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I » RÉ DESTINATION. S. AUGUSTIN, LA GRACE EFFICACE

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Notons que cette doctrine concilie à merveille les deux activités divine et humaine et Augustin a pu rejeter avec raison toutes les explications tendant à déplacer le mystère de la prédestination : Quomodoergo qui dicit : « Facile vobis », hoc dicil « Dabo vobis » ? Quure jubet, si ipse daturus est ? Quare dal, si homo facturas est, nisi quia dal quod jubet, cum adjuvat ut facial cui jubet. Ibid. Telle est la façon dont Dieu nous vient en aide par sa grâce qui nous donne ce qu’il ordonne : l’observation effective de ses commandements.

On se rappelle le principe par lequel Augustin établit la transcendance de l’opération divine, ayant en corrélation la subordination de l’opération humaine : Ipsa bona opéra ille in bonis operatur. Ibid., ix, 21, col. 893. Ce principe garde toute sa valeur dans la question présente, mais il se précise encore et, si l’on tient compte du terme premier de l’opération divine, il est ainsi formulé : Agit (enim) Omnipotens in cordibus, hominum eliam motum voluntatis eorum ut per eos agat quod per eos agere ipse voluerit, qui omnino injuste aliquid velle non novit. Ibid., xxi, 42, col. 908. Dieu est donc la cause du mouvement même de la volonté libre de l’homme et c’est lui qui, à travers cette volonté libre, accomplit ses libres desseins. On concevra donc aisément la transformation opérée dans la volonté humaine, déficiente par nature et encore affaiblie par le péché. Sous la motion puissante de la grâce, elle devient capable d’affronter tous les obstacles : Subventum est igitur infirmilati voluntatis humanæ, ut divina gralia indeclinabililer et insuperabiliter ageretur et ideo quamvis infirma, non tamen deficerel, neque adversilate aliqua vinceretur. De corr. et gral., xii, 38, t. xi.iv, col. 940.

Ajoutons que la grâce est efficace, précisément parce qu’elle est un principe intérieur d’action. Ce mouvement de la volonté dont nous venons de parler, Dieu le cause dans ce que l’homme a de plus intime, et cette grâce, ouvrière de notre justification, sans laquelle aucune de nos actions méritoires n’est possible, est la source jaillissante de notre activité surnaturelle. N’en faire qu’un principe extrinsèque, une simple vertu illuminatrice, serait la définir incomplètement : Inlelligenda est enim gralia Dei… non solum ut, monstranle ipsa, qui-d faciendum sit sciant (homines), verum eliam ut, præstante ipsa, faciant cum dileclione quod sciunl. Ibid., ii, 3, col. 917. Dieu n’a que faire de moyens extérieurs pour amener les hommes à réaliser ses desseins : Inlus egit, corda lenuil, corda movit, eosque voluntatibus eorum quas ipse in illis operalus est traxil. Ibid., xiv, 45, col. 944. Par l’action intérieure de la grâce, il s’empare des cœurs et les dirige à sa guise ; il attire les hommes par leur libre vouloir dont il est l’artisan.

Ce n’est pas que les moyens extérieurs n’aient pas leur raison d’être et que leur emploi soit en dehors du plan divin, mais ils ne serviraient de rien sans l’efficacité intime et mystérieuse de la grâce, comme on le voit dans la correction des pécheurs. Ibid., vi, 9, col. 921.

Comment se fait-il cependant que la grâce ne détruise pas la liberté ? C’est que la motion divine en quoi elle consiste ne donne jamais à l’action humaine un caractère de nécessité. Augustin ne se lasse pas de le répéter sous les formes les plus diverses : Si non esset liberum arbitrium non diceretur : « Reclos cursus fac pedibus luis et vias tuas dirige, ne déclines in dc.rtcram, neque in sinislram », et tamen sine Dei gralia si possel hoc fieri, non postea diceretur : « Ipse autem rectos facict cursus tuos, et itinera tua in pace producet » (Prov., iv, 26, 27). Epist., ccxv, 5, t. xxxiii, col. 973. Que conclure de ce texte sinon que la grâce efficace qui maintient l’homme dans le droit chemin ne l’empêche aucunement d’y marcher librement ? C’est la même doctrine que le saint évêque expose en commentant ce verset

de l’Évangile : Non omnes capiunt verbum hoc, sed qui bus datum est. (Matth., xix, 11.) Quibus enim non est dalum, aut non implent quod uolunt : la volonté humaine suffit pour la déficience ; quibus autem datum est, sic volunt ut impleant quod volunt ; mais le vouloir effectif est le terme de la grâce : Ilaque, ut hoc verbum quod non ab omnibus capitur ab aliquibus capiatur, et Dei donum est, et liberum arbitrium. De gral. et lib. arb., iv, 7, t. xliv, col. 886. L’action de la grâce ne supprime pas celle de la liberté.

