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PRÉDESTINATION. S. THOMAS, AKOLMKNTS x.lill’ïl l’.AlHKS


moins aide par Dieu ; il devient ainsi meilleur que l’autre sans avoir été plus aimé par Dieu, contrairement au principe de prédilection formulé par saint Thomas et énoncé sous diverses formes par beaucoup de ses prédécesseurs. On s’explique dès lors que Molina, ibid., p. 429, dise contrairement à saint Thomas : Electio non antecessil prædestinationem. Il reconnaît que l’opinion contraire paraît être celle de saint Thomas, a. 4, mais il ajoute : Hirc lumen sententia mihi nunquaihplacu.it. Ilparledemême, i&jtf., p. 152, à propos de la motion divine et, p. 547-550, en regrettant que saint Thomas et la plupart des scolastiques aient admis avec saint Augustin une prédestination non fondée sur la prescience des mérites. On saisit ici le point sur lequel, dans la suite, thomistes et molinistes seront en désaccord ; il s’agit entre eux de savoir si le principe de prédilection, qui suppose l’eflicacité intrinsèque des décrets divins et de.la grâce, est vrai ou faux. ]

5. Dans l’article 5, saint Thomas déduit d’autres conséquences du principe de prédilection, en se demandant : la prescience des mérites est-elle cause de la pré-, destination ? il répond négativement et explique cette réponse par plusieurs conclusions précises dans le corps de l’article et J’ad 3um.

C’est surtout à propos de ce point capital que saint Thomas nous donne son interprétation des principaux textes de saint Paul relatifs à la prédestination.

a) Épîlre aux Éphésiens. — Voyons d’abord son exégèse des deux passages de l’épître aux Éphésiens, i, 3-5 et 11-12 : Benedixit nos Deus in omni benediclione spirituali in cœlestibus in Christo, sicut elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ul essemus sancti et immaculali in conspeclu cjus in cariiale ; qui pr.edestinavit nos in adoplioncm filiorum per Jesum Christum in ipsum, secundum proposilum voluntatis suée, in laudem gloriæ yratiæ suœ… In quo (Christo) etiam et nos sorte vocali sumus, prædeslinati secundum proposilum ejus, qui operatur cmnia secundum con^ilium voluntatis suæ ut simus in laudem gloriæ ejus.

Dans son commentaire sur cette épître, saint Thomas fait trois remarques importantes, signalées ensuite par tous les thomistes.

a. Il note que, lorsque l’Apôtre écrit : prædestinavit nos in adoplionem filiorum, on peut l’entendre de la filiation adoptive réalisée dès ici-bas par la grâce sanctifiante, mais que ces paroles se réfèrent mieux encore à la parfaite assimilation à Dieu, réalisée dans la patrie, selon ce que saint Paul dit lui-même, Rom., vin, 23 : « Nous qui avons les prémices de l’Esprit, nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’adoption (définitive) des enfants de Dieu. » La grâce, en effet, est ordonnée à la gloire et, selon saint Thomas, I a, q. xxiii, a. 4, Dieu, comme tout sage, veut la fin avant les moyens. De plus, la prédestination à la seule vie de la grâce, et non à la gloire, n’aurait plus de la prédestination que le nom, puisqu’elle se vérifie en beaucoup de réprouvés.

Cette remarque de saint Thomas est conservée en substance par plusieurs exégètes modernes, comme le P. Lagrange (Épître aux Romains, 1916, c. ix) et le P. Vosté (7/i Ep. ad Eph., i, 11), d’après lesquels, dans ce texte de saint Paul, il s’agit immédiatement de l’élection générale des chrétiens à une vie de sainteté, mais de telle façon que les principes énoncés à ce sujet s’appliquent par voie de conséquence à l’élection particulière de tel homme plutôt que de tel autre. C’est sur ces principes énoncés par saint Paul qu’insiste saint Thomas. b. Il remarque que Dieu nous a élus non pas parce que nous étions saints, mais pour que nous le devenions : Elegit nos, non quia sancti essemus, quia nec eramus, sed ad hoc elegil nos : ul essemus sancti virtutibus et immaculali a vitiis.

