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2945 PRÉDESTINATION. S. THOMAS, LE PRINCIPE DE PRÉDILECTION 2946

volonté divine ; il suit donc de là que notre liberté est détruite. » Il répond, ibid., ad 2um : Ex hoc ipso quod nihil voluniati divinse résistif, sequitur quod non solum fiant eo quæ Deus vull fieri, sed et quod fiant contingenter vel necessario quæ sic fieri vult.

Si, comme le remarquent sans exception tous les thomistes, ces décrets et la grâce qui assure leur exécution n’étaient pas eflicaces par eux-mêmes, mais seulement par notre consentement prévu, il arriverait, contrairement au principe de prédilection, que, de deux hommes ou de deux anges, également aimés et aidés par Dieu, l’un deviendrait meilleur que l’autre. Il deviendrait meilleur soit par un acte initial, soit par un acte final, soit par un acte facile, soit par un acte dillicile, sans avoir été plus aimé et plus aidé par Dieu, et ce serait donc en dehors de l’intention divine (dans l’ordre des futuribles, et ensuite dans celui des futurs) que plus de bien se trouverait en l’un de ces deux hommes également aimés, également aidés et placés dans les mêmes circonstances.

Ce fondement du principe de prédilection, saint Augustin l’avait énoncé en écrivant au sujet de l’efficacité de la grâce, dans le De preedeslinatione sanctorum, vin, 13 : Hœc itaque gratia quæ occulte humanis cordibus divina largitale tribuitur, a nullo duro corde respuitur, ideo quippe tribuitur, ut cordis dwitia primilus auferatur. Cf. ibid., x, 19 ; De dono perseveranlise, ix, 21-23 ; De correptione et gratia, xiv, 43 ; De gratia Christi, xxiv, 25.

Saint Thomas exprime non moins clairement que saint Augustin ce fondement du principe de prédilection en distinguant nettement la volonté antécédente, principe de la grâce suffisante, et la volonté conséquente, principe de la grâce efficace. Cf. I a, q. xix, a. 6, ad lum : Quidquid Deus simpliciter vult, fil, licet illud quod antecedenter vult non fiât. Dieu veut simpliciter le bien qu’il veut comme devant s’accomplir hic et nunc, par exemple la conversion du bon larron, qui fut plus aimé et plus aidé que l’autre. Cependant, Dieu a rendu réellement possible l’accomplissement des préceptes à ce dernier, qui, bien par sa faute, a résisté à la grâce suffisante, offerte et même donnée par le Christ qui mourait pour lui.

Saint Thomas a souvent distingué ces deux grâces, par exemple dans son commentaire In Ep. ad Tim., il, 6, où il dit à propos du Christ rédempteur : Ipse est propiliatio pro peccalis nostris, pro aliquibus efficaciler, sed pro omnibus sufficienter, quia prelium sanguinis ejus est sufficiens ad salutem omnium, sed non habel efflcaciam nisi in eltetis, propler impedimentum. A cet impedimentum, Dieu remédie souvent, pas toujours ; c’est là le mystère : Deus nulli subtrahit debilum, I a, q. xxiii, a. 5, ad 3um ; sufficiens auxilium dal ad non peccandum, P-II 16, q. cvi, a. 2, ad 2um. Quant à la grâce efficace, si elle est donnée à tel pécheur, c’est par miséricorde ; si elle est refusée à tel autre, c’est par justice. Cf. ÎI a -II<e, q. ii, a. 5, ad lum.

On pourrait citer de nombreux textes de saint Thomas, qui montrent clairement que, pour lui, la grâce est efficace par elle-même, comme les décrets divins dont elle assure l’exécution. Voir, par exemple, In Ep. ad Ephes., c. iii, lect. 2 : Ipsam operationem (salutarem ) confert Deus in quantum operatur in nobis, inlerius movendo et insligando ad bonum.., in quantum virtus ejus operatur in nobis et velle et perfieere pro bona voluntate. — Ia-IIæ, q. cix, a. 1 : Quantumcumque aliqua natura corporalis vel spirilualis ponatur perfecla, non potest in suum aclum procedere, nisi moveatur a Deo.

