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    1. PMKDKSTINATION##


PMKDKSTINATION. S. THOMAS, SES CONCLUSIONS

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Après avoir formulé cette réponse générale négative, fondée sur l’autorité de saint Paul, saint Thomas l’explique en rappelant et réfutant l’erreur d’Origèhe, les hérésies pélagienne et semi-pélagienne, et une opinion de quelques scolastiques. Il formule ainsi les conclusions suivantes : a. la raison de la prédestination ne saurait être la prévision de mérites antérieurs à cette vie (cf. Rom., ix, 2) ; b. ni celle de mérites antérieurs à la justification (cf. II Cor., iii, 5) ; c. ni celle de mérites postérieurs à la justification.

Pour prouver cette troisième conclusion, saint Thomas a recours à un principe dont la valeur sera méconnue par bien des théologiens postérieurs, il dit de ceux qui ont soutenu l’opinion contraire : Sed isti videntur distinxisse inter id quod est ex gratia et id quod est ex libero arbilrio quasi non possit esse idem ex utroqué. Manijeslum est autem quod id quod est gratis ? (dans la vie des prédestinés) est preedeslinationis efjectus et hoc non potest poni ut ratio preedeslinationis, cum hoc sub preedeslinalione claudatur. Si igitur aliquid aliud ex parte noslra sit ratio priedeslinationis, hoc erit prwlcr efjectum priedeslinationis. Non autem distinction est (dans la vie des prédestinés) id quod est ex libero arbitrio et ex prædestinalione, sicut nec est distinctum quod est ex causa secundo et ex causa prima., Divina enim providentia producit efjectus per operationes causarum secundarum, ut supra dictum est (I a, q. xix, a. 8). Unde et id quod est per liberum arbitrium est ex prædestinalione. En d’autres termes : dans la vie des prédestinés, ni le bon usage du libre arbitre, ni le bon usage de la grâce ne peuvent être raison de la prédestination, car ils en sont les effets. Pourquoi en sont-ils les effets ? Parce qu’on ne peut distinguer ce qui est produit par la cause seconde et ce qui est produit par la cause première ; ce sont deux causes totales non pas coordonnées, mais subordonnées : non seulement tout l’effet provient de l’une et de l’autre, comme dans le cas de deux chevaux tirant un lourd véhicule, qu’un seul d’entre eux ne parviendrait pas à déplacer, mais, tandis qu’un de ces chevaux n’est pas mû par l’autre, la cause seconde n’agit que mue par la cause première. Sur ce point, Molina se séparera très nettement de saint Thomas (Conc, q. xiv, a. 13, disp. XXVI, p. 152-158). On voit, par ce texte du Docteur angélique littéralement cité, que, pour lui, même la détermination libre salutaire est tout entière de nous, comme cause seconde, et tout entière de Dieu, comme cause première, sans laquelle nous ne nous déterminerions pas. C’est l’application des principes exposés plus haut, I q. xix, a. 8. Aussi saint Thomas va-t-il écrire : Quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem, comprehenditur lotum sub efjectu preedeslinationis.

Dans la suite de cet article 5, saint Thomas formule une conclusion qui nous paraît préciser et mettre au point plusieurs assertions de saint Albert et de saint Bonaventure. Il écrit : Nihil prohibel aliquem efjectum preedestinationis esse causam et rationem allerius ; posteriorem quidem prioris secundum rationem causée finalis, priorem vero poslerioris secundum rationem causée meriloriee, quæ reducitur ad dispositionem materiie ; sicut si dicamus quod Deus præordinavit se daturum alicui gloriam ex meritis, et quod præordinavit se daturum alicui gratiam, ut mereretur gloriam. Comment entendre ces derniers mots ? D’après tout ce qui précède et en particulier après la réfutation de la troisième erreur contenue dans le paragraphe précédent, il faut entendre : Dieu a décidé de donner à tel homme, par exemple au bon larron de préférence à son compagnon, la grâce de soi efficace, pour qu’il méritât la gloire, à laquelle il l’a prédestiné. Saint Thomas ne veut pas dire : Dieu a décidé de donner au bon larron une grâce qui sera rendue efficace par le bon consentement de celui-ci. Cette interprétation est exclue par le paragraphe pré cédent (non est distinctum quod est ex causa secundo et ex causa prima) et aussi par la dernière conclusion du corps de l’article, qui est la suivante : Aliomodo potest considerari prædestinationi » efjectus in communi ; et sic impossibile est quod lotus preedeslinationis efjectus in communi habeat aliquam causam ex parte nostru ; quia yuiDQUiD est in homine ordinans ipsum in salutem comprehenditur totu.m sub efjectu preedeslinationis, eliam ipsa pnvparalio ad gratiam.