Au sujet de ceux qui réclamaient en faveur de l’indépendance absolue de la volonté humaine, le saint docteur répondait :.Serf polius intelliganl, si f’tlii Dei sunt , Spirilu Dei, se agi (Rom., viii, 14) ut quod agendum est aganl, et cum egerinl, illi a quo agunt grattas agant. Aguntur enim ut aganl, non ut ipsi nihil aganl. De corr. et gral., ii, 4, col. 918. Réponse on ne peut plus claire. Augustin semble y condenser toute sa doctrine sur l’efficacité de la grâce par laquelle se réalise la prédestination et qui implique une subordination d’activités : aguntur ut aganl, sans passivité toutefois : non ut ipsi nihil agant.

Il n’est pas jusqu’à l’élection, acte essentiellement libre de la volonté humaine, dont la grâce ne respecte le caractère de liberté, encore que, de cette élection, elle soit le principe actif : Sua voluntate ulique, isti consliluerunt regem David. Quis non videat ? Quis hoc negel ? Non enim hoc non ex animo aut non exb ona voluntate fecerunl, quod fecerunt corde pacifico : et lamen hoc in eis egit, qui in cordibus hominum quod voluerit operatur. Ibid., xiv, 45, col. 944. C’est donc que la grâce, malgré son efficacité que rien d’extrinsèque ne conditionne, n’est pas nécessitante. Le choix que Jésus fit de ses apôtres n’empêche pas ceux-ci d’avoir librement choisi le Maître de leur choix : Unde non ob aliud dicil : >< Non vos me elegislis, sed ego elegi vos », nisi quia non elegerunt eum ut eligerel eos, sed ut eligerent eum elegil eos. De præd. sanct., xvii, 34, t. xliv, col. 985.

Qu’il suffise enfin d’ajouter que saint Augustin défendit expressément ce caractère non nécessitant de l’action divine, caractère que Julien lui reprochait de ne pas sauvegarder dans sa doctrine sur la grâce et la liberté humaine. Revendiquant formellement le caractère non nécessaire de la liberté, Julien s’écriait : Arbitrium liberum, quod in m r ili parte vitiorum voluplalibus, vel diaboli persuasionibus, in boni autem parle virtutum dogmalibus et variis divinse gratis ? speciebus juvatur, non potest aliter conslare, nisi ul et jusliliv ab eo et peccati nécessitas auferatur. Op. imp. contra Jul., III, cxxii, t. xlv, col. 1299. Mais il omettait sciemment, à n’en pas douter, la grâce efficace dilectionem comme venant au secours de cette liberté. Et Augustin de lui reprocher assez vertement : Inter divinse graliæ species, si poneretis dilectionem, quam non ex nobis sed ex Deo esse, eamque Deum dare filiis suis, apertissime legilis, sine qua nemo pie vivil, et cum qua nemo nisi pie vivit, sine qua nullius est bona volunlas et cum qua nullius est nisi bona voluntas : vere liberum defenderelis, non inflaretis arbitrium. Ibid. Cum qua nemo nisi pie vivit, cum qua nullius est nisi bona voluntas. Augustin concevait donc l’action de la grâce divine comme infaillible. Et cependant, aucune trace de nécessité : Necessilatem porro, si eam dicis qua quisque invitus opprimitur, justifiée nulla est, quia nemo est justus invitus, sed gralia Dei ex nolente volentem facil. Ibid.

Gralia Dei ex nolente volentem facil, la voilà bien la raison de cette non-nécessité : la grâce est la cause du libre vouloir. C’est là aussi le point culminant de l’enseignement d’Augustin sur les rapports de la grâce et de la liberté, et eonséquemment sur la prédestination que l’une et l’autre réalisent.

A propos de Prov., iv, 26, 27, nous avons vu le saint docteur affirmer que l’action de la grâce ne gênait