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PRÉDESTINATION. SAINT THOMAS D’AOUIN


en soi pour l’obtenir. Mais, en vertu du principe « le prédilection, énonce plus haut, saint Bonaventure tient que de deux pécheurs l’un ne devient pan meilleur que l’autre, en se disposant à la conversion, sans avoir été plus aimé par Dieu, et plus aidé par la grâce actuelle. C’est toujours l’enseignement de saint Augustin et. comme le fera saint Thomas, I’, q. xxiii, a. 5, saint Bonaventure écrit. / Seul., dist. XLV, a. 2, q. ii, ad lum, à propos des actes salutaires : tolas cfjectus esl a causa errata et totUS a volunUile increata.

Cependant, saint Bonaventure, LS’enL, dist. XLI, a. 1, q. il. cherche si tel homme n’a pas été choisi plutôt que tel autre, Pierre plutôt que Judas, non pas pour quelque mérite, mais pour quelque raison de convenance, inconnue de nous. Il répond affirmativement. Si qiuvramus in si>i ; i iai.i : quare magis vull jusli/icare iinum quam alium, duobus simili bas demonstratis ? quia mullx possunt esse rationes congruentiiv, ideo non est eertilado a parle rei. Et ideo cum cognitio noslra pendeat a certiludine rei, nullus certain potest invenire rationem, nisi habeat per revelalionem illius cui dubia sunt cerla. Albert le Grand parle à peu près de même. Sum. theol., I a pars, tr. xvi, q. lxv.

Saint Thomas dira, au contraire, en vertu du principe de prédilection, I », q. xxiii, a. 5, ad 3um : Quare hos eleqit in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem… sicut ex simplici voluntate artipeis dependet quod ille lapis est in isla parte parielis et ille in alia. Scot s’exprimera, sur ce point, comme saint Thomas, et affirmera la souveraine liberté de Dieu dans le choix des élus. / Sent., dist. XLI, q. i.

La raison de convenance, non méritoire, dont parle saint Bonaventure, est-elle prise des mérites futurs des élus ? Il y aurait, dit-il, témérité à l’affirmer. / Sent., dist. XLI, dub. i, éd. Quaracchi, t. i, p. 742. En tout cas, il maintient le principe de prédilection qu’il a fortement affirmé plus haut : nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé de Dieu : dilectio divina non causatur a diversilale eligibilium, sed est ejus causa.

Tous ces théologiens sont d’ailleurs d’accord sur ceci que, de même qu’il n’y aurait eu aucun inconvénient pour Dieu à ne pas créer, il n’y en aurait eu aucun à mettre Judas plutôt que Pierre parmi les élus, et à lui accorder les grâces qui l’auraient infailliblement conduit à mériter librement la vie éternelle et à persévérer. Cf. saint Bonaventure, / Sent., dist. XL, a. 2, n. 5 : Quamvis possinl esse ( prædestinali) alii et plures, tamen nunquam erunt ; et si essent, tune ab œlerno prédestinait essent : et ideo non potest ibi cadere aliqua mulatio. Il reste que Dieu veut sauver tous les hommes en tant qu’il leur a donné à tous la nature humaine et qu’il otfre à tous par le Christ la grâce nécessaire au salut. Ibid., dist. XLVI, a. 1, q. i.

V. Saint Albert lf. Grand. — Ce docteur a traité de la prédestination et de la volonté salvifique universelle dans son Commentaire sur les Sentences, t. I, dist. XLVI et XLV II (1245), et dans sa Summa théologie, I a, q. lxiii et lxiv (composée en 1270 après la I" pars de la Somme théologique de saint Thomas). La doctrine qu’il soutient en ces deux ouvrages est en substance la même que celle de saint Bonaventure.

Il affirme nettement que la science divine est cause des choses et non pas mesurée par elles, I Sent., dist. XXXVIII, A, a. 1 ; D, a. 3. qu’elle n’impose pourtant pas à toutes un caractère de nécessité, car il peut y avoir, comme l’a dit Aristote, nécessité de conséquence, sans qu’il y ait nécessité de conséquent, selon l’exemple de Boèce : Il est nécessaire que ce que je vois soit ; or, je vois que Pierre marche : donc il est nécessaire qu’il marche, bien qu’il le fasse librement. Ainsi Dieu a prévu infailliblement les faits contingents. Ibid., dist. XXXVI 1 1, !  :. a. 1. De même, Dieu a voulu efficacement de toute éternité la conversion du bon larron,

et celui-ci se convertit infailliblement sans que sa liberté soit violentée en rien. Ibid., disl. XLVI, C, a. 1, et dist. XLVII, A, a. 1, ad 1um. Albert parle de même dans sa Summa theologiiv, I a, tr. xv, q. lxi, m. 2, 5, 8.

