmini, infallibilis effectus gratiadependet non al) ejus vi intrinseca, sed vel a voluntatis consensu, vel a circumstantiis, in quibus homo versatur ; Deus etîectum gratta » infallibiliter cognoscere non potest. nisi ope scientiamédiapiius exploraverit an voluntas, in his aut illis circumstantiis posita, gratiasit consensura, neene. Nos vero dicimus congruitateni esse intrinsecam, ab ipso Deo gratiainditam, atque consistere non in entitate aliqua absolu/ta gratia » superaddita (sic rejicimus præmotionem physicam), sed in speciali modo divina » vocationis, in ipsius scilicet perfecta contempeiatione cum voluntate vocati… Ouare. juxta nos. congruitas ex gratia redundat in voluntatem ; et Deus, ut gratiæfïectum cognoscat, scientia média nullatenus indiget.

On voit ce qu’il suit de là au sujet de la prédestination et des rapports de celle-ci avec les actes salutaires faciles, surtout avec la prière.

Le même auteur ajoute, n. 748 : Tandis que le molinisme et le thomisme n’ont que des fondements philosophiques indémontrables (la science moyenne, d’une part, et la prémotion physique, de l’autre), notre congruisme ne repose sur aucun fondement philosophique spécial, mais seulement sur les vérités de foi. Le même P. Herrmann dit pourtant ailleurs, op. cit., n. 399 : Tlwmistarum syslema tanquam fundamento nilitur in principio metaphysico, scil. Deum esse primam causam et motorem universalem a quo omne ens et omnis actio venire debent. Ce principe ne dépasse-1 il pas les limites de l’opinion et n’appartient-il pas aux prœambula fidei ? A ce point de vue, l’éclectisme lui-même ne saurait le négliger On peut se demander si ce congruisme ne lui porte pas atteinte eu niant poulies actes salutaires faciles la nécessité de la grâce infailliblement, efficace par elle-même.

2° Les difficultés du congruisme de Sorbonne. -Cette nouvelle théorie peut paraître plus acceptable