— Ia-IIæ, q. cxii, a. 3 : Intentio Dei de/icere non potest, secundum quod Auguslinus dicil in libro de dono persev. c. XIV, quod « per bénéficia Dei certissime liberantur quicumque liberantur ». Unde si ex intenlione Dei moventis est, quod homo, cujus cor movel, graliam conse quatur, infallibililer ipsam consequitur, secundum illud Juan., VI, 45 : Omnis qui audivit a Pâtre, et didicil, venitadme. [ » -II », q. x, a. 4, ad S* 011 : Si Deus movel voluntatem ad aliquid, incompossibile est huit positioni, quod volunlas ad illud non moveatur. Son lumen est impossibile simpliciter. Unde non sequitur, quod voluntas a Deo ex necessitate moveatur.

C’est la nécessité de conséquence, non de conséquent, déjà bien expliquée par saint Albert le Grand, et mieux encore par saint Thomas, lorsqu’il a montré, I a, q. xix, s. 8, que la volonté divine, à raison même de sa souveraine efficacité, s’étend forliler et suaviter, jusqu’au mode libre de nos actes ; elle veut qu’ils s’accomplissent librement ; et infailliblement c’est ainsi qu’ils s’accomplissent. Bossuet exprime admirablement la pensée de saint Thomas lorsqu’il écrit, Traité du libre arbitre, c. vin : « Ainsi Dieu veut, dès l’éternité, tout l’exercice futur de la liberté humaine, en tout ce qu’il a de bon et de réel. Qu’y a-t-il de plus absurde que de dire qu’il n’est pas, à cause que Dieu veut qu’il soit ? Ne faut-il pas dire, au contraire, qu’il est parce que Dieu le veut, et comme il arrive que nous sommes libres par la force du décret qui veut que nous soyons libres, il arrive aussi que nous agissons librement en tel et tel acte, par la force même du décret qui descend à tout ce détail. > Saint Thomas avait dit de même, De veritale, q. xxii, a. 8 : Deus voluntatem immulal sine eo quod voluntatem cogat. Polesl autem Deus voluntatem immulare ex hoc quod ipse in voluntate operatur sicut in natura… Unde sicut volunlas potest immutare aclum suum in aliud, ila et mullo amplius, Deus ; et ibid., a. 9 : Solus Deus potest inclinalionem voluntatis quam ei dédit trans/erre de uno in aliud, secundum quod vult. Saint Thomas dit encore, De malo, q. vi, a. 1, ad 3um : Deus movel voluntatem immulabiliter propter efficaciam virtutis moventis, quæ deficere non potest, sed, propter naturam voluntatis rholx quæ indifferenler se habet ad diversa, non inducitur nécessitas, sed manet libertas. Les thomistes ne diront rien de plus dans la suite.

Saint Thomas considère même comme une vérité révélée cette efficacité intrinsèque des décrets divins relatifs à nos actes salutaires. Il cite en effet en ce sens, Contra -génies, t. III, 88, 89, les textes scripturaires bien connus : Omnia opéra noslra operatus es in nobis, Domine, Is., xxvi, 12 ; sicut divisiones aquarum, ila cor régis in manu Domini, et quoeumque voluerit inclinabit illud. Prov., xxi, 1. Ailleurs, I a, q. ciii, a. 7, il cite les textes suivants d’Esther, xiii, 9 : Domine, rex omnipotens, in dilione enim tua cuncta sunt posita et non est qui possil tuæ resistere voluniati, si decreveris salvare Israël ; Ézéchiel, xxxvi, 26 : El dabo vobis cor novum et spirilum novum ponam in medio vestri ; et auferam cor lapideum de carne veslra et dabo vobis cor carneum. El spirilum meum ponam in medio vestri et faciam ul in præceptis meis ambulelis, et judicia mea custodialis et operemini ; Phil., ii, 13 : Deus est qui operatur in nobis et velle et perfieere pro bona voluntate. Dans ces textes scripturaires, saint Thomas voit l’efficacité intrinsèque de la grâce et de même dans plusieurs canons du IIe concile d’Orange, can. 4, can. 9, can. 12, càn. 16, can. 20 ; voir ici, t. xi, col. 1093 sq. Ces textes du concile d’Orange sont extraits pour la plupart des œuvres de saint Augustin et de saint Prosper ; or, saint Augustin, nous l’avons vii, tenait que la grâce est efficace par elle-même. Les cinq canons du concile d’Orange que nous venons de citer expriment sous différentes formes cette vérité que tout bien, soit naturel, soit surnaturel, vient de Dieu ; or, c’est là le fondement même du principe de prédilection.

Ainsi Dieu a voulu efficacement de toute éternité que la vierge Marie consentît librement au mystère de l’incarnation, qui devait infailliblement s’accomplir, et, sous une grâce très forte et très douce, Marie a dit