[Plusieurs théologiens postérieurs, tel.Molina, Concordia, q. xxiii, a. 4 et 5, disp. I, membrum ultimum, p. 546, diront au contraire que la détermination libre de l’acte salutaire n’est pas l’effet de la causalité divine, ni de la prédestination. Ils accorderont sans doute que la prédestination ad.-iïquate sumpta ne dépend pas de la prévision de nos mérites, en ce sens qu’elle contient la première grâce que nous ne saurions mériter, mais non pas en ce sens exprimé ici par saint Thomas que tout ce qui dans l’homme l’ordonne au salut, même la détermination libre de l’acte salutaire, est l’effet de la causalité divine et de la prédestination. Ils reviendront plus ou moins à l’opinion de ceux auxquels saint Thomas a répondu un peu plus haut en disant : Non est distinctum quod est ex libero arbilrio et ex preedeslinatione, sicut nec est distinctum quod est ex causa secundo et ex causa prima. ]

On voit que ces différentes conclusions du corps de l’article 5 expliquent la réponse générale négative de l’argument sed contra : la prescience des mérites n’est pas cause ou raison de la prédestination, c’est-à-dire de la prédestination à la gloire qui est la seule prédestination qui corresponde à la définition donnée à l’article 1er, tandis que la prédestination à la grâce ne s’oppose pas à la réprobation. On voit aussi que cette réponse générale et les conclusions qui l’expliquent sont autant de corollaires du principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu.

Dans la réponse ad 3um du même article 5 se trouvent deux dernières conclusions, qui mettent encore plus en relief la portée de ce grand principe.

L’avant-dernière conclusion est : Voluil Deus in hominibus quantum ad aliquos, quos preedestinat, suam reprœsenlare bonitatem per modum misericordiæ parcendo, et quantum ad aliquos, quos reprobat, per modum justiliee puniendo. El hœc est ratio quare Deus quosdam eligil et quosdam reprobat. Cette raison générale est fondée, dit saint Thomas, sur la révélation telle qu’elle s’exprime dans l’épître aux Romains, ix, 22 : < Si Dieu voulant manifester sa colère (c’est-à-dire sa justice ) et faire connaître sa puissance, a supporté (c’est-à-dire permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s’il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde, qu’il a préparés d’avance pour la gloire… (où est l’injustice ?) « La bonté divine, d’une part, tend à se communiquer ; par là, elle est le principe de la miséricorde, et, d’autre part, elle a un droit imprescriptible à être aimée par-dessus tout ; elle est ainsi le principe de la justice. I) convient que cette bonté suprême soit manifestée sous ses deux aspects et que la splendeur de l’infinie justice apparaisse comme l’éclat de l’infinie miséricorde. Le mal n’est ainsi permis par Dieu que pour un bien supérieur dont la sagesse infinit est juge et que contempleront les élus.

Enfin, la dernière conclusion de saint Thomas vise non plus les bons et les mauvais en général, mais chaque personne en particulier. Sed quare hos elegil in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem ; cf. De verilate, q. vi, a. 2. Augustin avait dit : Quare hune trahat et illum non trahal, noli velle dijudicare, si non vis errare. Il avait même montré que la prescience des mérites futurs ou futuribles ne pouvait être raison de la prédestination. Voir ci-dessus,