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    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. LES DISCIPLES DE SAINT THOMAS

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col. 2857 sq. Cette dernière conclusion, commune à saint Augustin el à saint Thomas, est une conséquence rigoureuse du principe de prédilection : puisque

l’amour de Dieu est cause de la bonté des êtres créés, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu, cꝟ. 1’, q. xx, a. 3. La dernière conclusion de la synthèse rtjoinl ainsi le principe de celle-ci. Saint Thomas la confirme par une analogie, des choses soit naturelles, soit artificielles : c’est de la seule volonté de Dieu qu’il dépend que telle partie de matière soit sous cette forme intime, et que telle autre soit sous une forme très noble. C’est aussi de la seule volonté de l’artiste qu’il dépend que, parmi plusieurs pierres égales, celle-ci soit mise en cette partie du mur, et ce lie-là en telle autre. Dans le choix des élus, la liberté divine apparaît souveraine ; Dieu aurait pu sans aucun inconvénient ne pas créer, ne pas vouloir nous élever à l’ordre de la grâce, ne pas vouloir l’incarnation, à plus forte raison il aurait pu ne pas choisir Pierre plutôt que Judas ; s’il l’a choisi, c’est que très librement il l’a aimé davantage. Toute cette doctrine est contenue dans le principe : Nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu.

Reste l’autre aspect du mystère, que saint Thomas affirme très fortement pour terminer : Xeque lumen propter hoc est iniquitas apud Deum, si ineequalia non inœqualibus pnrpural… In his enim, quæ ex gratin dantur, potest aliquis pro libito suo dure cui vult plus vel minus, dummodo nulli sublrahat debitum, absque prœjudicio justiliie. Ibid., ad 3um. Dieu n’enlève à personne ce qui lui est dû, car il ne commande jamais l’impossible, mais, au contraire, par son amour, i) rend réellement possible à tous l’accomplissement des préceptt s, et même il accorde par bonté plus que la stricte justice n’exigerait (I », q. xxi, a. 4), car souvent il relève les hommes à maintes reprises du péché, alors qu’il pourrait les y laisser.

Pour conclure cet exposé de la doctrine du Docteur angélique, nous dirons : saint Thomas, plus que ses prédécesseurs, a mis en lumière les principes qui constituent les deux aspects extrêmes et en apparence contradictoires de ce grand mystère. Il ne voit que mieux l’élévation de celui-ci. Il a mis en un très puissant relief le contraste de ce clair-obscur théologique : d’une part, la lumière éclatante des deux principes énoncés, dont l’un exprime, contre le prédestinatianisme, l’infinie justice : Dieu ne commande jamais l’impossible et il rend le salut possible à tous, tandis que l’autre, contre le pélagianisme, manifeste la libre intervention de l’infinie miséricorde : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. Mais, autant ces deux principes pris à part sont certains et lumineux, autant leur intime conciliation est d’une obscurité impénétrable. Pourquoi ? Parce que l’infinie justice, l’infinie miséricorde et la souveraine liberté ne se concilient intimement que dans l’éminence de la Déité, de la vie intime de Dieu, où elles s’identifient sans aucune distinction réelle. Or, saint Thomas a montré que nous ne pouvons avoir in via aucun concept positif de la Déité comme telle. I a, q. xiii, a. 1. Nous ne pouvons connaître Dieu queparcequ’ilad’analogiquementcommun avec les créatures, et ce qui lui est propre ne nous est connu que négativement (être non fini) ou relativement (être suprême). En ce sens, nous disons : Deilas est super eus et super unum. De même, la paternité, la filiation, la spiration divines ne nous sont manifestées qu’analogiquement par la révélation. D’où le mystère, et particulièrement l’obscurité du problème qui nous occupe. L’intime conciliation de l’infinie justice et de l’infinie miséricorde dépasse la spéculation théologique et son procédé discursif ; c’est, dans l’obscurité, l’objet même de la foi (fides est de non visis) et de la contemplation, qui procède de la foi