c. Saint Thomas fait observer que, pour saint Paul, la raison de la prédestination ne se trouve pas dans nos mérites prévus, mais dans le dessein ou décret éternel, prsedestinavit nos secundum propositum voluntatis suæ, dessein bienfaisant, cjui provient de son amour très pur. Saint Thomas insiste particulièrement sur ce point, In / : ’/). ml Ephes., ibid. : Quod autem aliquis prædestinatur ad vilam œlernam… est gratia pure gratis data.., quia nullis merilis præcedenlibus. Il s’agit non seulement de la prédestination à la grâce, mais de la prédestination à la gloire, la seule qui ne puisse être commune aux élus et aux réprouvés.

Le saint Docteur y insiste encore, à propos du ꝟ. 1 1 : In quo… sorte vocali sumus, prædeslinati secundum propositum ejus…, « la raison de la prédestination n’est donc pas, dit-il, la prévision de nos mérites, mais la pure volonté de Dieu : propler quod subdil secundum proposilum ejus, qui operatur omnia secundum consilium voluntatis suæ ». Ces derniers mots nous montrent que, d’ailleurs, tout ce qui arrive dépend de la volonté de Dieu. Rien dans ce texte de saint Paul aux Éphésiens ne montre donc que la prédestination ait sa raison dans la prévision de nos mérites.

b) Épître aux Romains. — La pensée de saint Paul est encore plus clairement exprimée, selon saint Thomas, dans l’épître aux Romains, viii, 28, où il est directement et explicitement qu8stion de la prédestination qui a pour effet la glorification : Scimus autem quoniam diligentibus Deum. cmnia cooperantur in bonum, iis qui secundum proposilum vocali sunt sancti. Xam quos præscivil et prædeslinavil conformes fieri imagini Eilii sui, ut sit ipse primogenilus in multh fralribus. Quos autem prædeslinavil, hos et vocavit, et quos vocavit, hos et juslificavit, quos autem juslificavit, illos et glorificavil.

Saint Thomas, dans l’explication de ce texte, insiste sur ceci que tout concourt au bien dans la vie de ceux qui persévèrent jusqu’à la fin dans l’amour de Dieu, c’est-à-dire dans la vie des prédestinés secundum Dei proposilum. Il reluse de voir dans les mots quos præscivil la prescience des mérites, car, selon saint Paul, les mérites des prédestinés sont effets de la prédestination. Il pense aux textes si souvent cités à ce sujet : Quis enim le discernil ? Quid autem habes quod non accepisli ? I Cor., iv, 7 ; Deus est qui operatur in vobis et velle el perficere, pro bona voluntate. Phil., ii, 13. Saint Thomas tient donc que, d’après ce texte de saint Paul, Rom., vin, 28-30, tout ce qui ordonne le prédestiné au salut éternel est l’effet de la prédestination. Ce sera la formule définitive de la Somme, I a, q. xxiii, a. 5 : Quidquid est in hmine ordinans ipsum in salutem comprehenditur totum sub eflectu prædestinalionis, même la détermination libre salutaire.

Ouant au chapitre ix de l’épître aux Romains, saint Thomas reconnaît qu’il traite d’abord de l’appel des gentils à la grâce du christianisme et, par contraste, de l’incrédulité des Juifs, mais qu’il contient aussi des principes qui s’appliquent aux individus. Comme le dit le P. Lagrange (Épître aux Romains, 1916, p. 244), dont la pensée s’harmonise parfaitement avec’celle de saint Thomas : « Il est incontestable que cet appel des gentils est en même temps un appel au salut. On pense invinciblement au sort de chacun, on transpose les termes, on applique les principes de saint Paul au salut individuel. Dieu appelle à la justice par pure faveur… Mais Dieu ne procède pas de la même façon envers ceux qu’il appelle et envers ceux qu’il n’appelle pas… D’après saint Paul, l’homme est vraiment cause de sa réprobation (positive) par ses péchés : cf. ix, 32 : Offerenderunt enim in lapidem ofjensionis.’»

Saint Thomas est ainsi conduit à expliquer le ꝟ. 13 : Jacob dilexi en généralisant, et il formule le principe de prédilection en ces termes : Eleclio et dilectio aliter