Il dit aussi, comme saint Bonaventure, que la prédestination à la gloire présuppose l’élection, et que celle-ci présuppose la prédilection divine : Dilectio déclinât ad separandum unum ab alio et ad diligendum in jinem salutis ; ergo preecedit dilectio electionem et eleclio prsedestinationem ex parle diligenlis et eligenlis et prœdeslinanlis. 1 Sent., dist. XL, D, a. 10. Cettedoctrine est une affirmation du principe de prédilection : nu ! être créé ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé par Dieu.

Que suit-il de la lorsqu’on demande : La prédestination a-t-elle une cause méritoire de notre part ? Albert répond à cette question, 1 Sent., dist. XLI, B, a. 3, et plus clairement, plus tard, dans sa Summa (heologise, I a, tr. xvi, q. lxiii, m. 3, a. 1. En ce dernier endroit, il dit : Solutio : Catholica fuies est, quod prædeslinalionis in prédestinante nulla sit causa nec ratio bona, nisi sua volunlas et dilectio… Adhuc catholica /ides est, quod nullum merilum prævenil gratiam… Cependant, Albert affirme, ibid. : Appositio grade, qui actus in tempore est et tempore mensuratur et non potest habere causam, potest tamen habere rationem ut rationabilis esse videatur : et hœc ratio non est antecedens, sed concomilans. Unde hiec ratio potest esse scientia meritorum, quia scilicel dat illi quem scit bene gratia usurum.

Ces derniers mots font penser à une opinion de Henri de Gand, rapportée et discutée par Cajetan, In / am, q. xxiii, a. 5, n. 4. Mais Albert les atténue singulièrement une page plus loin, en disant ad qmest. i, ad 3um : Aliquando Deus dédit gratiam ei quem scivit maie usurum, sicut Judée. De même, ad qmest. ii, ad 5um : Aliquando Deus dat gratiam ei quem scit maie usurum : et hoc propler aliquam ulililatem quam inde clicil, sicut prodilione Judse usus est ad redemplionem generis humani. Sed non effet bonus dispensalor, si nulla utililate considerata daret ei gratiam qui maie usurus est.

On voit par là que ces formules signifient que Dieu donne la grâce soit en vue dos mérites futurs, soit pour quelque autre utilité. Ainsi Albert prépare la formule beaucoup plus simple qui se lit chez saint Thomas, I a, q. xxiii, a. 5 : Deus præordinavil se daturum alicui gratiam ut mereretur gloriam.

Albert reste fidèle au principe de prédilection qu’il formule assez clairement dans sa Summa théologie, I a, tr. xvi, q. lxiv, ad quæst. I : Illud magis amatur, cui majus bonum in/luitur. Ibid., ad 3um : In omnibus diligit (Deus) bonum quod ab ipso est. Nul être créé ne serait donc meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé par Dieu. Quid habes quod non accepisli ? Mais, par ailleurs Dieu ne commande jamais l’impossible et donne à tous la possibilité d’observer ses commandements. I tr. xx, q. lxxix, m. 2, a. 2, part. 2, sol. Cf. notre article : La volonté salvifique et la prédestination selon le bienheureux Albert le Grand, dans Revue thomiste, mars 1931, p. 371-386

VI. Saint Thomas d’Aquin parvint à une vue plus haute, plus simple et plus compréhensive de ce grand problème de la conciliation de la volonté salvifique universelle avec le mystère de la prédestination.

Les limites de cet article ne nous permettent pas de suivre la pensée de saint Thomas en ses différentes œuvres, selon leur ordre chronologique. Il nous a donné son interprétation des textes de saint Paul sur ce sujet dans ses commentaires sur l’épître aux Romains, c. viii, ix, xi, et sur l’épître aux Éphésiens, c. i, et il a traité la question du point de vue spéculatif dans son Commentaire sur les Sentences, I, disl. XI. et XLI, dans le Contra génies, I. III, Kit, dans le De verilale,