éclairée par les dons d’intelligence et de sagesse : Q altitudo divitiarum sapientise et scientiæ lui ! Loin., xi, 33. Voir le commentaire de saint Thomas sur ce passage. Bossuet exprime admirablement la pensée du Docteur angélique en écrivant à ce sujet : ».le ne nie pas la bonté dont Dieu est touché pour tous les hommes, ni les moyens qu’il leur prépare pour leur salut éternel dans sa providence générale… Mais quelque grandes que soient les vues qu’il a sur tout le monde, il a un certain regard particulier et de préférence sur un nombre qui lui est connu. Tous ceux qu’il regarde ainsi pleurent leurs péchés et sont convertis en leur temps… La volonté de mon l’ère est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. (Joa., vi, 39.) Et pourquoi nous fait-il entrer dans ces sublimes vérités ? Est-ce pour nous troubler, pour nous alarmer… ? Le dessein de notre Sauveur est que, contemplant ce regard secret qu’il jette sur ceux qu’il sait, et que son Père lui a donnés par un certain choix, et reconnaissant qu’il les sait conduire à leur salut éternel par des moyens qui ne manquent pas, nous apprenions premièrement à les demander, à nous unir à sa prière, à dire avec lui : Préservez-nous de tout mal (Matth., vi, 13), ou, comme parle l’Église : « Ne permettez pas que « nous soyons séparés de vous : si notre volonté veut i échapper, ne le permettez pas ; tenez-la sous votre « main, changez-la et ramenez-la à vous.. « Une seconde chose qu’il nous veut apprendre, c’est de nous aban donner à sa bonté : non qu’il ne faille agir et travailler… ; « mais c’est qu’en agissant de tout notre cœur il faut au-dessus de tout nous abandonner à Dieu seul pour le temps et pour l’éternité… Qu’on ne médise donc pas que cette doctrine de grâce et de préférence met les bonnes âmes au désespoir. Quoil on pense me rassurer davantage en me renvoyant à moi-même, et en me livrant à mon inconstance ? Non, mon Dieu, je n’y consens pas. Je ne puis trouver d’assurance qu’en m’abandonnant à vous… « Aidez-moi et je serai sauvé » (Ps. cxviii, 117). « Guérissez-moi et je serai guéri » (Jer., xvii, 14). « Convertissez-moi et je serai converti » (ibid., xxxi, 18). » Méditations sur l’Évangile, IIe part., 72e jour. Tout cela est bien conforme à ce qu’enseigne saint Thomas, ID-II 86, q. xvii, sur le motif formel de l’espérance, qui est non pas notre effort, mais Dieu secourable : Deus auxilians.

VIL Les premiers thomistes qui ont écrit sur la prédestination reproduisent la doctrine de saint Thomas comme nous venons de l’exposer. C’est ce que font en particulier Capréolus, Cajetan et Silvestre de Ferrare.

1° Capréolus (I Sent., dist. XLI, a. 3) relève chez saint Thomas les sept conclusions que nous avons signalées et il défend nettement la prédestination à la gloire ante prævisa mérita, comme le montre le docteur Joan. Ude, Doctrina Capreoli de influxii Dei in actus voluntatis humanæ, Gratz (Styrie), 1905.

Il est établi dans le même ouvrage, p. 149-217, que Capréolus a enseigné l’eflicacité intrinsèque des décrets divins relatifs à nos actes salutaires, et aussi l’efficacité intrinsèque de la grâce expliquée par la prédétermination physique non nécessitante. Cf. / Sent., dist. XLV, q. i, concl. 5 : Lice/ Dei voluntas consequens semper impleatur, non tamen necessitatem rébus volitis generaliter imponil. Capréolus proue cette conclusion par beaucoup de textes de saint Thomas, entre autres par celui-cidu Contra génies, l. 1, 85 : Voluntas divina contingentions non lollit.nec necessitatem absolutam rébus imponil. Vult enim Deus omnia quæ requirunliir ad rem quam vult, ut diclum est. Sed aliquibus rébus secundum modum suée mitunr competit, quod sint contingentes, non necessariw ; igitur vult alignas res esse contingentes. Efflcacia autem dioinæ ooluntatis éxigil, ut non solum sit quod Deus vull esse, sed etiam ut hoc